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SUBCONSCIENT ET INCONSCIENT

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cboses sans se connaître elle-même ' ? Chétive créature humaine, imparfaite et dépendante, je pourrais me posséder moi-même en disant « moi », j’y trouverais le caractère distinctif qui fonde ma noblesse de personne et m'élève à un rang hors pair parmi les autres créatures visibles, — et l’Etre absolu, celui qui esi par soi et par qui sont toutes choses, celui qui ne relève que de luimême dans une souveraine indépendance et de qui dépendent tous les autres êtres dans une absolue sujétion, celui-là s'échapperait à lui-même et ne serait point soi ni pour soi ! Qui supportera cette pensée ? Et qu’on nous dise donc pourquoi l'être absolu et premier serait celui qui ne se connaît point, et le relatif et le dérivé celui qui se connaît ? pourquoi l'è.re qui ne se connaît pas prévaudrait sur celui qui se connaît et en serait, pour ainsi din-, précisément empêché de se connaître ? Qui donc peut empêcher l'être absolu de se connaître, et pourquoi chez lui le néant de la conscience, que le pessimiste imagine en son cœur insensé, l’emporterait-il sur l'être de la conscience ? et vaul-il mieux que l’Absolu ne se connaisse pas que de se connaître (cf. Bossuet, Elévations, i" semaine, i re élév. On nous pardonnera cette sorte de pastiche.) ?

— Mais en fait, nous ne nous connaissons nousmêmes, nous ne prenons conscience de nous-mêmes qu’en nous distinguant d’autre chose, et donc en nous limitant : « notre moi ne se pose qu’en s’opposant un non-moi ». — Justement, ce n’est là qu’un fait, en un sens, qui s’explique, au fond, comme celui de la dépendance de notre pensée par rapport à l’organisme : ne nous connaissant que par nos actes, et n’agissant à l’origine que sous la détermination d’un objet, il n’est pas étonnant que nous ne prenions conscience de notre existence que dans son contraste avec une existence étrangère. D’autre part, si nous sommes limités, ce n’est pas grand' merveille non plus, apparemment, que nous nous connaissions comme tels et que l’idée du moi soit pour nous inséparable de celle d’un non-moi qui la circonscrive. Mais ce n’est là qu’une condition spéciale et relative de la conscience en nous, êtres finis, précisément : ce n’est pas une condition universelle et absolue de la conscience en s >i, surtout s’il s’agit de l'être infini. Car enfin, il faut le redire, nous voudrions bien savoir ce qui pourrait empêcher l'être qui est par soi, et intelligent par soi, d'être aussi conscient par soi, pourquoi sa suprême perfection lui coûterait cette perfection par excellence qui s’appelle être pour soi. On parle d’anthropomorphisme, indigne de la majesté de l’Absolu : le voilà, le véritable anthropomorphisme, celui qui assujettit l’Absolu à une loi qui ne régit que noire conscience relative et finie, celui qui lui interdit de ce chef de se connaître lui-même. Bref, l’anthropomorphisme, ici, ne consiste pas à attribuer la conscience à l’Absolu, mais à la lui refuser.

Ce qui est vrai donc, et ce qui résulte de nos explications précédentes, c’est que la conscience que l’Absolu ou l’Infini a de lui-même n’est pas tout à fait une conscience comme la nôtre, c’est-à-dire sujette à la relativité et à la limitation : la conscience de l’Absolu et de l’Infini est absolue et infinie comme lui. Il ne serait pas difficile de montrer que là-dessus tout le monde est d’accord et qu’il échappe à Hartmann, tout le premier, de parler dans ce sens. Seulement, et comme on peut le prévoir après tout ce

1. Cf. t. ii, p. 217. « Cette vue (de l’intelligence suprême) ne te voit pas elle-même ef voit seulement son objet, te monde ; et cet œil, qui « oit toutes choses, a besoin, pour se voir lui-même, d'être réfléchi dans le miroir de la conscience in lividuelle ».

qui précède également, il n’y vient lui-même qu’au prix d’une énorme contradiction, qu’il noua reste à tirer au jour, en même temps que nous écarterons une nouvelle instance de sa part.

