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TEMPLIERS

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phalemenl à l’appui des accusations des légistes de Philippe le Bel. Or, les perquisitions opérées à l’iniprovisie par les sergents du roi, le 13 octobre 1307, n’ont fourni aucune pièce à conviction. On ne saisit que des copies delà règle si pure et si noble donnée à l’ordre par saint Bernard, des traductions de la Bible en langue vulgaire, une foule de journaux de comptabilité. Il n’y a donc aucune preuve matérielle des infamies imputées aux Templiers.

XVII. Valeur des témoignages oraux. — Les témoignages oraux entendus au cours des procès prouvent-ils la culpabilité ? Il convient de distinguer ceux qui émanent des témoins à charge de ceux qui proviennent des inculpés.

Les témoins à charge, on l’a vii, furent des gens équivoques, des transfuges de l’ordre, des tarés, intéressés à plaire au roi de France, dont ils espéraient des laveurs et qui, de fait, leur en octroya, en tout cas heureux d’exercer leur vengeance. De tels hommes ne méritent pas créance.

Restent les aveux multipliés et explicites obtenus des Templiers eux-mêmes en France, qui sont impressionnants et déroutent le jugement, à première vue. Un examen critique s’impose.

Tout d’abord la brutalité des procédés royaux d’enquête explique, excuse su’lisarament l’abondance des aveux. La torture appliquée sans mesure les vicie radicalement. Comment résister à la rigueur de tourments tels que ceux que nous dépeint Bernard de Vudo ? » J’ai été tant torturé, on m’a tenu si longtemps devant un feu ardent, que la chair de mes talons est biûlée ; il s’en est détaché ces deux os que je vous présente. Voyez, ajoutet-il en s’adressant aux commissaires pontificaux, s’ils manquent à mon corp-> » ; Raynohabd, Monuments historiques relatifs à la condamnation des Templiers, Paris, 1813, p. 73. A Paris, trente-six prisonniers moururent des suites de la question que leur infligèrent les tortionnaires de l’évêque

(R.A.YNOUARD, Op. cit., p. 63).

Les ordres du roi, rappelons-le, étaient formels. La procédure, suivie dans l’affaire, ne laissait qu’un moyen d’échapper au bûcher : l’aveu. C’est le parti prudent auquel se rangèrent des gens peu instruits, déprimés par une longue détention, apeurés par les menaces de leurs geôliers ou intimidés par les légistes qui surveillaient les interrogatoires.

Dès qu’au contraire les Templiers se trouvent en présence des enquêteurs pontilicaux, se croyant libres de parler et dédire la vérité, ils se rétractent en masse. Philippe le Bel est si peu convaincu de la sincérité des premiers aveux arrachés par la violence à ses prisonniers, qu’il ne permet ni à Jacques de Molai, ni aux dignitaires de l’ordre, de comparaître devant le pape, en 1308, et qu’il lui adresse des témoins à sa dévotion, dûment chapitrés.

Si l’unanimité des premiers aveux est incontestable, elle est largement mise en échec par les afiirmations solennelles en faveur de l’innocence de l’ordre. Eu 1310, six cents chevaliers se levèrent pour le détendre Quant à ceux qui sont détenus dans les prisonsroyales, leurs déclarations méritent d’autant plus de créance que pour rester (idèle à la vérité il fallait un courage peu commun. La rétractation, ils le savaient, entraînait avec soi l’aveu du parjure et équivalait à être considéré comme relaps ; c’était la peine du bûcher en perspective.

Examinons encore, en elles-mêmes, les dépositions des Templiers qui se sont reconnus coupables, en octobre et en novembre l307< Par peur du bourreau, les incriminés ont répondu par l’allirmati veaux questions qu’on leur posait. Mais, dès que les juges

insistent pour obtenir des détails circonstanciés, le » infortunés se contredisent et donnent l’impression qu’ils inventent, lléclaine-t-on d’eux la description de l’idole en forme de tête qu’ils ont avoué avoir adorée, ils donnent les réponses les plus contradictoires. // n’y en eut pas deux à donner les mêmes détails. Pour l’un, cette tête était blanche, noire pour l’autre, dorée pour un troisième ; un quatrième lui avait vu des yeux flamboyants d’escarboucle. un cinquième deux faces, un sixième trois faces, un autre deux paires de jambes, un autre trois têtes. Celui-ci dit : a C’était une statue », et celui-là : « Une peinture sur une plaque. » « On croyait, dit l’un, que c’était le Sauveur. » C’était, dit l’autre, « Bahomet ou Mahomet. » Pour ceux-ci, c’est le Dieu créateur qui fait fleurir les arbres et pousser les moissons ; pour ceux-là un ami de Dieu, un puissant intercesseur. Quelques-uns l’ont entendu parler. D’autres l’ont vu se transformer brusquement en chat noir, ou en corbeau, ou en démon, sous forme de femme ; Ch. V. Langlois, Le pr.pcès des Templiers, dans Revue des Deux-Mondes, t. CII1, (1891), p. 415.

A supposer que les cérémonies de l’admission aient été longtemps entachées de rites blasphématoires et ignobles, il est invraisemblable que rien n’en ait transpiré au dehors. Comment, parmi les hommes notoirement pieux qui furent Templiers, n’y en eut-ilaucun à protester ? Comment de telles horreurs, dans un ordre où entraient nombre d’honnêtes gens, aurait il fait sa doctrine et sa règle ?

Mais le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. Si l’on admet un instant que les Templiers se soient livrés à de coupables pratiques et à d’odieuses erreurs.il se présente une autre invraisemblance, à savoir que l’hérésie, dont ils auraient été les dupes, n’ait pas compté parmi eux un seul martyr, contrairement à ce qui a eu lieu de tout temps parmi les sectes hétérodoxes. Pas un Templier ne persiste dans les erreurs qu’il confesse ; ils abjurent tous, sans une ombre d’obstination. Aucun illusionné ne périt pour défendre sa croyance ou pour soutenir l’honneur de ses pratiques. Le feu ne dévore que ceux qui refusent de s’avouer coupables ou rétractent des aveux arrachés par la violence ou la crainte des supplices.

XVIII. Attitude du grand maître Jacques’de Molai. — L’attitude de Molai constitue une énigme. Les 24 et aô octobre 1807, il avoue les crimes dont on accuse l’ordre ; au printemps suivant, il se rétracte en présence des commissaires pontilicaux ; en août 1308, à Chinon, nouveaux aveux ; en novembre 130q, sans répéter ceux-ci, il ne défend pas l’ordre ; le 18 mars 1 3 1 4 > il meurt sur le bûcher en protestant de son innocence. Que penser de ces rétractations successives. Feu P. Viollet a tenté de résoudre la ditlieulté. Il constate qu’en novembre 1300, , quandon lut à Molai la déclaration censément faite à Chinon, le grand maître se signa par deux fois et dit « que si les seigneurs commissaires étaient gens à entendre certaines paroles, illesleur dirait à l’oreille ». —

« Nous ne sommes pas ici pour recevoir le gage de

bataille », répliqua-t-on. — « Plût à Dieu, répartit Molai, qu’on traitât pareils scélérats comme font les Sarrasins et les Tarlares ! A de tels coquins Sarrasins et Tartares tranchent les têtes ou coupent les corps par le milieu. » Qui sont ces scélérats, sinon ceux qui ont mensongèrement rapporté au pape et falsifié l’interrogatoire de Chinon, c’est-à-dire les trois cardinaux Etienne de Suizy, Bérenger Frédol et Landolfo Brancacci ? Si ceux-ci « savent en effet, que le roi veut des aveux et les veut comme un roi