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STIGMATES DE SAINT FRANÇOIS

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exagérer les analogies réelles. » Quel serait le sentiment de M. Dumas s’il entendait un juge dire à un témoin qu’il n’aurait d’ailleurs aucune raison de suspecter : « Non, Monsieur, vous n’avez pas vu cela. Ce que vous avez vii, c’est moi qui vais vous le dire. » Il trouverait, certes, ce juge d’une arrogance extrême. Il fait pourtant, qu’il le sache ou non, ce que fait ce juge. Il est vrai qu’il croit avoir une bonne raison d’agir de la sorte. Pour lui, un chrétien doit renverser les choses : il voit des stigmates parce qu’il croit aux stigmates ; il ne croit pas aux stigmates parce qu’il a des stigmates sous les yeux. Qu’il en soit ainsi, M. Dumas essaye une sorte de preuve. « Comparez, dit-il, la description des stigmates chez un auteur du moyen âge et chez un médecin moderne. Tandis que Thomas de Celano décrit d’après les témoignages contemporains — non, c’était un témoin oculaire, — les têtes rondes et noires des clous qui perçaient les mains de François et leurs pointes qui dépassaient de l’autre côté, le docteur Warlomont constate chez Louise Lateau de petites plaies dorsales et palmaires qui reposent sur de légères indurations mobiles. C’est très vraisemblablement le même phénomène de part et d’autre. » Vous voyez le raisonnement. Le docteur Warlomont a vu des indurations chez Louise Lateau, donc on a dû voir des in lurations chez saint François, parce que vraisemblablement le phénomène était le même. Ce vraisemblablement fera rêver quiconque s’est une fois occupé d’histoire. Où irait-on, je vous prie, avec ces vraisemblances qui ne sont pas tirées de l’événement, mais des opinions ou du désir de l’écrivain ? Je ne puis croire, d’ailleurs, que M. Dumas attache beaucoup de prix à une induction aussi hasardée. Sa vraie pensée, il le reconnaît, celle qui est le fond de son esprit, c’est que les témoins du saint étaient sans doute des illuminés de vrais illuminés, étrangers à la réalité et entraînés vers le surnaturel par un mirage intérieur. A la bonne heure ; en ce cas, il n’j* a plus qu’à examiner leur état mental. Or, ils n’ont, je vous assure, rien à redouter de cet examen. Aucun de ceux qui les liront d’un bout à l’autre n’aura l’idée de les traiter de visionnaires.

IV. Conclusion. — Il ne nous reste qu’à conclure : i° Maury, et M. Dumas après lui, laissaient entendre que les stigmates du saint, tels qu’ils sont décrits dans son histoire, demeurent au-dessus du pouvoir soit de l’imagination, soit de la médecine. Mais ils craignaient que les témoins du miracle quoique de la meilleure foi du monde, n’eussent cédé à quelque exaltation et n’eussent, dans cette exaltation, vu ou cru voir au delà de ce qui existait. C’est qu’eux-mêmes n’avaient pas lu les vies originales. A en juger par ces vies, il devient hors de doute que les témoins de saint François étaient capables de bien voir et ont bien vu en effet. L’obstacle qui arrêtait ces messieurs est donc levé. Il est légitime de nous autoriser de leur concession et de proclamer que les stigmates n’ont pu être le produit d’aucune force naturelle.

Karl Hase et Renan allaient plus loin dans la générosité. Pour eux, le miracle des stigmates était le plus grand miracle de l’Eglise au moyen âge. Hase disait même le plus grand miracle des âges croyants. Us se demandaient seulement si le miracle avait bien eu une origine supérieure et si ce ne serait point le frère Elie qui, dans l’ombre, l’aurait hypocritement opéré. Examen fait, leurs soupçons n’ont pas été confirmés. II a été démontré que le frère Elie n’eût pu, s’il l’eût voulu, fabriquer le miracle et même que, l’eût-il pu, il n’en aurait pas, attendu

son caractère, eu la pensée. Il n’y a donc, avec eux aussi, qu’à faire nôtre leur première affirmation et à dire, sinon que les stigmates ont été le plus grand des miracles, — il y a toujours quelque témérité à classer les œuvres divines, — au moins un miracle très grand et très avéré.

Léon Le Monnibr.

II. — Critique scientifique et médicale.

Sommaire. — § I. Y a-t-il des stigmates naturels ? a)

observés ? Non. — h) provoqués ? Non. — § a.

Peut-on les concevoir possibles ? — 3. Supposés

possibles et réels, seraient-ils confondus avec la

surnature ?

L’article qu’on vient de lire appelait un complément : l’auteur avait commencé d’y pourvoir en opposant au cas de St François les contrefaçons connues de son temps. Mais depuis que la mort a surpris notre collaborateur, des faits nouveaux ont surgi. D’autre part M. Le Monnier, dans son analyse même des cas anciens, s’était abstenu d’insister sur les arguments d’ordre médical : de ce point de vue, néanmoins, la discrimination des vrais et faux stigmates reçoit un utile concours : c’est ce que nous voudrions établir.

Dans l’état actuel de la science, il y a lieu d’admettre en effet que les stigmates naturels n’ont jamais été observés ni produits artificiellement par expérience. Nous croyons même que les stigmates naturels sont inconcevables. Assurément, ce n’est pas la foi qui nous oblige à penser ainsi, car des théologiens très considérables ont poussé la précaution jusqu’à prévoir l’existence de stigmates naturels (R. P. Poulain, Grâces d’Oraison, xxxi, 1-2 et 8-12). — Pour l’instant, nous allons montrer que les stigmates attribués par une certaine exégèse à la Nature sont seulement analogues, non identiques aux stigmates miraculeux ; nous exposerons ensuite pourquoi l’identité nous paraît irréalisable ; nous terminerons par une comparaison des faits surnaturels avec ce que seraient des stigmates naturels censés réalisés.

§ 1. Y a-t-il des stigmates naturels ?

La Nature se reconnaît à sa constance : dire qu’il y a des stigmates naturels, c’est dire qu’on observe constamment, ou qu’on obtient constamment, dans des conditions déterminées, des faits de stigmatisation, c’est-à-dire des plaies à des points désignés, c’est-à-dire enfin non seulement des vaisseaux rompus sous un épidémie intact, mais un épiderme dont l’effraction livre passage à l’écoulement du contenu des vaisseaux sous-jacents.

Or, jusqu’ici, non seulement on n’a pas observé de tels faits, mais on n’a pas réussi à les produire.

a) Eu ce qui concerne l’observation défaits se produisant spontanément, on ne saurait trouver de plus patiente et savante élude que celle du Professeur Janbt sur le cas de Madeleine X. ; de 1896 à 1918, ce maître a guetté l’apparition des stigmates sur la prétendue extatique, librement observée dans les services de la Salpêtrière. Avec la collaboration d’un nombreux état-major rompu aux méthodes de la critique, avec un luxe de précautions destinées à rendre impossible toute tentative, même inconsciente, d’excoriation du tégument par les ongles ou tout autre objet tranchant, Pierre Janet a attendu vingt-deux ans sans résultat un stigmate vrai, et sûr. Tantôt il a fallu « reconnaître que tout dans ce problème est extrêmement difficile à vérifier », tantôt