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TOLERANCE

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suivent une autre confession. Des Saint Barthélémy protestantes, surtout dans le Midi, précèdent et suivent la Sainl-Barthélemy catholique ; de la part des Réformés, ce n’étaient point là exceptions. L’Angleterre n’est pas seule à donner le spectacle d’un peuple assujetti à trois conversions successives. Les mêmes ilemi-lours sont commandés à tout un peuple dans le Palatinat, d’abord par Frédéric 111, puis par son (ils Louis, et enfin par Casimir. A ce dernier, les prédicants calvinistes tracent ce joli programme :

Casimire potens sers-os ci pelle I.utheri ; Ense, rota, pouto, (unibtts, igné neca.

L’âge moderne était donc travaillé et tourmenté par les conflits aigus de deux, intolérances civiles, l’une catholique, l’autre protestante. Mais quelles oppositions de genre entre les deux ! La protestante, dépendant du seul caprice princier, devient vitedespj tique, arbitraire, brutale, la catholique est toujours plus ou moins modérée par le Souverain Pontife, que respecte le monarque. L’Eglise veut rester dans les pays d’où la Réforme prétend l’exclure, se maintenir où le Protestantisme prétend L’abattre. Des deux intolérances, la protestante se montrera à la fois la plus arrogante, la plus rigoureuse, la plus étendue et la plus opiniâtre : en Angleterre, depuis Cromwell, le Papisme constituait un délit ; en iG3y. les catholiques sont exclus du bill de tolérance ; en Danemark, depuis Christian 111, 1e pays est fermé aux prêtres sous peine de mort, la loi privait les catholiques de leurs droits politiques et de tout droit successoral. Inutile de rappeler l’intolérance calviniste en Suisse et le martyre des catholiques hollandais. En Amérique, les puritains déployèrent un fanatismeintolérant dans le Massachusetts. Au xvme siècle, les catholiques n’étaient tolérés ni dans la Virginie, ni aux Carolines, ni dans la Nouvelle-Angleterre, ni dans la colonie de la Géorgie, ni à New-York, ni à New-Jersey. Marie-Thérèse, en reprochant à Joseph il de s’intéresser trop peu au progrès de la vérité catholique, pouvait donc écrire à bon droit : u Je ne vois pas cette indifférence à tous les protestants. Au contraire, je souhaiterais qu’on les imitât, aucun Etat n’accordant cet te indiïTérencechezsoi. « (Lettre du5juillet 1797.) Cependant cette situation violente ne peut pas durer ; les nécessités vitales, commerciales et autres, amènent des trêves ou des traités. Des édits de tolérance paraissent de différents côtés ; et sous leur influence, une doctrine ou plutôt des doctrines s’ébauchent.

:) Les doctrines. — On peut les réduire à deux

groupes, celui del’inlolérance et celui de la tolérance civile.

Doctrine d’intolérance. — C’est l’antique doctrine de la Religion d’Etat (voir ce mot). Non pas partout exclusive — qu’on se rappelle le culte du dieu inconnu, rencontré dans Athènes par saint Paul, Act., xvii, 23 ; — elle tyrannisa l’empire romain et déchaina la persécution contre l’Eglise. Suivant elle, la religion est absorbée par la politique, elle estune fonction comme une autre et peut être imposée à tout le monde pour assurer, par l’unité religieuse, l’unité de l’Etat. Abandonnée durant des siècles, cette idée absolutiste renaît, avec les lettres antiques, vers la lin du moyen âge. Au milieu du xvr= siècle, sous l’action des humanistes, elle se concrète dans le

« Territorialisme », dont la formule classique fut : 

cujus regio, illius et religio. Association fermée, l’Etat met un exclusivisme jaloux à déclarer autant qu’à régir les intérêts de ses membres. Au pacte qui les associe (pactum unionis), se joint un pacte qui les soumet à la direction politique dont la religion fait partie (pactum snbiectioiiit). Sujet dans toutes

ses actions extérieures, le citoyen n’a que la pensée intérieure pour refuge de sa liberté. Semblable doctrine, (maillée de citations antiques, se trouve chez Ghotius, Jba.n-Jaco.ubs Rousseau. Nos étatistes contemporains ne l’ont pas encore oubliée.

