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1’TRADITION CHRÉTIENNE DANS L’HISTOIRE

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mer la puissance d’expansion, il nous faudrait tourner les yeux vers Alexandrie. Là, en effet, dans le célèbre Didascalée, se succèdent des maîtres moins préoccupés d’adhérer immuablement à la donnée intelligible du christianisme, que de la féconder par le travail de leur esprit. Rien ne montre mieux la diversité des deux tendances, que l’opposition des commentaires donnés par l’une et l’autre école, au même texte évangélique (Matt., vn-, 7) : « Cherchez et vous trouverez. » On n’a pas oublié que Terlullien en restreint la portée, plus même que de raison, parce qu’il redoute pour des esprits indiscrets le danger d’une spéculation trop libre. D’un point de vue tout opposé, Clément d’Alexandrie juge au contraire (Strom, , V, m ; P. G., IX, 32-36) qu’il faut stimuler l’ardeur de savoir, car un effort sincère amènera sûrement les âmes droites plus près du Christ. Il ne craint pas d’emprunter à la sagesse profane une préface naturelle de l’Evangile, et, entre deux citations de Platon, compare les âmes sages à ce^ vierges de la parabole, qui « plongées dans la nuit de ce monde, allument leurs lampes, réveillent leurs esprits, illuminent les ténèbres qui les environnent, cherchent la vérité, attendant la venue du Maître ». Le nombre en est restreint : selon Platon, « beaucoup portent le thyrse, mais peu sont mysles de Bacchus ». Pensée au fond toute chrétienne, poursuit Clément ; Jésus n’a-t-il pas dit (Matt., xx, 16) : « Beaucoup sont appelés, peu sont élus » ; et saint Paul (A Cor., viii, 7) :

« La gnose n’est pas le partage de tous. » — Sur les

tendances propres à l’école d’Alexandrie, voir l’étude pénétrante de J. Lebreton, le désaccord de la foi populaire et de la théologie savante dans l’Eglise chrétienne du III’siècle, p. 491 sqq., dans Revue d’Histoire ecclésiastique, Louvain, iga3.

Héritier de l’esprit de Clément, Origène, au début du Tlspi’A^ûv, croit devoir faire le départ des vérités de foi universellement reconnues et des questions débattues entre chrétiens. Il pose en principe que la succession régulière depuis les Apôtres, et encore présente dans l’Eglise, doit être gardée inviolablement ; puis il ajoute : Ileoi A^Ov, prooem., 3, P. G., XI, 1 iG :

« Les saints apôtres, prédicateurs de la foi du

Christ, ont, sur certains points, enseigné tout ce qu’il crurent nécessaire à tous, même aux esprits trop indifférents à l’acquisition de la divine science ; après s’en être expliqués clairement, ils abandonnèrent l’élaboration de la doctrine à l’initiative de ceux qui mériteraient des dons excellents de l’esprit, surtout les dons de parole, de sagesse et de science. Sur d’autres points, ils se bornèrent à énoncer le fait, livrant le pourquoi et le comment aux recherches studieuses de ceux qui, après eux, épris de la sagesse, dignes et capables de la recevoir, trouveraient dans ces méditations occasion de s’exercer et de signaler leur génie. » — Cf. Lbbrbton, ibid., p. 501 sqq.

La dualité des programmes ne nous révèle pas seulement une différence de tempérament intellectuel entre les docteurs de Rome on de Carthage et ceux d’Alexandrie : elle nous permet de ressaisir, dans son unité vivante, la doctrine chrétienne intégrale, fragmentée selon la tournure particulière des esprits et les besoins changeants des controverses, parfois méconnaissable au regard d’un observateur superficiel, néanmoins assez semblable à elle-même pour autoriser une synthèse, et ne cessant d’offrir le même fonds de réalité immuable sous ses multiples aspects.

