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PRAGMATISME

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dation insensible dans l’ombre du subseonseient. Noua sommes incapables de dire où finit notre moi et il se peut qu'à notre tour nous formions la pénombre d’une plus haute conscience.

Ainsi se résout cette question, autrement sans issue : Comment une expérience collective, si haute qu’en soit la nature, peut-elle être regardée comme logiquement identique aux expériences particulières considérées dans leur individualité même ? Fbciinhh, tout en proposant une théorie beaucoup plus concrète que les absolutistes contemporains, n’avait point levé la difficulté, qu’il ne semble même pas avoir aperçue. Le point central de cette théorie est la conception de l'àine de la terre. Il reconnaît dans tous les êtres l’existence de la conscience, mais elle lui semble revêtir dans les planètes une forme bien supérieure à celle qu’elle a chez l’homme. La terre est pour lui « l’ange gardien de l’humanité ». A l’aide d’analogies multipliées et soigneusement rectifiées par le sentiment des différences, Fechner s’efforcede prouver que la terre est consciente et que nos consciences individuelles sont uniesdans sa connaissance supérieure, comme les perceptions de chacun de nos sens sont centralisées dans la conscience du moi. De plus, il admet, au-dessus de cette multitude de consciences qu’il aperçoit dans l’univers, un vague Absolu dont la conscience est faite de la somme de toutes les antres.

C’est ce postulat implicite de la constitution d’une conscience supérieure par la simple addition des consciences partielles que James repousse comme inadmissible. Cette théorie, qu’il appelle théorie de la poussière mentale (mind-dust theory), ne correspond pas aux faits. La connaissance qui résulte de l’association des états de conscience n’est pas une connaissance collective, c’est une réaction psychique simple, d’un ordre plus élevé. La connaissance d’une phrase n’est pas simplement la somme des connaissances séparées de chacune des lettres ou de chacun des mots qui la composent, c’est un acte simple et différent. Mais si la composition des étals de conscience est inadmissible en psychologie, on ne peut pas admettre non plus en métaphysique que l’Esprit absolu soit avec les nôtres dans le rapport d’un tout à ses parties. De plus, si les êtres ne sont pas seulement les objets de la conscience del' Absolu, mais les parties mêmes de cette conscience, on se voit obligé d’attribuer à l’Absolu toutes les limitations de ces connaissances fragmentaires, ce qui crée des difficultés insurmontables. Pour y échapper, deux partisse présentent : revenirà la conception scolaslique d’un Dieu extérieur à l’homme et à l’univers, — mais c’est là un expédient dont la critique de Hume et de Kant a montré l’inanité ; du moins, pour y recourir de nouveau, faudrait-il que la valeur en fût établie pragmaliquement, — ou bien se résoudre à abandonner la logique de l’identité. Après avoir longtemps hésité, James, sous l’influence de M. Bergson, comme il le déclare, a adopté ce dernier parti, vers lequel le faisait déjà pencher son empirisme radical. C’est donc en supprimant les limites conceptuelles qui découpent la réalité, continue quoique diverse, en choses distinctes que le problème est résolu. Donc, pas de composition de consciences fragmentairesen uneconscience absolue, maiscontinuité des consciences inférieures avec celles qui les surpassent. La pluralité est éternellement dniim’e, comme l’est la relation, l’interpénétration des êtres. Dieu sera donc conçu comme une véritable personnalité, une personne surhumaine. qui nous appelle à coopérer à ses desseins et qui favorise les nôtres s’ils en sont 'dignes. Ce Dieu n’est pas seul, il travaille dans un milieu qu’il ne domine pas complè tement ; il a ses limites, il lutte contre des ennemis. Comme nous, il est aux prises avec des difficultés qu’il ne surmonte que peu à peu, et bien que sa puissance soit incomparablement plus grande que la nôtre, elle ne le dispense pas de l’effort, elle ne lui assure pas fatalement la victoire. Tout Uni qu’il est, ce Dieu ne nous est pas complètement extérieur ; bien que nous débordant de beaucoup, il est en contact avec nous. De notre conscience à la sienne, par des transitions qui nous échappent parce qu’elles sont dans la zone obscure de notre moi, il y a continuité. Mais pourquoi parler de Dieu ? Il se peut qu’il faille concevoir des dieux, et que les diverses personnalités se relient à des êtressupérieurs également distincts. Nous touchons ici aux idées de James sur la religion, nous y reviendrons en parlant du pragmatisme religieux.

M. Schiller s’est montré aussi résolu et plus âpre encore que James dans sa critique de l’absolutisme ; il a adopté également, au inoins dans une très large mesure, le pluralisme, mais il est moins radical que lui à cet égard. Par contre, sa métaphysique penche bien davantage vers l’idéalisme. Sans nous attarder à relever les objections que le professeur d’Oxford élève contre le monisme néohégélien et qui sont pour la plupart les mêmes que celles dont James a fait usage, nous nous contenterons de mettre en lumière la forme propre de son pluralisme et de sa théorie de la réalité. M. Schiller refuse d’accepter l’argument par lequel Lotze, philosophe dont il fait pourtant le plus grand cas, a cru établir l’unité du monde. Le inonde est un, dit Lotze, car autrement on ne pourrait s’expliquer qu’une chose agisse sur une autre. Mais, observe M.Schiller, cette conclusion ne vaut que si le fait de l’interaction exige réellement une explication. Or, il n’en est rien, car l’interaction est la condition même de l’existence d’un monde.

« Sans interaction il n’y a pas de coexistence, et

sans coexistence il n’y a pas de monde. » Affirmer que les choses agissent les unes sur les autres ou que le monde existe, c’est dire exactement la m ?me chose en termes différents. Or, si.de l’aveu même de Lotze, il n’y a pas à chercher pourquoi le monde existe, puisque cette existence estla condition préalable de tous les problèmes que nous pouvons soulever, il n’y a pas davantage à se demander d’où vient l’interaction. Ainsi tombe l’argument en faveur de l’unité. Arguer de ce que les choses doivent être comparables ou commensurables et qu’il faut un principe de cette coinmensurabilité ne réussitpas davantage. Sans doute, il est nécessaire que les choses ne soient pas absolument disparates, sans quoi il n’y aurait pas de monde du tout. Même le rouge, le doux, l’aigu sont comparables, au moins comme sensations. Mais ceci ne nous conduit pas plus loin que la possibilité de l’interaction qui est impliquée dans la pluralité actuelle. On peut d’ailleurs faire valoir contre cette conclusion de Lotze l’argument que le darwinisme a opposé à la thèse de la finalité. De même que l’adaptation du vivant à son milieu ne présuppose pas nécessairement un ordonnateur intelligent, mais peut s’expliquer par la sélection naturelle, ainsi l’on peut concevoir que les éléments dont est formé le monde n’ont pas tous été commensurables dès l’origine, mais que seuls ceux qui le sont ont réussi à subsister.

Renonçant à regarder l’unité comme un caractère qui convient au monde dès le début, M. Schiller souligne les aspects qui en manifestent la pluralité. Non seulement le travail d’unification auquel se livre la science est loin d’aboutir à son terme, ce qu’attestent les corps de vérités dont elle est constituée, corps qui sont tous des systèmes partiels, incomplets en