7. Conscience, inconscience et supraconscience. — Laissons un instant la parole à notre auteur. « Si le théisme s’est tant préoccupé jusqu'à ce jour d’attribuer à Dieu une conscience propre dans la sphère de sa divinité, il s’appuyait sur deux raisons également respectables ; mais il en tirait des conséquences illégitimes, parce qu’il n’avait pas encore songé qu’une intelligence inconsciente pourrait bien être possible… Voici ces deux raisons :

« En premier lieu, l’homme frémissait à la pensée

que, si un Dieu conscient n’existe pas, il n’est plus lui-même que le produit des forces brutales de la nature, que l’effet d’une combinaison fortuite, accidentelle, qu’une nécessité aveugle a produite sans but, comme elle la détruira sans raison. En second lieu, on croyait honorer Dieu, l'être suprême, en lui prêtant toutes les perfections possibles, à la façon des scolastiques ; et l’on craignait de le dépouiller d’une perfection considérée comme la plus haute de toutes, à savoir la claire conscience et la conscience distincte de sa personnalité.

« Si l’on entend bien la nature de l’Inconscient, ces

deux craintes doivent s'évanouir. La doctrine de l’Inconscient tient, en effet, le juste milieu entre un théisme qui transforme l’idéal de l’homme jusqu'à l’anéantir * en voulant l'élever à l’absolue perfection et un naturalisme qui fait de l’esprit, cette fleur de la vie, et de la nécessité éternelle des lois de la nature, d’où cette fleur de l’esprit est sortie, le pur résultat du hasard et des forces aveugles, qui ne nous imposent qu'à cause de notre faiblesse ; et c’est là le juste milieu entre la finalité consciente, que l’on prêle à la nature par analogie avec l’art humain, et le mécanisme qui nie absolument toute finalité dans la nature. Cette doctrine intermédiaire admet la finalité naturelle, mais sans la concevoir à l’image de l’activité consciente de l’art humain et de notre réflexion discursive. Elle reconnaît rn elle la finalité immanente inconsciente d’une intelligence intuitive et inconsciente elle-même, qui agit dans les choses et les individus par cette sorte de création continue ou de conservation que nous avons précédemment décrite et dans laquelle nous avons reconnu le phénomène réel de l’Un- Tout.

« Notre impuissance à nous faire une idée positive du mode de connaissance propre à cette intelligence, nous condamne à la définir par opposition

avec notre manière de connaître, la conscience 2, et par suite à ne lui prêter d’autre attribut que celui de l’inconscience. Mais nos recherches antérieures nous ont appris que l’activité de cette intelligence inconsciente n’est rien moins qu’aveugle ; qu’elle est, au contraire, une vue véritable, même une intuition clairvoyante. Mais cette vue ne se voit pas elle-même et voit seulement son objet, le monde ; et cet œil,

1. Ce qu’on anéantit alors, c’est l’imperfection qui limile cet idéal, c’en est l'élément négatif, et tout le positif reale.

2. Equivoque. Si par conscience Hartmann entend ici ce qu’il vient de dire tout à l’h ure, la connaissance discursire, d’accord. S’il veut dire que la conscience absolue n’est pas comme la nôtre tributaire do la mémoire et de la prévision proprement dite, qu’elle embrasse la totalité de son objet dans une intuition unique et immobi : o, correspondant pour ainsi dire à un éternel présent, fort bien encore. Mai* s’il s’agit d’une « vue qui ne se voit pas ellemême, etc. », c’est tout autre cho «e — et il s’en fa.it de beaucoup que « par là s'évanouisse » In seconde des deux objections précédentes — et même aussi, au fond, la première.