Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/772

Cette page n’a pas encore été corrigée
1531
1532
SUBCONSCIENT ET INCONSCIENT


les mêmes malades à une anestliésie momentanée, précisément parce qu’elle atteint en eux à un degré morbide, tout à fait exceptionnel, dont les nôtres, pour phénoménales qu’elles se trouvent être à l’occasion, ne nous donnent qu’une faible idée. Cela dit, et sans d’ailleurs nous astreindre à distinguer tellement les deux cas, ceux de distraction et ceux d’anesthésie (la chose ne tirant pas pour nous à conséquence), nous pouvons aborder le relevé des expériences en jeu, ou du moins de quelques-unes d’entre elles, plus particulièrement significatives.

On provoque des mouvements complexes d’adaptation en plaçant dans la main insensible du sujet (qui ne la voit pas, parce qu’on la lui cache au moyen d’un écran) des objets connus, le contact de ces objets en suggère l’image et détermine les mouvements appropriés. V. g. les deux premiers doigts étant placés dans les anneaux d’une paire de ciseaux, la main reconnaît ceux-ci, les ouvre et les ferme comme comme si elle cherchait à couper quelque chose (A. Binbt, Altérations…, p. 104). Le cas le plus intéressant en ce genre est le suivant. On met dans la main insensible (dissimulée de la même manière) une boîte d’allumettes… « au bout d’un instant de contact, elle l’entoure, la palpe, paraît la reconnaître, pousse en dehors le tiroir qui contient les allumettes, en prend une, la frotte contre les parois de la boîte, l’allume et la tient allumée en l’inclinant un peu ; à mesure que la flamme s’avance, les doigts reculent, comme s’ils fuyaient la chaleur, et, quand la flamme approche de l’extrémité de l’allumette, les doigts se desserrent et l’allumette tombe ( « 7 ;., p. 106). »

Tout à fait analogue est le cas de 1’a écriture automatique ».On prie l’hystérique de penser pendant quelque temps à un mot, qu’on lui indique, on la laisse s’absorber dans oelte idée, puis on glisse un crayon dans sa main insensible (qu’elle ne voit pas, etc.) ; bientôt la main s’agite, serre le crayon, se met à écrire (sans que le sujet en sache rien), et ce qu’elle écrit, c’est juste le mot pensé. — L’écriture automatique peut exprimer aussi des pensées spontanées. Une hystérique est assise dans le laboratoire, près d’une table ; à quelques mètres, un robinet coule avec bruit. On glisse pareillement un crayon dans la main droite, anesthésique, de la malade, et la phrase couchée (à son insu, toujours) sur le papier, traduit l’impression désagréable que ce bruit lui cause : « c’est agaçant, cette fontaine ! » (il, .).

Mais voici les faits sans doute les plus surprenants.

« Vous allez multiplier 789 par £2, dis-je à Lucie

(un des sujets de M. P. Janet, c’est lui que nous citons maintenant, Automatisme…, p. 263, [cf. sup.. B, 5]). La main insensible écrit régulièrement les chiffres, fait l’opération et ne s’arrête que lorsque tout est fini. Pendant ce temps, Lucie, bien éveillée, me racontait l’emploi de sa journée et n’avait pas cessé un seul instant de parler, tandis que sa main droite calculait correctement. »

« J’ai essayé, continue le même auteur, parlant de

la même malade, en état de distraction cette fois, de lui faire porter des jugements inconscients. Les suggestions sont faites au cours du sommeil hypnotique dûment constaté ; puis le sujet est complètement réveillé, les signes et l’exécution ont lieu pendant la veille. « Quand la somme des nombres que je vais prononcer fera 10, vos mains enverront des baisers ». Après le réveil donc, tandis que Lucie cause avec d’autres personnes qui la distraient le plus possible, je murmure (à une certaine distance) 2… 3… 1… 1… 4. et le mouvement est fait. » L’ex périmentateur essaye encore avec d’autres calculs plus compliqués, et « le tout s’exécute presque sans erreur, sauf lorsque l’opération devient trop complexe et ne pourrait plus être faite de tête. »

2. Interprétation de t école expérimentale. Caractère illusoire de l’unité personnelle. — De tout cela il faudrait conclure que, psychologiquement, ces malades se trouvent, à la lettre ou au sens fort, en état de dédoublement. Dédoublement non plus successif, comme dans les célèbres cas de Félida X., du D r Azam, ou de Miss Beauchamp de Morton Prince’, mais bien simultané ; c’est-à-dire qu’au lieu d’alterner l’un avec l’autre, les deux moi désormais coexistent, le moi prime ou normal (car tel est le motif précis de cette appellation) avec un moi second ou secondaire, éclos pour ainsi parler à la faveur de l’hypnose, plus exactement de l’anesthésie ou de la distraction hystérique. — - Quelques textes, pour situer nettement la question.

Tout d’abord d’Alf. Binet. « On a souvent appliqué, remarque-t-il, aux mouvements et aux actes qui se produisent dans les conditions précédentes, le nom d’inconscients. Mais cela veut simplement dire que ces mouvements ne sont pas Connus du sujet… En réalité, ils sont inconscients pour le sujet normal, mais non en eux-mêmes et pour eux-mêmes. Ces actes ne sont pas de purs réflexes ; on y voit intervenir l’intelligence, le raisonnement. D’autre part, il ne faut pas oublier qu’on a caché à la malade les épreuves auxquelles on soumet son membre insensible et les réactions qui se produisent dans ce membre. Il en résulte que celle-ci reste étrangère à l’expérience, et, de fait, elle peut s’occuper de toute autre chose. Elle n’a pas la sensation consciente de ce qui se passe dans ses membres (à moins qu’il ne se produise au cours des recherches un retour de sensibilité dont il faut toujours se méfier)… Il y a donc perception bien réelle, quoique ignorée du sujet : une perception inconsciente. Les actes produits révèlent l’existence d’une intelligence qui est autre que celle du sujet, qui agit sans son concours et même à son insu… C’est là une conclusion nécessaire, elle s’impose, etc. (Altérations, … p. 88 et 1 16-7). » — « L’unité du moi n’est » donc « point une unité simple, car s’il en était ainsi on ne comprendrait pas comment, dans des conditions données, certains malades peuvent manifester plusieurs personnalités distinctes. Ce qui se dissout doit être formé de plusieurs parties ; si une personnalité peut devenir double ou triple, c’est la preuve qu’elle est un composé, un groupement, une résultante de plusieurs éléments. L’unité de notre personnalité adulte et normale existe bien, et personne ne songerait à mettre sa réalité en doute ; mais les faits pathologiques sont là qui prouvent que cette unité doit être cherchée dans la coordination des éléments qui la composent (ih., p. 3 16). »

Encore qu’il y apporte en général plus de discrétion et de sens critique, M. P. Janrt tient en somme le même langage. Suivant lui également, la sensation n’est alors inconsciente qu’au regard du moi normal, et tous ces faits mettent en lumière l’existence d’une autre conscience. « La sensation n’est pas supprimée et ne peut pas l’être, elle est simplement déplacée, elle est enlevée à la conscience normale, mais peut être retrouvée comme faisant partie d’un autre groupe de phénomènes, d’une sorte d’autre conscience (.-lut.matisme…, p. 282-3). » — « On s’est accoutumé, continue-t-il, à admettre sans trop de difficulté les variations successives de la personna 1. Cf. Binut. Altération*.., y p. 6-18, et J. Jastu.iw, op. cit., p. 261-267.