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THEATRE

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Dans ce sens, l’histoire de la Terre a une valeur apologétique spéciale. La Terre « raconte la gloire de Dieu » tout aussi éloquemment, plus éloquerument peut-être, que le liriuuinenl étoile.

Il y a autre chose, et, de l’histoire de la Terre, vue d’un peu haut, un enseignement se dégage, qui dispose l’esprit vers la croyance et lui fait trouver toute naturelle la notion d’une Providence divine gouvernant le monde. La lento élaboration do la planète en vue, semble-t-il, Je la création de la Vie ; le graduel développement de la Vie suivant un plan parfaitement précis et déterminé, en vue, seinble-t-il, d’un couronnement magnifique qui sera la création de l’Homme raisonnable et libre ; le règne végétal et le règne animal prenant possession de la surface terrestre, la préparant, pour ainsi dire, afin que l’homme y puisse vivre ; le règne de la pensée commençant ensuite, et la Terre, peu à peu conquise par l’homme, devenant cette chose inimaginable, un habitacle d'àmes plus ou moins conscientes, conscientes de leur immatérialité, de leur dignité quasi divine, de leur immortalité : voilà ce que rappellent incessamment au géologue ses méditations sur l’histoire de la Terre. Rien, mieux que cette histoire, ne témoigne de l’ordre du monde ; elle peut donc être utilisée par le chrétien, mieux que la plupart des autres sciences, pour raffermir sa propre foi et pour préparer à la croyance les hommes de bonne volonté qui l’entourent, et qui, simplement et humblement, cherchent Dieu.

Pierre Termier, de l’Académie des Sciences.

THÉÂTRE. — Les hommes ont-ils le droit de se divertir ?

A cela, Bossuet répond, non sans grandeur, mais avec une surprenante exagération, qu’on ne s’amuse pas quand on est chrétien '.

C’est là le thème fondamental des Maximes et Réflexions sur la Comédie. Pour le mettre en lumière et lui donner toute sa force, Bossuet appelle à la rescousse un certain nombre de Pères de l’Eglise et non des moindres, hostiles comme lui à la Comédie, mais avec bien plus de raisons que lui, puisqu’ils vivaient en ces temps lointains et troublés où le peuple romain, en pleine déliquescence, ne réclamait plus de ses Maîtres que du pain et des jeux,

« panent et circenses ».

Saint Thomas d’Aquin, qu’on ne s’attendait peutêtre pas à voir dans ce débat, mais que Bossuet y a lui-même introduit, pense au contraire que le divertissement est de droit naturel, en ce sens que l’homme, tel qu’il est, a besoin de se divertir, de se récréer. En l’arrachant à ses soucis matériels, en le distrayant de ses travaux utiles, et surtout en le mettant en contact direct avec la beauté, l’art en particulier, qui est le plus noble des divertissements, lui ménage un repos digne de lui, et le met en état de reprendre sa tâche avec courage et une conscience plus haute de sa dignité 2.

Qui, de Bossuet ou de saint Thomas, a raison, du point de vue de la Doctrine de l’Eglise et de l’expérience ?

En réalité, ils ont raison tous les deux, mais à des points de vue bien différents. Bossuet a raison de tonner contre les mauvais spectacles, ceux qui, par les sujets qu’ils traitent, ou plutôt qu’ils mal 1. Bossuet, Maxime » et Réflexion » sur la Comédie.

2. StT.io.MAS, II » II'* ; Quest. 178 : ait. 2. Tout l’article est à lire, tant ii est solide dans ses affirmations, mesure lans ses réserres.

Tome IV.

traitent aux dépens de l’Art à la fois et de la Morale, sont de nature à démoraliser les spectateurs ; mais il a tort de croire qu’il ne peut y en avoir de bons, à cause d’une prétendue corruption de la nature humaine. Pour lui, en effet, la nature humaine a bien l’air d'être corrompue parla faute originelle ; le feu de la concupiscence ne cesse de couver en chacun de nous sous la cendre du péché héréditaire et peut (lamber d’une minute à l’autre sous l'étincelle du moindre divertissement. En cela, Bossuet, qui pourtant n'était pas janséniste, exagère ; Nicole, qui l'était, a écrit de la même encre que lui sur la Comédie et donne à peu près les mêmes raisons de la condamner. Au contraire, saint Thomas, avec le Concile de Trente, rejette nettement l’idée d’une corruption originelle et héréditaire de la nature humaine. Pour lui, le péché a blessé l’homme dans sa chute, mais n’a pu corrompre sa nature ; ses forces morales en sont amoindries, mais non annihilées ; il peut encore, même sans le secours de la Grâce, vivre en honnête homme, quoique difficilement. Par contre, avec la Grâce, il reprend son équilibre. Fort des vertus qu’elle répand dans ses puissances de représentation, d'émotion et d’action, il peut remédier au dérèglement originel de ses passions, et dompter en lui la concupiscence. En un mot, il peut, étant chrétien, vivre au moins en honnête homme. Dès lors, pourquoi le divertissement, qui est de. droit naturel, ne lui serait-il pas permis à certaines conditions ?

C’est tellement la pensée de saint Thomas, qu’il assigne à une vertu spéciale — l’Eutrapélie — le soin de mettre tous les divertissements sous le contrôle de la raison *. Car c’est là, pour lui, le propre de la vertu, de régler ainsi tous nos actes, des plus humbles aux plus sublimes, sans en excepter aucun. Bossuet se fait de la vertu une tout autre conception. Il y voit quelque chose de noble à la fois et d’austère, de farouche et de rare, de propre aux grandes actions, d’inhabile aux vulgaires. Il ne conçoit surtout pas qu’il puisse y eu avoir aucune qu’on députe au règlement rationnel des divertissements, allant de la simple plaisanterie au plus émouvant des spectacles. L’Eutrapélie ne lui dit rien qui vaille. Donc pas de divertissement, d’aucune sorte. C’est plus sûr. Notre nature corrompue, même rachetée, ne le supporte pas ; nous n’avons rien d’efficace à notre disposition, pas même la Grâce ni la vertu, pour en neutraliser en nous les effets malfaisants.

Le fait est cependant que les hommes ont toujours aimé les spectacles, et qu’ils ne s’y sont jamais jetés avec plus d’avidité que de nos jours. En face de ce fait universel, quel parti prendre, celui de Bossuet, ou celui de saint Thomas ?

Je crois qu’il les faut prendre tous les deux. Avec Bossuet, nous ne protesterons jamais assez contre l’immoralité des spectacles d’aujourd’hui, et la perversité des mreurs. Mais avec saint Thomas, nous soutiendrons qu'à ces mauvais divertissements, on peut et on doit eu substituer de bons ; que la Religion et l’Art doivent venir tous deux, chacun à leur manière, au secours de la Morale outragée.

Que faut-il faire pour cela ? Deux choses, à notre avis, dont l’une concerne les Comédiens, et l’autre la Comédie.

En ce qui concerne les Comédiens, nous n’avons plus le droit de les rejeter en marge de l’humanité, sous prétexte qu’en divertissant les hommes ils contribuent à les démoraliser, puisqu’au contraire,

1. St Thomas, ibidem. Tout est question de mesure : in medio virtus.

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