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sait vouloir, si, d’antre part, ils sont humains et pitoyables, n’auraient-ils point, le 20 août 1308, forgé de toutes pièces ces aveux des hauts dignitaires ou de tt-is d entre eux, alin de pouvoir, avec chance de succès, terminer leur rapport au roi par une demande en grâce. Ce seraitk mensonge utile…, le mensonge compatissant, mais du même coup diffamant » ; P. Viollet, Iiérenger Fiédol, canomste, dans Histoire littéraire de la France, t. XXXIV < 1 y 1 4), p. 116.

L’hypothèse ingénieuse échafaudée par P. Viollet se heurte à des dillicultés. Les interrogatoires de Chinon se passèrent, non point en présence des trois seuls cardinaux, mais de quatre notaires, de plusieurs h bonnes personnes », parmi lesquelles figuraient Nogaret et Plaisians, intéressés à perdre le grand maître. Si celui-ci avait révoqué les aveux de 1307, les agents du roi n’eussent point manque de mettre en œuvre l’arme redoutable qu’on leur plaçait dans la main (G. Lizkrand, Les dépositions du grand maître Jacques de Molai au procès des Templiers ( 1307-1 3 1/1) dans le Moyen-Age, t. XVII, 2e série (1913), p. 81-10O).

La raison des variations de Molai se trouve dans les divers interrogatoires qu’il subit. L’héroïsme n’était point son fort. La peur le dominait. Les enquêteurs de iiiotj se chargèrent de la réveiller en lui ; comme réplique à ses sentiments d’indignation, dont la cause reste obscure, ils dirent : < L’Eglise juge hérétiques ceux qu’ellereconnait tels. Elle abandonne les obstinés au bras séculier. » C’était proférer clairement une menace de mort. Puis Guillaume de Plaisians et Guillaume de Nogaret se chargèrent de démontrer au prisonnier les dangers qu’il courrait, s’il se rétractait : « Vous savez comme je vous aime, ne sommes-nous pas tous deux chevaliers ? Je ne veux pas que vous vous perdiez » ; Ch. V. Langlois, article cité delà Kevue des Deux-Mondes, t. CIII, p. 405-4c>7 etMiciiRLRT, Procès des Templiers, t. I, p. 34-35, 42-45, 8788. Molai comprit. Le 28 novembre 1300, « interrogé par lesdits seigneurs commissaires sur le point de savoir s’il voulait défendre l’ordre susdit, il répondit qu’il était un chevalier illettrée ! pauvre et qu’il avaiteompris par la teneur d’une lettre apostolique qu’on lui avait lue que le seigneur pape s’était réservé de le juger, lui et quelques autres dignitaires des Templiers, et que pour cette raison, présentement, dans l’état où il se trouvait, il ne voulait rien faire d’autre à ce sujet » ; G. Lizkrand, Le dossier de l’affaire des Templiers, p. 1 65. Après quoi, Molai supplia les tribunaux « de faire comprendre au pape qu’il eût à le convoquer le plus vite possible en sa présence, parce qu’alors seulement il dirait, dans la mesure de ses forées, au seigneur pape ce qui était à l’honneur du Christ et de l’Eglise » ; Lizerand, ibidem. Il se tait donc par crainte des gens du roi, et place son dernier espoir dans une audience pontilicale. Cette consolation lui fut refusée. Quand, le 18 mars 1314, il s’entendit condamner à la réclusion perpétuelle, il se jugea perdu. Mais, cette fois, s’armant de courage, il soulagea sa conscience du poids des mensonges qui l’opprimaient et témoigna en faveur de son ordre jusqu’à son dernier soupir.

XIX. Présomptions en faveur de l’innocence des Templiers. — Du récit des diverses phases du procès des Templiers qui a été fait jusqu’ici, l’innocence des Templiers semble devoir ressortir avec quelque évidence. Il y a de fortes présomptions en leur faveur. D’abord si Clément V supprima l’ordre du Temple-, il ne le condamna pas. Il procéda par voie de provision (per modum provisionis) et justifia

I sa décision — ce qui n’est pas contestable — par le scandale inouï que le procès avait soulevé dans la Chrétienté. L’ordre était trop diffamé et trop perdu de réputation pour subsister dorénavant.

