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SUBCONSCIENT ET INCONSCIENT


slylo sur le papier, les caractères qu’il y trace, sa forme extérieure, la résistance qu’il oppose à mes doigts, celle de la table où je m’appuie, le ronflement ou les reflets de la tin mine qui pétille ilans mon foyer, le bruit qui monte des rues avoisinantes, etc.

C’est cet aspect de la vie mentale que W. James s’est proposé de fixer par la distinction, devenue justement célèbre, des focal et des marginal objects, des représentations situées de la sorte au centre ou foyer de la conscience, et île celles qui en composent la « marge » obscure ou la « frange », comme il dit encore. "Wundt avait parlé, lui aussi, à peu près dans le même sens, de Biiekfeld et de Blickpunkt.

a. Quelques cas particuliers. — Les exemples abondent de cette espèce originale de faits intérieurs, exemples tous plus significatifs les uns que les autres, et l’on n’a guère, au vrai, que l’embarras du choix. Je fais, après le déjeuner, ma promenade habituelle ou une course quelconque, absorbé, je suppose, dans la méditation d’un problème qui me préoccupe actuellement : n’empêche que je suive aussi mon chemin à coup sûr, que je me gare des obstacles, que j'évite de me jeter sur les passants, etc. D’invoquer ici le pur automatisme (quelque part qu’il aitpar ailleursdans le détail de mes démarches), c’est à quoi l’on ne saurait songer, au moins sur toute la ligne, car ce ne sont pas toujours, v. g., les mêmes personnes que je rencontre, ni à la même place, pas plus que ce n’est toujours la même route que je prends, et l’automatisme pur et simple reste incapable de s’adapter de lui-même à ces variations de circonstances. D’un autre côté, il me serait souvent difficile de dire par où je suis passé, et surtout qui j’ai croisé ici ou là, ou même, de souvenir précis ou proprement dit, que j’y aie croisé quelqu’un. Tout cela, je l’aivu, selon la formule ; populaire, sans le voir, tout en le voyant. Ne voilà-t-il pas, prise sur le vif, cette façon de moyen terme entre la perception claire et l’absence de perception, qu’on appelle le subconscient ?

On a dit, non sans une pointe d’exagération, il est vrai, que le langage le plus explicite reste plein de sous-entendus. Et la pensée donc 1 Et ce langage intérieur qui s’appelle la pensée ! Que d'éléments en demeurent informulés, d’où dépend plus d’une fois sa signification réelle et profonde, et non seulement sa tonalité affective, mais jusqu'à sa teneur proprement intellectuelle et comme sa valeur logique 1 C’est pour cela qu’il arrive que, même entre personnes très cultivées, les termes les plus précis comme les propositions les plus nettes ne soient pas compris tout à fait dans le même sens, parce que, dis-je, les uns et les autres entrent en rapport, à chaque fois, ou selon qu’il s’agit de telle ou telle personne, avec un subsconseientdilîérent. — La même raison explique qu’on ait à l’occasion tant de peine à faire passer une idée chez les autres telle exactement qu’on la conçoit par devers soi. Qui sait même si l’on y réussit jamais, à parler du moins de transmission rigoureuse et absolument intégrale, sans déchet ni affaiblissement ni gauchissement d’aucune sorte. Y déployât-on toutes les ressources de l’art le plus souple et le plus nuancé, inflexions de voix, accent, jeux de physionomie, gestes et attitudes compris, se trouvàt-on être enfin un de ces magiciens de l’analyse et de ces virtuoses de l’expression qui semblent par instants reeuler les colonnes d’Hercule du monde intérieur, un moment vient où l’on est obligé de dire comme les autres : « Je ne sais trop si je me fais bien comprendre, il m’est impossible en tout cas de vous l'éclaircir autrement. »

