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PRAGMATISME

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du carré de la distance, modérément durs et capables d’être lieurtés. Que nous puissions aussi être blessés, elle l’ignore ou n’en a cure. Mais selon l’espèce d’opération de connaissance qui l’intéresse, savoir, celle qui aboutit à une manipulation physique de la pierre, par exemple, son usage dans la construction, elle joue son rôle etréponddans la mesure de sa capacité. » (Ibid., p. 44a)

Si nous comprenions mieux les sentiments des êtres que nous traitons d’inanimés, peut-être leur donnerions-nous l’occasion de manifester plus clairement leur nature spirituelle. La reconnaissance de perceptions dans tous les êtres même inorganiques, tpanpsychisme, donne donc à l’humanisme le moyen de généraliser sa théorie de la production de la réalité par la connaissance. Reste pourtant une dernière difficulté. M. Schiller admet que, pour transformer une situation, nous sommes toujours obligés de partir d’un fait antécédent. Ce fait, nous l’avons sans doute accepté, mais, par rapport au cas actuellement envisagé, il a échappé à toute influence, il estlabase de l’opération, il ne la subit pas : il est donc, sous ce rapport, indépendant de la connaissance et de l’action. Uira-t-on que ce fait a été produit par un processus antérieur ? Mais ce processus, à son tour, suppose un fait donné et non produit, autrement il nous faudra remonter à l’infini et jamais la connaissance ni l’action ne pourront commencer.

M. Schiller ne dissimule pas cette difficulté, mais il y répond par une fin de non-recevoir. Il s’applique à la transformer en pseudo-problème. Quand on remonte aux origines, dit-il, on ne trouve plus de solution ; mais cela tient à ce que la question est logiquement inadmissible. Comme l’a justement observé Lotze, dans toute explication quelque chose doit être considéré comme accordé, et le monde tel qu’il est « est ce que présuppose de facto toute question que nous pouvons soulever à son sujet, y compris celles qui concernent son passé et son origine ». {Ibid., p. 435) Mais, en supposant, par impossible, que la chose fût réalisable, être fixé sur la manière dont les choses ont commencé, dont le premier fait s’est produit, ne nous avancerait guère. Car ce commencement nous apparaîtrait sans doute comme quelque chose de bien misérable, incapable de jeter aucune lumière sur ce qui a suivi, ce que nous voyons maintenant, plus encore, ce queréserve l’avenir. Du point de vue pragmatiste, le passé, les origines surtout, n’offrent aucun intérêt ; car, de ce côté, tout est pauvre, obscur, faiblement rationnel ou même irrationnel. C’est vers l’avenir qu’il faut se tourner ; nous pouvons espérer que par l’action combinée de tous les êtres, en particulier des hommes, peut-être aussi, probablement même, de personnalités supérieures à la nôtre, le monde deviendra de jour en jour meilleur et finalement atteindra la perfection. « Lorsque la Perfection aura été atteinte, l’univers, étant devenu à la fin harmonieux et vraiment un, oubliera forcément son passé afin d’oublier ses souffrances. » {Ibid., p. 436) Et les hommes qui vivront dans cet heureux état n’auront plus aucune envie de se poser la question des origines. Cette incapacité psychologique de soulever le problème équivaut pour M.Schiller à sa solution logique.

Nous venons de voir que ce philosophe conçoit l’unité de l’univers comme un des caraclères de sa perfection finale, en quoi il diffère de James ; il s’en écarte aussi en concevant la béatitude à la manière d’Aristote, comme une actualité sans mouvement.’si/ip/cicr.’œ/tK>)ij( « 5. Niant résolument la réalité de la substance conçue comme sujet des accidents, question qu’il juge définitivement réglée par la critique philosophique, il voit pourtant dans l’activité le

moyen de donner à cette notion un contenu réel. Ni le mouvement, ni le repos ne peuvent être le terme final del’univers, mais une activité qui, ayant atteint le point d’équilibre, ne changera plus et se maintiendra perpétuellement.

IV. Le Pragmatisme comme Philosophie morale et religieuse. — Des deux principes de la morale, la liberté et la loi, le premier, nous l’avons vu, est nettement posé par le pragmatisme. Comme toutes les théories qui se rattachent à cette tendance impliquent la réalité du libre arbitre, James et Schiller, en particulier.se sont attachés à en prouver l’existence. Ce dernier en a même donné une notion assez précise, lorsqu’il a très justement observé que la liberté n’enveloppe nullement la possibilité de choisir le mal. Les idées de loi et d’obligation, au contraire, n’ont pas été étudiées avec autant de soin et les erreurs commises sur ce point rendent ruineuse la morale pragmatiste. D’après ce qui a été précédemment exposé, on doit s’attendre à ce que la loi morale n’ait rien d’absolu. Non seulement elle varie indéfiniment dans ses applications, mais dans son principe même elle n’a rien d’arrêté. Le bien et le mal, déclare James, ne sont pas des natures absolues : le monde physique, comme tel, n’est ni moral ni immoral. Des relations morales, la loi morale ne peuvent exister que dans un esprit qui les sent : de même, il ne peut y avoir d’obligation que lorsqu’il y a une personne concrète qui exige actuellement quelque chose.

« …Nous voyons non seulement que sans une demande

faite actuellement par quelque personne concrète il ne peut y avoir aucune obligation, mais qu’il y a quelque obligation partout où il y a une demande. » {The Will to believe, p. io, 4) Ce qui satisfait le plus grand nombre de demandes est ce qu’il y a de moralement meilleur et devient l’obligation suprême. Ceci ne peut être constaté que par un essai continuel ; il n’y aura donc finalement de vérité en morale, comme enphysique, que lorsque le dernier homme aura accompli son expérience et dit son dernier mot sur la question.

Le problème moral qui se dresse perpétuellement devant l’esprit de James, c’est celui de l’optimisme et du pessimisme. L’un et l’autre lui paraissent renfermer plus d’erreur que de vérité, lorsqu’on les pousse à l’extrême. Si l’on considère l’ordrerudimentaire que présentent les faits, le pessimisme peut se justifier. Mais ces mêmes faits peuvent aussi s’interpréter d’une manière optimiste, pourvu que nous y ajoutions notre foi à un univers invisible et plus vaste, où l’ordre incomplet du monde actuel trouve son complément et sa signification entière. Ainsi le monde, tel qu’il s’offre à nous maintenant, n’est ni décidément mauvais, ni définitivement bon ; il enferme du bien et du mal, nous pouvons le rendre pire et aussi l’améliorer. Tout dépend de la foi qui nous anime et des actes auxquels elle nous pousse. Le pessimiste, ajoutant aux défauts de l’univers ses dégoûts, son inaction, et finalement son suicide, le rend en effet totalement mauvais et vérifie la conception qu’il en a. Il en va de même inversement pourl’optimisle. Quant à James, il préfère prendre une position intermédiaire, celle du méliorisme. Le monde n’étant ni entièrement bon, ni complètement mauvais, nous pouvons, pourvu que nous croyions à l’efficacité de notre action, le rendre chaque jour meilleur et pour nous-mêmes et aussi en soi.

Le rôle de la foi est donc capital en morale et, du point de vue pragmatiste, elle l’unit élroitement à la religion ; de plus, elle les rattache l’une et l’autre à la science et rend celle-ci absolument inoffensive à leur égard. C’est là l’un des principaux attraits du