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THEOSOPHIE

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licnltés vont se multiplier, amenées par l’influence rivale et en partie contraire du maître styrien Rudolph Steiner (Né en 1861, à Kraljévic, en Hongrie. C’est à Munich qu’est le centre et le temple de la théosophie « rosicrucienne » de R. Steiner), qui sera pour Mme Resant moins un disciple qu’un émule. Les Loges bavaroises, prussiennes, rhénanes, sxiisses, autrichiennes, et un nombre croissant de Loges françaises, surtout en Provence (quelques-uns des initiés les plus influents, en France, sont des olliciers de marine ou des médecins de la marine), acceptent de plus en plus l’influence de Steiner et de son parèdre féminin, Russe comme jadis H. Blavatsky, Mlle Marie de Sivers. Le plus éloquent des tliéosophes français, Edouard Schuré, et l’un des plus convaincus, M. Jules Sauerwein, sont nettement

« anthroposophes », c’est-à-dire steinéristes.

Les taches au soleil. — Les fautes d’Annie Besant vont toutefois lui nuire plus encore que la concurrence de son rival. Un des plus habiles occultistes de la secte, M. C. W. Leadbeater, après avoir reçu en grande pompe le pansil (baptême bouddhique) à Ceylan, des mains du grand prêtre Sumangala, se livrait à l’initiation des enfants et employait dans ce dessein des procédés et des méthodes qui, une fois connus, « provoquèrent une réprobation unanime au sein de la Société théosophique et bien au delà de ses frontières. » (Voir le très instructif opuscule du docteur Eugène Lévy, Mme Annie Besant et la crise de la Société théosophique, Paris, iç)13). Le scandale fut tel que le Congrès de Paris, en 1906, par une commission que présidait le doyen de la théosophie, le vieil Olcott, cita Leadbeater, et le força à démissionner. Mme Besant adhéra à ce jugement d’exclusion dans des termes qui ne laissent aucun doute, soit sur la gravité des pratiques reprochées à l’inculpé soit sur la vérité des faits. ( « Ce Conseil, qui a été réellement donné [à des enfants, par leur instructeur Leadbeater], ne pourrait l’avoir été dans une intention pure, que par un être atteint sur ce point d’aliénation mentale. » Annie Besant, lettre de juillet 1906, publiée dans la Theosoohical Voice, de Chicago, may 1908).

Cependant deux ans ne s’étaient pas écoulés que la même Annie Besant, qui avait besoin, pour la campagne messianique qu’elle projetait, de la virtuosité occultiste de Leadbeater, demanda la réintégration de celui-ci dans la Société. Leadbeater s’engagea formellement, dans une lettre rendue publique, à ne pas répéter le conseil donné jadis par lui à ses jeunes disciples, conseil qu’il estime « dangereux ». (Lettre publiée en février 1908 par l’organe cfntral de la Société, The Theosophisl, édité à Adyar). Forte de ce désaveu, Mme Besant obtint un vole de confiance des secrétaires de section. Seuls les secrétaires des sections allemande (R. Steiner), et Scandinave, se récusèrent.

Le Messie théosophique. — On passa outre. Annie Besant s’attacha, comme collaborateur intime, et indispensable, le théosophe compromis et, d’accord avec lui, initia un jeune Hindou, du nom de Krislinamurti, âgé de treize ans en 1908. On le baptisa, d’un nom plus coulant, Alcyone, et il fut présenté comme Maître et Messie à l’adoration des théosoplies. Leadlieatcr rédigea des écrits qui lui furent attribués (Trad. française en 1912, sous le titre Aux pieds du Maître, par Alcyone) et s’accompagnèrent d’une biographie où sont racontées au long les trente-deux incarnations successives de Krishnamurti. Un ordre, V Etoile d’Orient, fut fondé en son honneur. Comme si tout cela ne suflisait pas, Mme Besant s’avisa de décrire la préhistoire lunaire du jeune Messie. Elle nous montre dans une hutte un homme (lunaire), sa

