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STIGMATES DE SAINT FRANÇOIS

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chair du saint. Ils semblaient même « innés » dans cette chair et, quand on les pressait d’un côté, ils ressortaient de l’autre. Nous avons vu ce que nous disons ; nous avons touché ces clous de la main qui écrit ces lignes. »

Un autre témoin, et non moins autorisé, noua est fourni par saint Bonaventure. C’était un chevalier du nom de Jérôme et en même temps un savant fort connu à cette époque. Il avait commencé, comme Thomas, par douter du miracle. Voulant se rendre bien compte de ce qu’il en était, il fit mouvoir les clous plus hardiment et plus curieusement que les aulres. Il inspecta successivement les pieds, les mains, le côté, en les sondant de ses doigts. Le résultat fut un complet changement de sa pensée. Il devint des plus ardents à affirmer la vérité de ce qui lui avait paru d’abord impossible. Il jura même sur l’Evangile que le fait était incontestable.

Ces témoignages, sans parler de plusieurs autres, ont paru si décisifs que ceux même auxquels les stigmates n’étaient pas pour pour plaire en ont reconnu l’existence. « Ce miracle, dit Renan, outre qu’il est le plus grand de l’histoiie de l’Eglise pendant le moyen âge, a cela de remarquable qu’il est garanti par des témoins tout à fait contemporains… Impossible, par conséquent, de songer ici à une élaboration légendaire, à un bruit né tardivement du désir de conformer la vie de saint François à celle de son divin modèle. Non, le jour même de la mort de saint François on parla de ses stigmates. » Nos autres adversaires font loyalement la même déclaration.

Sur le fait, l’accord est donc complet : les stigmates ont existé. Mais comment ont-ils été formés ? C’est là que la séparation commence. Les catholiques, avec l’Eglise, leur assignent une origine miraculeuse, et par conséquent, divine. Les incrédules essayent de les expliquer par des causes naturelles : ils disent tantôt quec’estle frère Elie qui les a fabriqués en secret de sa main, tantôt — et c’est aujourd’hui l’explication préférée — qu’ils ont été l’effet d’une imagination puissante et enflammée.

I. Supercherie ? — La première de ces explications a été apportée par Karl Hask dans son petit volume intitulé Franz von Assisi (Traduit par M. Berthoud. Lévy, 1864. In-12). Elle a été suivie de point en point par Rknan, dans deux articles publiés en 1864, dans le Journal des Débats, et que l’auteur a repris, en les modifiant un peu, dans ses Nouvelles Etudes religieuses (1884). (In-8 ; p. 32235 1).

Voici comment l’un et l’autre procèdent : 1 » Le frère Elie n’était pas un saint ; c’était bel et bien un ambitieux, qui ne reculait guère devant un moyen douteux quand il croyait ce moyen profitable. 2° Cet homme trop dégagé de principes eut, pendant toute une nuit, le corps de saint François à sa disposition. 3° Le saint mourut le samedi soir et dès le dimanche matin on le porta à l’église Saint-Georges Pourquoi cette précipitation, sinon pour arrêter tout recours aux investigations qui eussent pu découvrir la fraude employée ? 4* Contrairement à la coutume italienne, le cercueil était couvert et même fermé. Nouvelle précaution contre les curiosités qu’on avait lieu deredouter. 5° Enfin, en 1230, dans la translation du saint au Sacro Convento, le cortège fut violemment dispersé et le corps enterré, sans témoins, en un endroit qui n’était connu que des affalés. Toujours le même système de se dérober à tout contrôle.

Ces faits sont exacts. Ils peuvent faire une certaine impression sur ceux qui ne connaissent que

superficiellement l’histoire du saint. Pour qui a étudié cette histoire, leur rapprochement est factice ; ilsn’ont aucune valeur probante. Examinons-les l’un après l’autre.

>°Elie, nous en convenons, n’avait guère de mysticisme. François mort, son ambition caressa peut-être la pensée que le gouvernement de l’Ordre allait lui revenir ; mais pour les stigmates, chose inouïe jusqu’alors, il n’y eût assurément pas songé, s’il ne les avait eus sous les yeux, et, même les ayant sous les yeux, il les regarda avec tant de nonchalance qu’il les décrivit inexactement dans sa circulaire et que les historiens ont dû réformer son récit sur ce point.

2° Le corps fut toute une nuit à la disposition d’Elie. Voilà une affirmation qui dénote une grande ignorance de la façon dont les choses se sont passées. Au dire de Celano, qui était présent, cette nuit fut une veillée. Immédiatement après la mort, on avait exposé le cadavre, religieusement lavé, sur un tapis couleur de cendre. Les frères, au nombre de cinquante, étaient autour, contemplant la beauté que la mort lui avait subitement communiquée. Bientôt toute la ville, avertie par un courrier, accourut à la Portioncule. On voulait voir François une dernière fois ; on disait dans tous les groupes que c’était un saint. Arrivés devant la dépouille, les visiteurs, saisis de vénération, baisaient les pieds et les mains ; ils priaient, ils chantaient des cantiques. Le flot se renouvela jusqu’à l’aube. Où Elie aurait-il trouvé, au milieu de cette foule, l’heure de silence et de secret qu’il eût fallu pour la vilaine besogue qu’on lui prêle ?

3° On précipita l’enterrement. Peut-être, mais nullement d’une façon extraordinaire. Les papes de cette époque, Innocent III et Honorius III, furent ainsi inhumés le lendemain de leur mort. S’il y eut quelque hâte, je crois en avoir donné ailleurs le véritable motif (Histoire de saint François d’Assise, t. H, p. 42g, 6e édition). « La crainte d’un enlèvement du corps à main armée continuait à hanter tous les espi its. On se sentait à découvert dans cette vallée, loin de la ville. Il semblait dangereux et, par conséquent, imprudent, d’attendreun délai plus long. »

4° On me dispensera d’expliquer pourquoi la bière fut fermée. Ce n’est qu’un détail. Il n’est pas établi que ce fût, dès lors, un usage de porter les corps exposés aux regards. Quoi qu’il en soit, il faut avoir l’esprit bien préoccupé de sa chimère pour soutenir qu’on redoutait une enquête qui eût été faite au milieu d’un cortège en marche.

5° Quant à la bagarre de la translation, qui n’y reconnaîtrait, cette fois, un coup de frère Elie ? Les frères étaient venus en grand nombre. Le hardi polij tique crut les étourdir en montrant qu’il était en état | de tout entreprendre, parce qu’il avait la ville et la | magistrature avec lui. On jugerait ainsi de son ini fluencel II apparaîtrait aux membres de l’Ordre comme l’homme devenu nécessaire 1 Peut-être aussi, car il ne faut rien outrer, crut-il opportun de cacher l’endroit delà sépulture aux puissants voisins de Pérouse ou d’ailleurs, qui pourraientêtre tentés d’enlever une relique aussi précieuse.

La réfutation des objections n’éclaircirait pas tout à fait ce sujet, si la narration elle-même, telle qu’elle nous a été transmise, n’achevait de dissiper les doutes. Selon les historiens, c’est deux ans avant sa mort, sur le mont Alverne, dans l’apparition d’un séraphin, à quelques pas des compagnons qui veillaient sur lui, que François fut stigmatisé. Evidemment, toutes ces circonstances qui s’enchaînent tombent, deviennent mensonge et même complicité avec