Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/828

Cette page n’a pas encore été corrigée

1643

THEOLOGIE MORALE

1644

B) Bossuet et Mabillon. — Aux côtés de Pascal, il ne manquait pas, en ce même temps, de bons esprits qui, sans adhérer à une condamnation si radicale de la théologie morale, sans croire les Jésuites si pervers et si ambitieux, partageaient du moins quelques-unes de ses préventions contre la casuistique. En exemple, on peut citer Bossuet et Mabillon.

a) Il y a quelques années, il fut beaucoup question du jansénisme de Bossubt (voir la bibliog.). Des textes cités et des faits apportés on peut conclure, croyons-nous, que « ce dernier des Pères de l’Eglise » ne fut jamais janséniste, même caché, de doctrine ; que, pour la fréquentation des sacrements et la direction, il n’admettait point le rigorisme de Port-Royal. Mais, en morale, il est indéniable qu’il était tout proche de ce rigorisme. Avec les Provinciales, qu’il admirait sans sérieuses réserves, il a bien cru au péril de la morale relâchée, que la casuistique faisait courir à l’Eglise.

S’il respecte en principe la théologie inorale et s ? » grands auteurs, un Suarez par exemple, il est plein de défiance et de durelé pour tous ces docteurs qui réduisent la morale chrétienne « en questions et en incidents », transforment l’école de l’évangile « en une académie »,

« subtiliseul sans mesure », quand la o si mplicilé et la

bonne foi » suffisent à régler notre conscience hors de quelques cas extraordinaires (Carême des Car inélites, sermon sur la haine delà Térité, 1661, édit. Lebarç.t. IJI, p. 659.

— L’oraison funèbre de Nicolas Cornet, 1663, Ltbarq, t. IV, p. 393 sq., est plus expressive encore ; mais son texte n’est pas sûrement authentique.)

En 168*2, il travailla avec ardeur à faire condamner par l’Assemblée du Clergé toute une série de propositions relâchées. A ce propos, il écrivait à l’abhé de Rancé combien la lecture d’un manuscrit écrit par ce dernier l’avait

« au sortir des relâchements et des ordures des casuistes, 

consolé par ces idées célestes de la vie des solitaires et des cénobites » (Lettre du 8 juillet 1682, Correspondance, édit. îles Grands Ecrivains, t. II, p. 308).

En 1700, il revenait à la charge et, après mémoire présenté au roi, emportait la condamnation de 127 propositions, sur lesquelles 123 concernaient la morale relâchée ; la plupart étaient tirées des listes déjà réprouvées par Alexandre VII et Innocent XI, mais la mesure était singulièrement aggravée par une censure détaillée et sévère du probabilisme (Textes dans Dicl. de Tfi ê » l., art. Laxisme, col. 61). Bossuet voyait sans nul doute dans le développement de la casuistique un péril pour les mœurs et une régression de la science sacrée.

i) « L’homme le plus savant du royaume », disait Le Tellier, archevêque de Reims, en présentant le grand moine à Louis XIV, « et le plus humble », ajoutait Bossuet ; — Mabillon, dans Son Traité des Etudes monastiques (1691, — écrit en réponse à l’ouvrage de Rancé sur « la sainteté et les devoirs de la vie monastique »), a un chapitre où il parle des casuistes (Parlie II, ch. vii, ae édit., 1692, tome I, p. 3n) :

Il le commence par ces mots ; « Un des plus mauvais usages quel’on ait faitde la scolastique a éléla multiplication des Casuistes… » Il continue (p. 312) : aux premiers temps de l’Eglise, « on ne raffinait pas tant sur lu morale, mais depuis…, on a tellement subtilisé sur cette matière, qu’à force déraisonner, on a perdu quelquefois la raison, et on a vu avec douleur que la morale des payens faisait honte à celle de quelques casui-tes… » et (p. 314-5) :

