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SOCIOLOGIQUE (MORALE)

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rigoureusement parlant, appartenir à son école, l’auteur de La morale et la.science des mœurs s’Inspire manifestement de la même pensée maîtresse qui préside aux travaux des continuateurs actuels d’Aug. Comte et en fait la profonde. unité.

-. L’ait moral (ou social) rationnel. — Est-ce à dire que le sociologue (puisque, encore un coup, c’est de sociologie qu’il s’agit, et même de sociologie au sens très déterminé de la nouvelle école française) s’en tien. Ira d’un bout à l’autre à cette attitude d’absolue neutralité ?

En I au t que sociologue, oui, puisque, encore un coup aussi, il n’y a de science qu’à ce prix. La réalité sociale sera « étudiée objectivement », redisons-le, et « méthodiquement, par une armée de savants animés du même esprit » (du même esprit de détachement à l’égard de toute idée préconçue, de quelque ordre que ce soil) « que ceux qui, depuis longtemps, se sont attaqués à la nature inorganique et à la nature vivante « (p. 289), ou il n’y aura pas de science de la réalité sociale, de science des mœurs. L’alternative est inexorable, et il faut en prendre son parti.

On objectera peut être que la sociologie n’est pourtant pas, en dernière analyse, sa Un à elle-même ; que la science des mœurs, en particulier, se doit tourner malgré tout, l’heure venue, à des résultats pratiques, c’est-à-dire ici au redressement de la conduite humaine selon un idéal de socialité supérieure. Et c’est un nouveau trait par où les mêmes continuateurs de Comte s’avèrent les héritiers authentiques de sa pensée ; par où, autrement dit, ils restent dans la tradition de son positivisme humanitaire, ou de son effort à régénérer l’humanité par la science. — Rien de plus exact, mais par la science, précisément. Encore faut-il que celle-ci soit constituée, ne pouvant ju-te l’être, on y est ramené sans cesse, que dans une totale indépendance vis-à-vis des idées reçues, abstraction faite de tout jugement de valeur, en s’ab « tenant, si l’on préfère, de toute appréciation des phénomènes dont elle s’attache, exclusivement, à dégager et à systématiser les lois. La considération prématurée île ce but final auquel elle s’ordonne en définitive risquerait de la « resubjectiver » et pro tanto de le lui faire manquer, du moins de reculer à proportion le moment où elle aura chance de l’atteindre.

Autrement dit, elle donnera bien lieu, un jour, à un art rationnel du même ordre, ou à un « art rationnel moral », qui nous permettra de modilier dans le sens du mieux la réalité correspondante ou de la plier à la satisfaction de nos besoins les plus élevés. Assimilable, de ce chef, comme l’avait bien vu Descartes (cf. Préface des Principes), à la mécanique et à la médecine, qui sont, elles aussi, des ensembles de procédés méthodiques utilisés par l’homme pour appliquer la connaissance qu’il a des lois de la nature, le dit art moral rationnel emploiera celle des lois psychologiques et sociologiques à l’amélioration des mœurs et des institutions existantes (cf. p. 102 et p. a56). Seulement, redisons-le aussi, la maxime baconienne se vérifie ici comme partout ailleurs : natura non nisi parendo vincitur, on ne triomphe de la nature qu’en obéissant à ses lois ; ce qui suppose qu’on les connaît, surtout qu’on s’est mis, avec la probité inteljectuelle la plus scrupuleuse, dans les conditions rigoureusement requises pour les connaître tout de bon.

8. Suppléance provisoire de l’art moral rationnel par la morale commune. — Demandera-t-on enûn, cette science de la nature morale et l’art rationnel qui en doit sortir n’étant pas près, tant s’en faut, de ▼oir le jour, sur quoi nous réglerons, en attendant,

notre action individuelle ou collective ? En attendant ? On s’en tiendra, c’est bien simple, à la morale donnée dans le milieu où l’on se trouve vivre, c’est-à-dire, pour nous autres Européens, la morale classique.

Et cela même est, d’une certaine manière, contenu dans la propre idée de la science des nururs et de l’art moral rationnel. Car, 1° l’une, la science des mœurs, suppose précisément des règles préexistantes, à titre de réalité « donnée », qu’elle s’efforce non pas de justitier, mais d’analyser et de rendre intelligible en la rapportant à ses conditions d’existence ; 2 l’autre, l’art moral rationnel, ne se propose guère rien de plus que de perfectionner cette pratique commune dans son propre sens. Il est donc tout indiqué de s’en tenir provisoirement à elle.

Que si, une fois ou l’autre, le progrès de la réllexion critique ou l’accélération inattendue du progrès social lui enlève quelque chose de sa sûreté primitive et que dès lors des cas de conscience se posent à nous qu’elle ne nous fournisse plus le moyen de résoudre, on se décidera pour le parti qui, dans l’état actuel de nos connaissances, paraîtra le plus raisonnable. Après tout, ce n’est pas seulement en morale qu’il nous arrive de nous devoir contenter, le cas échéant, de réponses provisoires et approximatives.

II. — Critiqub.

1. Précarité de la suppléance en question. — Examinons d’abord les idées de l’auteur sur l’art moral rationnel et sa suppléance provisoire par la morale courante.

N’y a-t-il pas quelque illusion à s’imaginer que les choses s’arrangeront si bien ? Supposant achevée la science des mœurs, qui est encore dans les langes et exigera d’immenses recherches’, le dit art moral rationnel ne pourra lui-même prendre naissance que dans un avenir très éloigné. Qu’il y a sujet de craindre qued’ici là, et très vite même, beaucoup plus vite qu’on ne pense, le prestige dont jouit encore l’ancienne Morale ne soit ruiné à fond, précisément parce qu’on y aura dénoncé une prétention injustifiée à régler universellement la conduite humaine ! Etrange manière d’escompter ses bons offices provisoires, que de la discréditer du tout au tout 1 Et comme il s’agit d’un provisoire qui a mille chances de durer (combien longtemps même I), par quoi ia remplacera-t-on elle-même, au cours de ce long intervalle ou interrègne, quand elle aura perdu son empire sur les âmes ?

La découverte des conditions matérielles des sons, remarque quelque part M. L. B., n’a rien ôté à leur puissance émotionnelle (p. 31. — Cf. sup., Exp., n. 6). Sans doute, parce qu’il s’agit d’impressions sensibles, indépendantes en elles-mêmes de la connaissance spéculative correspondante : il est trop clair que, de m’assimiler la théorie physique du timbre, cela n’empêche pas les richesses d’orchestration d’un Beethoven ou d’un Wagner de faire les délices de mes oreilles (ib.). Mais ce n’est plus du tout la même chose, quand il est question de l’autorité des idées ou règles morales : loin de rester indifférente, l’explication qu’on en donne l’atteint d’emblée en elle-même, nous voulons dire, bien entendu, leur au

!. Cf. In/’/ a : « Que <le temps ne fandra-t-il pus pour que

les sciences.ociologiques nous permettent de posséder des arts sociaux aussi développés que la médecine on la chirurgie (p. 258) ! » — Cf. p. 289 : Cela « suppose évidemment la constitution tant des sciences sociologiques particulières que de la sociologie générale. Plus tard, dans un avenir qu’il nous est à peine permis d’entrevoir, ces sciences seront ;.ssei avancées pour rendre possibles dfs application) 1, etc. ».