IV. Saint Augustin et Saint Vincent de Liérins. — Franchissons un siècle et demi. Nous voyons saint Augustin aux prises avec l’hérésie

manichéenne, dans le traité De utilitate credendi, (xrv, 31, P. /.., XLH, 87), rechercher une pierre de touche pour discerner la vraie doctrine du Christ ; il la trouve dans une croyance affermie par la multitude, l’accord et l’ancienneté des témoignages : /d’iiar celehrilate, consensione, vetustate rohoratae. D’autre part, émiettement, discorde, nouveauté, sont les caractères de l’hérésie. L’hérésie prétend-elle se retrancher derrière certaines Ecritures, on est en droit de lui demander où elle les a prises et quels en sont les titres : il lui faudra bien confesser que ces textes, dépourvus d’attestations sérieuses, n’ont aucune valeur, et ainsi la supercherie n’aura servi qu’à mettre en lumière la nécessité inéluctable du recours au principe d’autorité, pour accréditer les Ecritures elles-mêmes.

Quelques années plus tard, le saint docteur traite ex professa, dans le De doctrina christiana ( II, viii, 12, P. L., XXXIV, 40) la question du canon des Ecritures, et il se réfère an consentement des Eglises catholiques, principalement de celles qui possèdent les chaires des Apôtres et furent honorées de leurs épîtres. Si l’unanimité fait défaut, on recevra d’abord les Ecritures admises par les Eglises les plus nombreuses et les plus graves. En cas de partage entre les autorités, les plus nombreuses penchant d’un côté, les plus graves de l’autre, Augustin admet que les témoignages se balancent, et que les deux Ecritures sont également vénérables.

Non content de tenir pour traditions apostoliques bien des points de doctrine non consignés dans l’Ecriture (voir notamment, De Baptismo contra Donatistas, IV, xxiv, 31 ; V, xxiii, 31 ; P. L., XL1II, 17/1, 192, etc. Cf. Portalir, dans le Dictionnaire de t.’téologie catholique, t. I, col. 2340), il aime à appuyer sur le magistère vivant sa foi même à l’Evangile ; l’esprit essentiellement traditionnel de sa théologie a trouvé sa plus haute expression dans la formule célèbre et paradoxale (Contra epistolam Manichæi, v, 6 ; P. L., XLH, 176) : Ego vero Evangelio non crederem nisi rue catholicæ Ecclesiæ commoveret aucloritas.

Alors même qu’il se tourne vers la philosophie néoplatonicienne pour en recevoir l’influence intelligente, le grand évêque ne cesse d’étreindre la donnée ecclésiastique, et de montrer les attaches profondes du dogme dans la société où se prolonge la pensée du Christ. La géniale poussée de sève qui marque son œuvre théologique, procède bien authentiquement du vieux tronc chrétien. Depuis lors, on n’a pas revu un tel printemps, et sans doute l’Eglise n’en avait plus besoin : les profondes intuitions de saint Paul s’étaient épanouies dans les écrits du docteur de la grâce.

Augustin était mort dans Hippone assiégé par les Vandales ; le concile d’Ephèse avait, en condamnant l’hérésie de Nestorius, fait triompher la croyance traditionnelle à la maternité divine de Marie. Trois ans plus tard (43/4), au monastère fondé par saint Honorât dans l’Ile de Lérins, un moine se recueillait dans la paix de sa cellule pour rédiger quelques réflexions sur la tradition des Pères. Il n’avait

— du moins il l’assure — aucune ambition d’auteur : ses deux mémoires personnels — Commonitoria —, dont le premier nous est parvenu intact, le second a péri sauf le résumé final, n’étaient destinés qu’à remettre sous le regard de son esprit l’action de Dieu dans le gouvernement des intelligences ; de fait, ils devaient servir, après des siècles, à asseoir sur un fondement solide le traité de la tradition catholique. (P. /.., L.)

Fratkr Prregrinus, comme il s’appelle, ou Vincent on Lérins, selon la suscription de nos manuscrits,