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PRAGMATISME

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la mort et c’est là une prévision dont on se détourne le plus possible. L’immortalité, quoi qu’on ait prétendu, a certainement une valeur morale, car s’il n’y a pas de vie future, la perfection à laquelle une personne humaine a pu s’élever périt avec elle ; c’est une perte morale sans compensation. Si l’on considère les sanctions d’outre-tombe comme des résultats et non comme des motifs de la conduite d’une personne, l’affirmation d’une autre vie n’a rien d’immoral. Enfin, l’attente, l’espoir de cette nouvelle existencene peutnuire à l’intérêt que l’homme prend à la vie présente, à l’activité qu’il doit y déployer, si la seconde existence est considérée comme le complément de la première, comme une vie dans un meilleur monde moral et non dans un monde qui s’opposerait totalement à celui-ci.

La morale est donc intéressée à l’existence d’un autre monde. La validité du postulat moral est le fondement de la preuve d’une seconde vie. Or, ce postulat est aussi légitime que celui de la science. Nous pouvons et nous devons croire que notre univers comporte la moralité, de même qu’il se prête à la connaissance. Toutes les valeurs se tiennent ; elles restent debout ou tombent ensemble, car le postulat qui enferme tous les autres est l’hypothèse que notre univers est un cosmos, qu’il réunit tous les éléments de la perfection, Vérité, Bonté, Bonheur, Beauté. Pour qui voit mourir un homme, ces deux suppositions : l’âme a été détruite, elle a seulement quitté le corps, paraissent avoir d’égales chances. Mais une preuve scientifique de l’annihilation de l’âme est rigoureusement impossible ; au contraire, si nous rejetons l’idée préconçue que la mort consiste dans une rupture absolue des relations entre vivants et trépassés, si nous imaginons que le mode de communication est seulement changé, nous concevons alors qu’il soit possible d’établir la survivance avec un aussi haut degré de certitude que celui que nous pouvons atteindre pour nos autres croyances concernant des faits. L’existence et la nature de cette autre vie sont donc alfaire de recherche expérimentale.

Les vues de M. Dewey sont assez différentes de celles de James et de M. Schiller en matière de philosophie religieuse, et l’attitude positiviste qu’il adopte nous dispense d’en faire un exposé aussi étendu. La religion est née du besoin d’assurer la perpétuité des valeurs qui intéressent l’homme. Tant que l’on considère la réalité et les lois qui la régissent comme indépendantes de notre pensée ainsi que des désirs et des sentiments qui l’inspirent, il est naturel que l’on songe à mettre en sûreté nos intérêts spirituels grâce à la protection de la divinité, qu’on en fasse aussi l’objet de croyances particulières constituant un domaine séparé, à l’abri des attaques delà science. Mais si le fait et l’idée n’expriment que des fonctions diverses au sein d’une seule et même expérience ; s’ils ne sont pas de nature différente et que l’idée qui harmonise une situation passe par là même à l’état de fait, de réalité pleine et entière, alors nous n’avons pas besoin de franchir les limites de l’expérience. Toutes les valeurs auxquelles nous attachons de l’importance peuvent y rire produites et maintenues par effort humain. Nul besoin d’un Dieu transcendant, rien à craindre des lois naturelles, qui ne sont que des instruments que l’homme s’est forgés pour amener les choses à correspondre à ses vœux. Rien non plus à redouter de la science, puisque, de la sorte.il n’y a plus d’affirmations spéciliquement religieuses et que toutes nos croyances sont de même nature.

V. Critique du Pragmatisme. — Pour apprécier une doctrine, on peut, soit l’envisager dans ses rap ports avec d’autres systèmes qu’elle trouve en possession d’une certaine influence sur les esprits au moment où elle s’élabore, soit la considérer en elle-même, examiner sa cohérence, son accord avec l’expérience, avec l’ensemble de nos connaissances scientifiques. Si nous regardons le pragmatisme du premier de ces points de vue, il faut reconnaître qu’il a fait œuvre utile en combattant en métaphysique l’absolutisme idéaliste, en psychologie la théorie qui fait de la conscience un simple résultat sans aucune action sur le cours de la vie intérieure, ni sur le monde corporel, l’épiphénoménisme. Contre le premier, il a établi la réalité de la personne humaine, lalégitimité deses plus hautesaspirations ; il a aussi montré que, pour être partielle, une connaissance n’en est pas moins une vérité, que ce qu’il y a d’incomplet en elle, comme dans les choses sur lesquelles elle porte, ne les réduit pas à n’être que de simples illusions, la Vérité et la Réalité n’appartenant qu’au Tout. Contre le second, il a relevé de nombreux indices de l’activité consciente de l’esprit et montré que certaines modifications du réel doivent lui être attribuées. Dans le domaine de la philosophie religieuse, il a réagi contre un matérialisme étroit, affirmé la valeur de la foi, son influence profonde et salutaire ; il a contribué à attirer l’attention sur les faits de la vie spirituelle, en particulier les états mystiques, invité à en faire une étude attentive, à user de discernement pour en fixer la valeur intellectuelle, morale et sociale, au lieu de les traiter uniformément comme des tares ou des phénomènes morbides. Enfin, d’une manière générale, par son principe même, il a insisté sur la nécessité de faire de la pensée un usage digne de sa valeur et exclu tout dilettantisme intellectuel.

L’influence favorable du pragmatisme provient donc des vérités qu’il a retrouvées et corroborées par des considérations nouvelles. Toutefois les arguments employés sont loin d’être tous irréprochables, et s’ils portent contre l’adversaire, cela tient souvent à la faiblesse de sa position et non à la rectitude des idées adoptées par celui qui la critique. Aussi, quand on examine le pragmatisme, non plus dans son opposition à l’absolutisme ou au matérialisme, mais en lui-même, on trouve qu’il transforme vite en erreurs, par de graves exagérations, les vérités qu’il venait de redécouvrir. L’apologi> te catholique ne doit donc user qu’avec une extrême circonspection des arguments que peut lui fournir cette doctrine qui, pour se ménager la faveur des croyants et, en particulier, des chrétiens, fait souvent valoir les avantages qu’elle offre pour la défense de la foi religieuse. Ces avantages sont illusoires, en majeure partie ; les abords de la vérité y sont hérissés de tant d’erreurs qu’on risque de s’y empêtrer et de ne, pas atteindre ce qui valait la peine d’être recueilli. i° Le Pragmatisme comme Méthode. — Quand on le considère à ce premier point de vue chez Pkirrb et chez James lui-même, on s’aperçoit qu’il revient à ériger la méthode expérimentale en méthode universelle. Ils insistent, en effet, sur les résultats concrets qui forment le contenu de l’idée et lui donnent sa signification. Pour avoir un sens, une idée doit toujours produire une différence quelque part dans l’expérience. Nous nous trouvons en présence d’une erreur analogue à celle de Descartes, qui avait érigé en méthode unique une méthode calquée sur celle des mathématiques. De part et d’autre, on suppose gratuitement que les divers ordres de réalités ont une nature semblable et que ce qui nous met en relation avec l’un est capable aussi de nous frayer un accès vers l’autre. Il est bien vrai que 1 toutes nos idées ont d’une certaine façon une ori-