« Loin donc que l’étude des casuistes soit un bon moyen

pour apprendre la morale chrétienne, il n’y a presque rien au contraire de plus dangereux que de les lire tous indifféremment ; et on se met en danger de te gvter l’esprit et le cœur, fi on ne sait distinguer les bons des mauvais. Il y a beaucoup plus de profit à lire les Offices de Cicéron qu’à étudier certains casuistes, lesquels, outre qu’ils sont d’une longueur infinie, ne sont bien souvent Capables que de jeter dans de plus grands embarras et de

donner de méchantes règles pour en sortir… ». Les moines, n’étant pas appelés à la conduite des âmes, n « nt pas à perdre leur temps à cette élude ; — quant à ceux d’entre eux qui auraient à faire du ministère, ils pourraient s’instruire en lisant quelques casuistes, dont Mabillon donne une liste (p. 316).

Ce n’est pas, on le voit, une condamnation radicale de la casuistique, mais, sans nul doute, une ciilique de ton développement jugé excessif et un désir d’en voir restreindre l’étude.

2 XIXe siècle. A). Politiques et Pamphlétaires. — Au cours du dernier siècle, avec des intermittences, les attaques contre l’enseignement moral des Jésuites ont été reprises sous les formes les plus diverses : livres, brochures, articles de presse, discours de Parlement… (voir A. Brou, Les Jésuites de la Légende, t. II, p. 199 sq.).

Plus encore qu’au temps de Pascal, elles atteignaient la théologie morale tout entière : dans leur ensemble, les doctrines morales de la Compagnie actuelle se conforment en effet à celles de saint Thomas et de saint Alphonse ; le « liguorisme » est même donné par certains de ces polémistes comme un triomphe du « jésuitisme ».

Si beaucoup de ees œuvres dépassent en violence les Provinciales, aucune ne les égale en esprit et en succès. Ne retenons, pour donner une idée de leur contenu, que l’une d’entre elles, — <i La morale des Jésuites » de Paul Bbrt (1879).

C’est une traduction d’extraits empruntés à deux ouvrages les plus représentatifs de la théologie morale du moment, le Compendium Th. mor. et Les Cas du P. Gury. Paul Bert, ayant prononcé un discours sur un projet de loi qui réorganisait l’enseignement supérieur et dont l’article 3 interdisait tout enseignement aux religieux, fut accusé d’y avoir falsiiié des textes du P. Gury : il se défendit en prétendant montrer dans les ouvrages de ce moraliste la persistance des « odieuses doctrines » stigmatisées par Pascal et condamnées par les Parlements de l’ancienne France.

Dans la préface, il nous confie les sentiments nés chez lui de la lecture du P. Gury : d’abord étonnement mêlé d’effroi devant la multitude des questions traitées, — puis stupeur devant l’absence de grandes règles générales, le parti pris de se mettre du côté des pécheurs, le dédain des lois civiles, le dévergondage

« d’imagination lubrique », la véritable
« érotomanie » de nombreuses pages, le mépris profond

pour la femme, le péril terrible que fait courir à la société un enseignement si contraire à tout bon sens et à toute générosité… « Je n’y puis, quant à moi, songer sans frémir… » (p. xliv).

Le P. Gury et les théologiens moralistes devenus les plus immoraux des docteurs et les pires des révolutionnaires ! … Voilà où peut en arriver un homme qui, en d’autres matières, passait pour ne pas ignorer les méthodes scientifiques, quand il se laisse emporter par la passion politique et la folie anticléricale I

B) Critiques et Philosophes. — Avec moins de violence dans la passion et plus de retenue dans la forme, beaucoup d’oeuvres de critique littéraire ou de philosophie religieuse, qui appartiennent à notre âge, restent sévères ou tout au moins très déliantes vis-à-vis de la casuistique du xvii 1’siècle et de la théologie morale des xix c et xx.

a) Par son Port-Royal, Sainte-Bbuve, est, semblet — il, celui qui contribua surtout à mettre chez nous le jansénisme à la mode : le rigorisme de Pascal et des solitaires devint, grâce à lui, la parfaite morale chrétienne ; la casuistique des Jésuites, ou même toute casuistique catholique, n’en saurait être que la