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PRAGMATISME

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sa censure. « Ceux dont le caractère est mou, la dévotion intense, et l’intelligence faible, sont portés à s’absorber par l’imagination dans le sentiment de l’amour de Dieu, à l’exclusion de toute préoccupation pratiquent de tout intérêt humain ; élat d’esprit naïf et peut être innocent, mais trop étroit pour qu’on l’admire… Comme il n’y a pas de nom pour désigner cet abandon langoureux à une dévotion outrée, je l’appellerai Yêl&llhéopathiqtie. » (fb,. p. 296) Autantdire que c’est là une maladie religieuse. Pourtant James reconnaît qu’il y a dans ce qu’il estime une exagération de la vertu et de l’ascétisme des ferments de vie meilleure pour la masse du genre humain. La charité, allant jusqu’à supporter tous les maux dont on l’accable, sans jamais essayer de les repousser, produit parfois des effets supérieurs à la force. L’extrême austérité de vie est un exemple d’héroïsme bien supérieur au culte de la richesse. Le saint apparaît comme un personnage d’élite, fait pourune société qui surpasse de beaucoup l’état présent de l’humanité et dont il prépare ainsi la formation. Ce que les mystiques éprouvent leur impose certaines croyances, mais leurs convictions ne sauraient être admises d’emblée par les autres. Ces croyances ne sont d’ailleurs pas unanimes, et si, dans nombre de cas, elles se rattachent à une certaine forme de panthéisme, si l’unité de l’homme et de la divinité est affirmée, d’autres fois, au contraire, comme chez les mystiques catholiques orthodoxes, la distinction substantielle de la personne du contemplatif et de l’Etre divin est fermement maintenue.

Le critère pragmatiste est également appliqué aux perfections que la philosophie scolastique reconnaît en Dieu. James rejette les attributs purement métaphysiques, pour ne retenir que les attributs moraux. « L’aséité de Dieu, sa nécessité, son immatérialité, sa simplicité, son indivisibilité, son indétermination logique, son infinité, sa personnalité métaphysique, son rapport avec le mal, qu’il permet sans le créer : sa suffisance, son amour de lui-même, et son absolue félicité : franchement, qu’importent tous ces attributs pour la vie de l’homme ? S’ils ne peuvent rien changer à notre conduite, qu’importe à la pensée religieuse qu’ils soient vrais ou faux ? » (Ib., p. 3^5) Cela peut fournir matière aux théologies qui ne sont que des formations secondaires se surajoutant à l’intuition de l’invisible, mais cela n’est pas un facteur réel dans la vie des âmes simples.

Les attributs moraux ont une tout autre valeur, car ils éveillent la crainte et l’espérance : « Dieu, étant saint, ne peut rien vouloir que le bien ; omnipotent, il peut en assurer le triomphe ; omniscient, il nous voit jusque dans les ténèbres ; étant toute justice, il nous punit pour nos fautes cachées ; tout amour, il nous pardonne. Puisqu’il est immuable, nous pouvons compter sur son amour. » (/t., p. 3^6) Les conceptions tliéologiques ne peuventse fonder sur le raisonnement. Kanta balayé les arguments de la théodicée classique, et l’idéalisme kantien, même sous la forme que lui ont donnée Hegel et le néohégélianisme, ne réussit pas davantage à fonder la religion sur la pure raison. Le seul moyen pour ces conceptions de se faire admettre, c’est de prouver qu’elles ont une valeur pour la vie concrète. Le pragmatisme, alors, ne refuse pas de les tenir pour vraies, dans cette mesure.

Considéré de ce point de vue, le Dieu du théisme apparaît comme inférieur ; car la dualité radicale de cet Etre et du inonde empêche l’intimité entre l’àme humaine et la divinité. En rejetant ce créateur externe, le panthéisme a réalisé un progrès ; pour tant il n’a pas supprimé toute distance. Sous la forme qu’il revêt dans l’absolutisme, cela devient très sensible. Le monde n’étant qu’un objet de pensée pour l’Absolu et chaque conscience humaine étant numériquement identique à la conscience de l’Etre total pour la part qu’elle représente, s’il est vrai que.jointeà tout le reste, cette conscience humaine constitue la connaissance parfaite, en elle-même elle reste partielle, relative, et tous les maux qui résultentde son ignorance n’affectentqu’elle. L’Absolu connaît toutes ces imperfections, il n’en souffre point. Est-ce à dire que le dieu du théisme, comme celui du panthéisme, n’ont aucune valeur pragmatique ? James ne le prétend pas : il reconnaît au contraire que pour les âmes délicates, avides de quiétude et de sécurité, ces manières de concevoir l’Etre suprême sont précieuses. Elles leur donnent la certitude que le salut du monde est non seulement possible, mais déjà assuré, et même réalisé, quand il s’agit de l’absolutisme. Ces âmes peuvent donc prendre ainsi des « vacances morales », puisqu’elles savent qu’elles n’ont aucune responsabilité à l’égard du cours que suiventles choses.

James, pour son compte, — et il estime que tous les cœurs virils doivent partager son opinion, — marque sa préférence pour un Dieu fini. Il en parle parfois avec une trivialité assez répugnante, forçant l’expression de sa pensée pour mieux l’opposer auxdoctrines qu’il combat : « Le prince des ténèbres peut bien être un gentilhomme, comme on nous l’affirme ; mais le Dieu du ciel et de la terre, quel qu’il soit, ne peut sûrement pas être un gentilhomme. Nous avons besoin de ses services de valet parmi la poussièrede nos épreuves humaines, encore plus que l’on n’a besoin de sa dignité dans l’empyrée. » (Pragrnatism. ^.’ja) Ce Dieu possède une personnalité analogue à la nôtre ; il peut être beaucoup plusintelligent, juste, saint et puissant que nous, James va jusqu’à concéder que ce qui reste en dehors de lui peut se réduire à presque rien ; pourtant il n’est pas tout. Il a une œuvre à faire, et s’il nous aide, nous aussi nous pouvons collaborer avec lui.

Quelles preuves James apporte-t-il de la vérité de cette conception ? D’abord, un argument négatif. Avec l’idée du Dieu fini, les terribles difficultés métaphysiques et morales de l’existence du mal s’évanouissent. Ce Dieu n’a pas à répondre de l’imperfection de l’univers et de toutes ses suites fâcheuses, il n’a qu’à lutter comme nous pour les faire disparaître. Puis, cette raison positive : la seule vérité que l’expérience religieuse « prouve sans équivoque, c’est que l’àme peut s’unir à quelque chose de Plus Grand et trouver ainsi la délivrance ». (/.’Expérience Religieuse, p. 434) Ici intervient la théorie du moi subliminal, empruntée au psychologue anglais Myiîrs. Nous n’avons une connaissance claire de notre personne que dans une certaine zone, mais la limite de notre connaissance distincte de nousmême n’est pas celle de notre personnalité. Celle-ci s’étend encore au-dessous du seuil (sub limine) de notre perception claire et nous ne pouvons dire jusqu’où elle va. « Mon hypothèse est donc celle-ci : quel qu’il puisse être au delà des limites de l’être individuel qui est en rapport avec lui dans l’expérience religieuse, le « plus grand t fait partie, en deçà de ces limites, de la vie subsconsciente… Dans Pcx périence religieuse, cette force apparaît, il est vrai, comme étant d’un ordre supérieur ; mais puisque, suivant notre hypothèse, ce sont les facultés les plus hautes du moi subsconscienl qui interviennent, le sentiment d’une communion avec une puissance supérieure n’est pas une simple apparence, mais la vérité même. » (lb., p. 4* ?)