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TOTEMISME

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Dès maintenant, par l’exposé de ces motifs très vraisemblables, on peut déjà conclure qu’il n’est aucunement nécessaire de recourir au totémisme pour expliquer les intei dictions alimentaires. Bien plus, on peut prononcer que cette hypothèse moderne doit être catégoriquement repoussée. D’après Hobertson Smitii, les animaux impurs sont de simples tabous qu’on ne peut manger, sauf au cours des cérémonies rituelles, et d’une certaine manière qu’il appelle » eucharistique ». Et comment le prouve-t-il ? Il s’appuie surtout sur les deux noms propres Chézir (porc) et Ackbor (souris)etsur deux passages d’Isaïe, lxv, 4 et lxvi, 17, où le prophète blâme les cérémonies religieuses au cours desquelles certains Israélites mangent du porc et des souris.

Ces deux noms propres ne prouvent rien en faveur du totémisme. Un seul Israélite s’appelle Achbor (souris), c’est un contemporain et un ami du roi Josias, qui, à cause de sa situation auprès d’un monarque aussi pieux, ne pouvait pas être totémiste. Le nom de « Chézir » (porc) est porté par un contemporain d’Esdras. Il n’est pas possible d’admettre qu’au temps d’Esdras les Israélites fussent attachés au totémisme. Il y a bien aussi un prêtre de l'époque de David qui se nomme Chézir, mais sa situation même ne nous permet pas d’en faire un totémiste. D’ailleurs, l’usage est plus fréquent des noms propres d’animaux purs, comme par ex. Zimri (gazelle), Egla (veau), Cheyale (sauterelle), Rachel (brebis), Joua qugeon), etc.

Quant aux sacrifices de porcs et de souris dont parle Isaïe (lxvî, 3) et dont il dit qu’on en mangeait (lxv, 4 ; lxvi, 17), il n’y a là probablement que rhétorique pour affirmer avec plus de vigueur combien ces sacrifices déplaisent à Yahweh. C'était une abomination pour un bon Israélite, de manger du porc et de la souris, mais c'était une bien plus grande abomination pour Yahweh de recevoir de ces sacrifices défendus. D’ailleurs il s’agit ici principalement des Samaritains, peuple mixte, qui se laissait facilement séduire par les rites des religions étrangères. Et s’il y avait, parmi ces sacrificateurs, quelques Israélites, c'étaient ceux qui étaient restés dans ce pays pendant la captivité de Babylone, qui vivaient abandonnés, sans le vrai culte, et sans défense devant les pratiques religieuses des étrangers. Malgré leur répugnance habituelle à manger du porc et de la souris, ils ont pu faire une exception, pensant par là s’attirer plus efficacement la protection de la divinité.

4) Mac Lennan voit un indice de totémisme dans les images d’animaux représentés sur les étendards de guerre des Hébreux.

Ces bannières sont en effet mentionnées dans la Bible (Nam., 1, 52, etx, 14 seq.), et les tribus doivent se ranger trois par trois derrière elles ; il y avait en outre des enseignes Çoth) pour marquer les subdivisions en familles ou maisons de pères. Les quatre grandes bannières sont décrites dans le Talmud, qui s’inspire des bénédictions de Jacob (Gen., xlix). de Moïse ( Dent., xxxiu), et de la vision d’Ezéchiel (/s :., 1). La bannière de Judn, Issachar et Zabulon portait un lion brodé ; celle de Rubcn, Siinéon et Cad un homme (Ez., 1, 5 suiv.) ; celle d’Ephraïm Manassé, Benjamin, un taureau ; celle de Dan, Aser, Nephtali, un aigle. Ainsi, le peuple d’Israël était réuni autour des images des quatre animaux de la vision d’Ezéchiel.

On pourrait élever une objection contre cette explication. Comment Israël aurait-il pu donner pour symbole à plusieurs tribus une image spéciale ? N'était-ce pas favoriser la création d’idoles de tribus ? Les savants juifs répondaient que ces images

étaient brodées, et, comme telles, permises au même titre que les images peintes.

La Bible ne nous ayant pas donné de détails sur la description de ces bannières, et les renseignements àv. Talmud portant l’empreinte de la légende, il est inutile d’en tenir compte pour l’histoire de la religion d’Israël. Cette tin de non-recevoir est d’autant plus légitime que les animaux attribués aux tribus ne sont pas les mêmes dans les deux bénédictions. Dans la bénédiction de Jacob, Juda est comparé à un lion, Issachar à un àne, Dan à un serpent, Nephtali à une biche, Joseph à un arbre fruitier et Benjamin à un loup. Dans la bénédiction de Moïse, Joseph est comparé à un taureau, Gad à une lionne, Dan à un jeune lion. Ainsi, dans la bénédiction de Jacob, le totem de Dan serait un serpent, dans celle de Moïse un lion. Comment expliquer cette anomalie ? La tribu aurait-elle changé de totem ? Cette hypothèse est le renversement de tout le système.

Inutile d’insister sur la preuve tirée du matriarcal. D’abord, il n’est pas sûr qu’il fut en vigueur chez les Israélites. Lt s usages qui semblent des vestiges du matriarcat, peuvent se concilier avec le patriarcal D’ailleurs, le matriarcat n’a pas nécessairement pour cause le totémisme. Il peut être l’indice d’une conception peu morale du mariage, mais le fait de son existence ne donne pas le droit d’en conclure qu’un peuple croyait descendre d’ancêtres animaux.

Enfin, une dernière remarque : on ne trouve pas chez les Israélites la division totémique par clans. Le mot est mal défini. Veut-on lui faire désigner un groupe d’hommes réunis au hasard, sans relations de parenté? Alors il n’existait pas de clans en Israël. II y avait des familles, les familles apparentées donnaient des gentes (Réth 'abâth) << maisons de pères », et l’ensemble des gentes formait l’unité de la race.

V. Le totémisme et l’histoire des religions. — On a voulu voir dans le totémisme une phase nécessaire de l'évolution des religions. Les diverses sociétés humaines, du moins pendant la période de leur histoire que nous connaissons, auraient franchi plusieurs étapes successives : de l’animisme elles auraient passé au totémisme, du totémisme au polythéisme et au monothéisme. Le totémisme aurait donc servi de passage entre les premières formes très indécises d’une piété naissante et les cultes organisés. Car l’animisme n'était pas encore une religion ; c'était plutôt la science rudimentaire et enfantine du sauvage. En lui enseignant à reconnaître sa dépendance d'êtres plus forts, plus. puissants que lui, il lui fit faire le premier pas vers [ la religion…

Comment se serait effectuée l'évolution de la religion par l'étape du totémisme ? Les forces de.lal nature étaient considérées comme animées par des esprits, doués d’une puissance surnaturelle dont ils peuvent user pour ou contre l’homme. Le moyen d'échapper à leur action malfaisante, c’est de nouer | avec eux une alliance et comme un lien de parenté. Les esprits choisis pour totems n’auront plus la vo-l lonté île nuire aux membres du clan. Les autres, assez malheureux pour ne pas trouver d’adorateurs, ! resteront méchants et dangereux.

Pourquoi les premiers hommes adressèrent-ilsl leurs adorations aux animaux, de préférence à telle| ou telle autre classe d'êtres ou d’objets ? On ne saurait le dire, mais on tient pour indiscutable quel c’est avec des animaux que furent conclues les pie-