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SOCIALISME

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conduite. Mais elle fournirait un élan, un enthousiasme qui soulèverait au-dessus des passions mesquines et des intérêts égoïstes.

Pareil résultat ne peut provenir que t d’un état de guerre auquel les hommes acceptent de participer », dans lequel ils se persuadent jouer un rôle actif et personnel. Alors l’idée de la lutte les hausse jusqu’au

« sublime ».

Pour relever les âmes prolétaires, il faut donc leur donner un emploi belliqueux qui les mette sous cette influence exaltante.

« Il n’y a qu’une force qui puisse aujourd’hui produire

cet enthousiasme sans le concours duquel il n’y a point de morale possible, c’est la force qui résulte de la propagande en faveur de la grève générale. » (G. Sorel, Réflexions sur la violence. Paris, Rivière, p. 388).

Peu importe que cette grève générale soit, ou non réalisable. Elle constitue surtout ici un « mythe », cVst-à-dire une idée évocatrice, un appel.

Alors la violence serait, paraît-il, canalisée ; elle aurait tout son effet utile et serait gardée des abus. Car les gestes cruels sont inspirés par la jalousie qu’exploitent les démagogues ambitieux et que ressentent tous les êtres « passifs » et « commandés ». Les révolutions politiques s’inspirent de ce sentiment, elles sont l’effort qui veut triompher de concurrents heureux et détestés, qui écrase les vaincus. Mais la révolution syndicaliste, ouvrière, ne connaîtrait pas les rivalités des partis ; ceux qui la réaliseraient ne seraient pas poussés par de mauvais bergers ni des passions basses. Ils agiraient de façon consciente, mettant leur action personnelle et spontanée au service d’une grande idée qui ennoblit et soulève : l’établissement d’une société meilleure.

Tel était le ressort que M. Sorel croyait voir agir, et sur lequel il avait fondé l’espoir de « la morale des producteurs ». C’était toute une mystique de la révolution et de la violence. Elle ne pouvait donc, à son avis, entraîner que la classe ouvrière dressée dans la conscience de son idéal collectif, elle s’avilissait et retombait à terre dans les combinaisons politiques et les pauvres habiletés des intellectuels. A la lin de sa vie, pourtant, le théoricien de la violence, malgré le caractère nettement politique de la révolution russe, avait cru trouver, dans le bolchevisme, cet enthousiasme capable de fonder la morale de l’avenir et de hausser, en effet, jusqu’au sublime !

Peut-être n’est-il pas besoin d’autre preuve pour montrer que, malgré ses débuts pessimistes et ses critiques amères, cette interprétation de la révolution participe, elle aussi, finalement, à l’illusion de tous les socialismes quand ils envisagent les temps futurs.

V. — Chitiquk do Socialisme

Nous venons de voir que la philosophie du socialisme comprend un certain nombre de principes qu’il peut être commode de résumer dans les trois propositions suivantes : a) l’égalité est à promouvoir puisqu’elle s’identiGe avec la justice ; b) l’homme est en marche vers cet idéal, dans une ascension guidée par la science, soutenue par le sentiment de la solidarité c) les obstacles à écarter de sa route se groupent principalement autour de la propriété privée. 1 : nous reste à reprendre chacune de ces propositions pour la discuter.

a) La justice est-elle l’égalité ?— Il est bien vrai qu’en un certain sens les hommes sont égaux, par le fait qu’ils possèdent une même nature. Leur caractéristique commune est d’être doués d’une raison et l’une volonté. Intelligents et libres, ils ont, dès icibas, une lin à atteindre : le développement de leur

être physique, intellectuel, moral. Pour arriver à ce but, ils disposent de leurs ressources personnelles, aidées de celles que la société leur offre. Cette société, dont toute la raison d’être est d’apporter ce supplément et ce secours, a donc le devoir de procurer à tous le même minimum des biens qui correspondent aux exigences de la nature humaine.

Ces biens ne se présentent pas sous la forme de cadeaux faits individuellement à tous les citoyens. Ils constituent un ensemble de conditions favorables, un milieu dont chacun peut tirer profit pour son action personnelle.

Tous les hommes ont ainsi certains droits essentiels qui doivent leur être également garantis. Ces droits viennent de leur liberté qui peut se déployer dans le domaine assigné par Dieu, dès lors que son exercice ne lèse pas la liberté légitime d’autrui ni ne porte atteinte à l’intérêt général.

Enumérons quelques-unes de ces prérogatives, vis-à-vis desquelles tous sont sur le même plan, dans la cité.

Ce sont les droits personnels : liberté de conscience, des allées et venues, du travail ;

vis-à-vis des choses : inviolabilité du domicile, droit de propriété privée ;

vis-à-vis des semblables : liberté de réunion, d’association ;

vis-à-vis de l’Etat : égalité devant la loi civile, pénale, et— proportionnellement aux ressources — devant les charges fiscales.

A s’en tenir à ce patrimoine commun, apanage d’une nature humaine identique en ses éléments essentiels, l’on peut adopter la formule inscrite dans la déclaration des Droits de l’homme et dire : « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. »

Même au point de vue économique, l’identité de la nature apporte certaines exigences d’assimilation pratique. Il est certain que l’ensemble des biens terrestres a pour destination providentielle la subsistance de tous les habitants du globe. Il faut donc que tous aient un moyen facile de prélever sur cette richesse de quoi vivre une vie humaine. Une société est mal faite et doit être corrigée, où cette condition n’est pas normalement remplie, où plusieurs ont vraiment trop, tandis que beaucoup n’ont pas assez, où le travail n’a pas cette efficacité d’assurer largement l’existence de qui le fournit, assez largement même pour soustraire aisément aux menaces du lendemain.

L’erreur du socialisme n’est donc pas de réclamer ces garanties légitimes, qui doivent être le but de tous les hommes sincères. Elle est de croire et de prétendre que l’égalité de nature absorbe et supprime les différences personnelles.

Or, dans la réalité, dans la vie, les hommes ne sont pas égaux, en dépit de leur similitude essentielle. Dès leur naissance, ils apportent des dispositions variables héritées de leurs ascendants ; plus tard ils se montreront divers par la vigueur physique, l’intelligence, le caractère.

Les socialistes ne peuvent nier ces évidences. Mais, quand ils vont au boutdeleur système, ils refusent d’en tenir compte pratiquement. Ils en font abstraction, pour ne considérer que la nature humaine pareille chez tous. Ils ne veulent donc pas admettre que ces différences personnelles puissent créer des titres à des droits spéciaux, comme l’identité de nature assure des droits pareils à tous. Incapables d’assimiler les hommes par ce qu’ils sont, ils prétendent, du moins, les rendre pareils parce qu’ils ont.

Mais alors ils s’insurgent contre la réalité, ils s’installent dans l’artificiel qui réclame, pour être maintenu