Il y a un autre phénomène qui n’est pas moins instructif à cet égard, et qui vaut qu’on s’essaye à

l’analyser lui aussi. C’est celui auquel James a donné Le nom, assez paradoxal à première vue, de « conscience d’absence ». V. g. dans l’effort à retrouver un vers oublié. Etat vraiment original, remarque avec raison le psychologue américain. Le rythme vide est là, pour ainsi parler, qui s’agite et vibre dans la mémoire, à la recherche des mots qui viendront le remplir. Et non pas de n’importe quels mots. Car, pour vide qu’il soit, il n’est pas indifférent, tant s’en faut, à son contenu. Il y a des combinaisons de mots qui ne lui conviennent pas, qu’il repousse même de toutes ses forces, si l’on ose s’exprimer ainsi, — et pourquoi ne l’oserait-on point, puisque ce vide s’avère, de fait, comme dit James en propres termes, extraordinairement actif, puisqu’il y a en revanche une combinaison délinie vers laquelle il se tend ou se tord, comme une plante cultivée dans une cave vers la lumière du jour (cf. Précis, trad. Baudin et Bertier, p. 21 1) Le fait est encore plus remarquable.quand le vers entre dans une pièce destinée à être chantée : le rythme musical ajoute alors son action à celle du rythme verbal, et dans le même sens que lui. Bref, on sait et tout ensemble on ne sait pas ce qu’on cherche ; on ne le sait pas, puisque précisément on le cherche ; et d’autre part on le sait, au moins d’une certaine manière, puisqu’on écarte tout ce qui n’est pas cela même. On le sait en langage de conscience sourde, on ne le sait pas en langage de conscience claire, c’est toujours à cette distinction fondamentale qu’il en faut revenir. — Il n’en va pas autrement lorsqu' on s’applique à identifier un nom qui nous échappe, en particulier quand on l’a, suivant l’expression familière, sur le bout de la langue. Lui aussi, on le sent, pour recourir à une autre image, au bord de la mémoire, sur le point d’aflleurer tout de bon, on croit le tenir et au dernier moment il se dérobe, prensantem timbras, tel Orphée se retournant vers Eurydice. Ce n’est qu’un fantôme, à coup sûr, mais c’en est un, qui ne laisse pas d’avoir sa réalité à lui ; car enfin, pas plus que le rythme de tout à l’heure, il n’est un pur rien. Bien mieux, il a, redisons-le, comme sa forme schématique, que je sens déjà ou pressens obscurément même avant de me l'être rappelé tout de bon, et qui, de la même manière enveloppée et sourde, oriente mon effort à me le remémorer. — La même chose encore, dans le cas si fréquent où, à force de multiplier les parenthèses, on perd tout à coup et tout d’un coup le fil de son discours : « Qu’est-ce que je voulais dire, donc ? » Etat tout négatif, de prime abord, dont on serait bien embarrassé de détailler tant soit peu le contenu. Comment se fait-il pourtant que non seulement on se ressaisisse, règle générale, assez vile, mais surtout que dans l’intervalle telles ou telles séries d’idées soient rejetées aussitôt comme ne cadrant pas avec notre préoccupation actuelle ? En cet autre sens, on n’a pas perdu de vue ce qu’on voulait dire — oui, parce qu’on en conserve par devers soi, nous y voilà derechef, comme l’intuition subconscienle.

Empruntons un dernier exemple aux Contes provençaux de Mistral, qu’on a publiés ces temps-ci. Il y en a un en particulier qui met fort joliment en scène le curé de Saint-Marcel et son éveque. Sollicité de lui venir en aide pour la refonte de sa cloche fêlée, celui-ci consent volontiers, à la condition qu’il réponde à Quatre questions (c’est le titre du conte), et lui donne pour cela huit jours. Le pauvre abbé n’en dort plus, mais son jardinier, M" Melchior, se charge de le tirer d’embarras. La semaine suivante, quand Sa Grandeur revient, le dit Melchior, affublé d’une soutane et la figure bandée à cause d’un soidisant compère à l'œil, reçoit le prélat et, à la qua-