D’autre part, le procès des Tefnpliers paraît truqué et porte une marque de fabrique authentique, celle de Guillaume de Nogaret. On retrouve dans la poursuite acharnée contre les Templiers la même tactique que duns les affaires de lioniface VIIl et de Guichard, évêque de Troyes : guerre de pamphlets, convocation des Ktals, harangues au bon peuple, procédés violents, accusations de crimes d’hérésie, apparitions grotesques de démons succubes et incubes, .. (A. IIigauo, Le procès de Guichard, évêque de Troyes, Paris, 1896, et Ch. V. Langlois, Histoire de France, d’E. Lavisse, t. III, ae partie, p. 201-221). Dans tout le développement du procès, on retrouve non dissimulée la main de Nogaret. Comme en 1306 pour les Juifs, comme en 1291 pour les banquiers lombards, l’arrestation des Templiers est soudaine. Ce coup semble être de son invention, car il prend le grand sceau le 22 septembre précédent. C’est lui qui arrête les Templiers résidant à Paris, qui dresse l’acte d’accusation contre l’ordre et qui, au mépris de tout droit, assiste, en propre personne ou par l’intermédiaire de son âme damnée, Guillaume de Plaisians, à 1 interrogatoire des inculpés. Aux Etats de Tours,.-, 0Il rôle est prépondérant, puisqu’il a reçu la procuration de plusieurs grands seigneurs languedociens (H. Holtzmann, Wilhelm von Nogaret, Fribourg-en-Brisgau, 1898).

Nous ne saurions affirmer si Nogaret fut l’inspirateur de la politique royale ou seulement l’instrument de Philippe le Bel. Quoi qu’il en soit, le roi et son ministre sont les artisans îesponsables de la suppression des Templiers. Pour réaliser leur plan, ils ont exercé une pression formidable sur un pape valétudinaire, d’une nature molle et conciliante. Ils ont usé d’une arme perfide, en tenant Clément V sous la menace perpétuelle de voir reprendre le proeè- ; de Boniface VIII. De la sorte, ils ont triomphé des répugnances du pontife et l’ont incliné à des concessions qui peuvent paraître excessives.

XX. La responsabilité de Philippe le Bel et de Clément V- — L’accusation portée contre le roi de France et son ministre appelle une justitication. Quels motifs déterminèrent Philippe le Bel à poursuivre la destruction de l’ordre du Temple avec tant d’acharnement ? S’il est difficile de les savoir avec certitude, on peut, du moins, les supposer.

Remarquons dès l’abord qu’aucun malentendu ne s’était produit entre le roi et l’ordre avant 1 année 1 : > < 1 7. Au moment du conflit avec Boniface VIII, le Temple s’était même rallié au monarque qui, en témoignage de reconnaissance, avait confirmé ses privilèges (131 » 4). Le 12 octobre 1307, aux funérailles de la femme de Charles de Valois, le grand maître Jacques de Molai tenait un des cordons du poêle. La politique européenne des Templiers n’avait jamais été antifrançaise. Leur puissance ne pouvait porter ombrage : un document de 1308 évalue le nombre des chevaliers en France à 2.000 seulement (Finkk, Papsttum und Untergang des Templerordens, t. II, p. Il 4) Enfin, la gestion des deniers royaux n’a été l’objet d’aucune critique.

Les biens du Temple auraient-ils excité la cupidité de Philippe le Bel ? Les contemporains l’ont pensé (Gestes des Chiprois, dans Historiens des Croisades. Documents arméniens, Paris, 1906, t. II, p. 866-870). Des indices assez probants fortifiaient en eux cette croyance. Ils avaient vu le roi sans cesse aux prises avec d’impérieux besoins d’argent,