Doctrine de tolérance. — Il faut distinguer ici les raisonsparlesquelles on cherchait à établirla tolérance sur des principes absolus, et les conclusions pratiques qu’on tirait de ces principes.

Beaucoup puisaient un motif pour la tolérance dans le concept même qu’ils se faisaient de la religion chrétienne ou de la religion en général. Les srnerélistes veulent réduire la foi à un petit nombre de points fondamentaux, en dehors desquels la discussion doit être libre. C’est l’idée des Arminiens de Hollande, des latitudinaristes anglais. JkrkmirTaylou, dans sa 9wjteyfa bù « xTu>>(1647) uie que les sectes chrétiennes soient plusieurs religions. John Milton, (Of true religion, heresy, schism., toleration, 1 0^3), Ch. Thomasius, lias Recht evangeîiscken FUrsten in theologisclien Slreitigkeiten), admettent aussi les points fondamentaux. D’ailleurs Milton rejette la Trinité ; il refuse la tolérance à l’idolâtrie papiste. L’obscurité ou l’inévidencede la vraie religion sert à d’autres de prétexte pour mettre toutes les religions sur le même pied. Ainsi font J. Bodin (Colloquium heptaplomeron (1.597) ^ Lbssing (Nathan der f( frise).

Le scepticisme dogmatique en conduit d’autres à ne s’entendre que sur la seule morale. Parmi les défenseurs de cette attitude, nommons Glanvillb (The vanity 0/ dogmatizing), et Frédéric II, qui écrit : « 11 n’y a aucune religion qui, sur le sujet de la morale, s’ecarte beaucoup des autres. Ainsi elles peuvent être touteségalesaugouvernement, qui, conséquemment, laisse à chacun la liberté d’aller au ciel par quel chemin il lui plaît : qu’il soit bon citoyen, c’est tout ce qu’on lui demande » (Œuvres, t.I, De la superstition et de la religion, art. 3, p. 291).

La douceur essentielle du christianisme est poussée par certains jusqu’à la tolérance absolue. D’autres exploitent, en faveur d’une séparation complète, l’autonomie respective et l’incompétence réciproque de l’Eglise et de l’Etat. Des princes fameux ont làdessus des paroles célèbres. « Roi des peuples, je ne le suis pas des consciences », s’écriait Etiknne Bathory. Convertir par la force, disait-on, c’est peupler l’Etat d’hypocrites (cf. p. e. Pufbxdorf, De habitu religionis ad imperium, n° 48).

S’élevant à des considérations supérieures, quelques-uns en appellent à Dieu même, à son exemple, à son plan divin : punirions-nous ce qu’il tolère ? Irions-nous contrarier les dispositions de sa Providence, qui fait aboutir l’homme à des religions différentes par l’usage naturel des raisonnements ?(Noodt, De religione, p. 12). Dès le xvn c siècle, on voit poindre des raisons qui sont encore aujourd’hui en faveur : elles tendent à fonder la tolérance sur l’inviolabilité de la conscience, p. e. Noodt, op. cit., p. 33. Thomasius, Disput’ilio an hæresis sit crimen (1697, vin). Nous rencontrerons plus loin ces motifs.

Restent encore les considérations d’ordre pratique, beaucoup plus efficaces auprès des foules : l’histoire de l’intolérance est chargée d’une multitude de crimes abominables ; la coaction trouble la paix, rend impossible l’examen loyal de la vérité, favorise la lâcheté, l’hypocrisie, la paresse ; la religion devient le jouet de l’ignorance ou du caprice du souverain ; une fatale réaction contre la violence poussera les consciences vers l’athéisme ; et puis, l’hérésie est utile, elle purifie l’Eglise. « Le faux zèle, écrivait Fhédéric II, est un tyran qui dépeupleles provinces :