femme et ses enfants. Autour d’eux, et parmi ce singes « aussi fidèles que de bons chiens », — il faut ici traduire textuellement et nous ne leur faisons pas dire, — « parmi ces singes, nous reconnaissons ceux qui seront plus tard M. Leadbeater, Mrs Besant,./. Krishnamurti et son frère Mizar. Nous pouvons donner leurs noms futurs afin de mieux les reconnaître, quoiqu’ils ne soient pas encore humains ». (A. Besant et C. W. Leadbeater, Man ; Where-Now-Wither, 1913, p. 34). — On peut voir dans l’opuscule de M. E. Lévy d’autres détails aussi affligeants.

L’histoire sublunaire d’Alcyone n’est pas moins curieuse. Au cours de ses avatars, le futur Instructeur du monde est présenté comme le fils de M. Fabrizio Ruspoli (théosophe italien), alors femme. Rassurez-vous : ceci se passait dans le désert de Gobi, 72.000 ans avant notre ère.

La scission finale. — Trop est trop. Un certain nombre de théosophes européens, de l’observance de R. Steiner — encore qu’ils n’aient pas le droit de se montrer difficiles en matière d’histoire ou de préhistoire — refusèrent leur encens au jeune Alcyone et discutèrent leur obédience à ses patrons. Le delirium messianique de Mme Besant contribua ainsi à rendre inévitable une scission que tout annonçait, dans la Société.

Sentant son prestige sapé par l’influence croissante de Steiner, la grande-maitresse, en effet, multipliait les brimades à l’endroit de la section allemande et de son tout-puissant secrétaire. Provoquée par ce dernier et sachant qu’elle serait obligée de s’expliquer sur Alcyone-Krishnamurti au congrès de Gênes, en 1911, Annie Besant réussit à faire décommander ledit congrès. Prenant l’offensive, elle accusa alors Steiner d’avoir été l’élève des jésuites et de collaborer avec eux pour faire de la théosophie une secte chrétienne ! D’abord un peu étourdi par ce coup inattendu, Steiner se justifia en racontant sa vie, au congrès de la section allemande, mais il se garda de faire sécession. Steiner raconte lui-même l’incident dans ses Mitteilungen de mars 1913, p. 6. Il va sans direqu’il n’eut pas de peine à se justifier, n’ayant jamais été en rapport avec les jésuites sinon pour attaquer, au congrès théosophique de Carlsruhe en 191 1, leurs méthodes et leurs personnes.

Poussée à bout, Mme Besant prit alors une décision extrême et exclut en bloc de la Société théosophique toute la section allemande (2.400 membres), parune lcttreoflicielle datée d’Adyar, 14 janvier 191 3. Steiner protesta pour la forme : sa liberté d’action lui était rendue, son œuvre avait recruté désormais dans les Loges assez d’adhérents pour vivre seule, et tout l’odieux dans les procédés était du côté de ses adversaires. En fait, l’unanimité morale des théosophes allemands, neuf dixièmes des Suisses, quelques Loges belges, alsaciennes, françaises, voire anglaises et hindoues, prirent parti pour son « Anthroposophie ». Il y eut donc, depuis igi 3. deux Sociétés théosophiques.

Le sort de l’œuvre steinérienne pendant la guerre n’est pas actuellement possible à retracer, de ce côté-ci du Rhin’. Pour la vieille Société, où Mme Annie Besant règne encore, elle aura désormais à compter avec le nouvel avatar de sa grande-maltresse qui a fait, au cours de la guerre, une violente campagne pour V Inde aux Hindous. Campagne antichrétienne au premier chef, mais aussi anti-anglaise, et qui a provoqué de la part des autorités britanniques, pourtant très libérales jusqu’alors à l’endroit d’Annie Besant, des mesures assez sévères.

Telle est, brièvement mais fidèlement résumée

1. Ceci fut écrit en 1919.