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PRAGMATISME

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seoir au coin du feu en hiver, cela n’est pas bon en été (Cf. Sum. theol., l a P., q. 19, a. 7 corp.) Le feu a-t-il donc changé de nature ? Tout ce qu’on peut dire avec vérité de la nature du feu en hiver, on peut le dire avec autant d’exactitude en élé. Il reste toujours vrai que le feu chaude. Mais c’est l'être vivant qui a changé, et parce qu’il a changé, le feu, bon pour lui en hiver, est mauvais en elé. C’estceque l’axiome scolastique exprimait sous cette forme : talis uuusquisque est, talis fiais videtur ei. Mais on ne saurait dire de la même manière : tel est le sujet, tel lui apparaît l’objet connu. L’expérience montre que les déformations individuelles, comme le daltonisme, par ex., sont accidentelles par rapport à la vérité, tandis que les dispositions du sujet sont essentielles à la notion de bien. La distinction du vrai et du bien, si nettement allirmée par le sens commun, est donc parfaitement fondée, et rien n’autorise à confondre cette forme d’activité psychologique qu’on appelle la connaissance avec cette autre forme qu’est l’appétit, ni même à soutenir que la connaissance du vrai est intrinsèquement affectée par les dispositions de l’appétit. Qu’une chose ne soitconnue par l’homme, quand il s’agitd’une recherche, que s’il y a un désir, une volonté de connaître, cela est évident ; mais lorsque l’objet est de telle nature que notre intelligence puisse l’atteindre, la volonté ne fait qu’appliquer l’intelligence à son travail, elle ne donne point aux opérations de celle-ci la nuance, pour ainsi dire, de ses propres dispositions ; en termes scolasliques, elle influe sur la connaissance dans l’ordre de l’exercice et non dans oelui de la spécification. Quand l’objet n’est pas susceptible d'évidence, pour une raison ou pour une autre, et qu’il importe cependant de conclure, il en va autrement. Aborder cette question nous entraînerait trop loin et il n’est pas nécessaire de l’exposer pour montrer l’erreur initiale du pragmatisme touchant la confusion du vrai et du bien.

ô° Les Vues métaphysiques du Pragmatisme. — Universalité de la contingence, pluralisme radical de l’univers, au moins dans son état présent, contribution de l’activité humaine à la transformation du réel, et même, influence directe de la connaissance sur les choses, tels sont les traits communs des doctrines pragmatistes en métaphysique. Tous proviennent d’un même principe, le principe de l’empirisme intégral. Il est clair que, si nous nous cantonnons dans l’expérience, nous n’apercevrons nulle part lie nécessité absolue, ni même conditionnelle. Qui dit nécessité, dit universalité ; et l’expérience ne porte jamais que sur un nombre déterminé de cas, si grand qu’on le suppose. De même, l’expérience nous révélera la continuité dans cerlainespartiesdu monde, dans d’autres des interruptions, desoppositions, une hétérogénéité, qui, de son point de vue, sont complètes et peuvent être définitives. Elle est incapable de nous diie si tout cela ne se combine pas pour former un ordre unique. Enfin, l’expérience révélant les changements consécutifs à la connaissance sans les expliquer, sa loi fondamentale étant celle de la simple succession, elle incline naturellement l’esprit vers le sophisme post hoc, ergo propter hoc, sans nous donner le moyen de discerner parmi les antécédents la vérilabie cause.

Mais il est impossible de s’en tenir à l’expérience pure : les pragmatistes eux-mêmes ne le font pas. Une expérience pure se réduirait au fait d'éprouver quelque chose, et ils dépassent de beaucoup ce niveau ; la plupart du temps, c’est l’expérience organisée, l’expérimentation, qu’ils invoquent. Or, cette expérience est toute pénétrée de principes rationnels, tels que ceux d’identité, de causalité, de

finalité. L’expérimentation ne conclut, n’a de force que par eux. M. Schiller a bien tenté de les réduire à des postulats, c’esl-à-dire, à des hypothèses qui tirent leur valeur de l’expérience ; mais, nous l’avons vu, c’est là une théorie insoutenable, car elle se fonde sur l’idée de réalité absolument plastique, qui aboutit à une contradiction, et, de plus, l’expérience ne pouvant conclure qu’en vertu de ces principes, comment les confirmerait-elle ? Ce serait un cercle vicieux.

Dans ces conditions, il est vain de vouloir s’en tenir à l’expérience, pour savoir ce qu’il faut penser du n. on le ; et ces mêmes principes qui permettent d expérimenter, qui nous assurent du retour des mêmes phénomènes lorsque les mêmes antécédents sont posés, nous donnent aussi le moyen d’acquérir une certitude touchant la structure générale de l’univers. Nous pouvons, en philosophie, nous appuyer à la fois sur les données sensibles d’où proviennent même nos idées les plus abstraites et sur ces principes pour prononcer, sans crainte d’erreur, que l’univers entier est soumis à un ordre, qu’il est harmonieux ; il a donc une unité fondamentale, qui, étant une unité d’ordre, est parfaitement compatible avec une pluralité réelle et même l’exige. Cette conception du monde évite ainsi l’erreur de l’absolutisme contre laquelle MM. James et Schiller s'élèvent avec juste raison. Les êtres Unis ne sont pas des apparences ; tout limités qu’ils sont, ils ne se réduisent pas à des illusions ou à des objets de pensée pour la conscience totale, qui seule serait réelle. Mais, d’autre part, elle maintient nettement la réalité de l’unité d’ensemble. Elle le fait à l>on droit, car ce que nous révèlent nos sens et les principes qui éclairent la signification de ces données nous amènent à affirmer l’existence d’un auteur unique des choses, qui étant infiniment bon, sage et puissant, n’a pu créer qu’en exécutant un plan parfaitement rationnel et en dotant son œuvre de toute l’harmonie dont elle était susceptible. Rien ne sert d’alléguer les solutions de continuité, et même les abîmes, qui se révèlent à certains endroits de notre monde. On peut seulement en conclure que notre connaissance est encore bien incomplète, ou, même, qu’elle n’a pas le moyen de découvrir par où les choses se rattachent, non pas que le désordre soit réel et définitif.

C’est aussi la nature de l’auteur du monde, telle que nous en avons pu nous en former l’idée, qui nous donne l’assurance la plus ferme de l’existence de la nécessité soit absolue, soit conditionnelle, à côté de la "liberté. L’Etre Premier doit sa perfection à son actualité pure qui le rend immuable. Sa nature ne peut être que ce qu’elle est, et de la détermination de l’essence divine dérive la nécessité qui unit, indissolublement les caractères des natures Unies. Non pas qu’il y ait émanation directe, ces natures découlant nécessairement de l’essence divine ; Dieu crée librement par son intelligence et sa volonté. Il ne donne l’existence qu’aux êtres qu’il a décidé de réaliser, mais les types de ces êtres ne dépendent point, dan6 leur constitution, de la volonté divine ; elle ne fait que choisirceux qui recevront l’existence. Dieu étant libre dans un certain ordre, et présentant dans un autre le caractère de la nécessité absolue, son œuvre pourra comporter les mêmes traits.

Nous avons déjà touché la question de 1 influence de notre connaissance sur les choses et montré qu’elle ne saurait être directe, qu’il faut que notre corps entre en jeu pour que nous puissions modifier la réalité. Nous n’ajouterons qu’un mot sur la théorie par laquelle M. Schiller pense résoudre l’objection qui se présente d’elle-même. Il y a un cas, dit-il,