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SOCIALISME

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la société bourgeoise qui rend les individus âpres à la curée et les fait se déchirer pour vivre. » (La Société future, p. 132).

Depuis lors, si les collectivistes admettent comme inévitable, nécessaire, la lutte des classes actuelles, s’ils annoncent une « dictature du prolétariat », dont on peut croire qu’elle sera rude, c’est en proclamant aussi qu’au delà de ces transitions, l’Etat autoritaire aura disparu pour laisser le monde futur aux charmes inédits de l’égalité dans la liberté.

Et les syndicalistes révolutionnaires eux-mêmes, qui se piquent de vues positives, réalistes, qui professent ne guère connaître d’autre école que celle des faits, n’en voient pas moins la société de leurs rêves comme un immense atelier « sans maîtres », où ne serait reconnue que « l’autorité spontanément consentie ».

L’optimisme socialiste. — C’est donc l’optimisme qui finalement triomphe sur toute la ligne du socialisme. Un optimisme robuste certes, et qui se donne I du champ dans les carrières largement ouvertes d’un ! avenir complaisant. La même illusion est ainsi à la base de tous les socialismes, des plus édulcorés comme des plus amers. En revoyant les théories de cette révolution, qu’elle se fasse pacifique ou violente, on retrouve cette erreur, stable comme le courant des eaux profondes sous la mer calme, moutonnante, ou soulevée en tempête.

Si nous voulions chercher les principes responsables de cette philosophie et de cette morale, ils seraient assez divers.

Les socialismes, qui datent d’environ un siècle, ceux qui relèvent d’un idéalisme « utopique », sont dans la dépendance de J.-J. Rousseau. C’est à lui qu’ils ont emprunté cette idée d’une humanité que la civilisation gêne dans ses tendances naturellement bonnes. Au premier rang des institutions paralysantes ou déformantes, ils ont seulement placé la propriété.

N’est-ce pas l’inspiration visible dans les disciples de Saint-Simon, fondant leur « nouveau christianisme » tout laïque, décrétant la fraternité universelle, et rendant hommage « à la perfectibilité humaine » mise en œuvre par la vertu du travail ?

N’est-ce pas la conclusion du système et des prétendus calculs de Fourier, affirmant que jusqu’à lui l’on avait connu des âges « d’enfance et d’imbécillité », mais qu’il était loisible d’instaurer un régime qui comporterait « la paix perpétuelle, l’unité universelle, la liberté des femmes », un régime où les passions seraient devenues bienfaisantes et n’auraient plus à être contrôlées ? Ses partisans, à cette idée, se livraient à des accès de lyrisme enthousiaste, comme l’atteste la conclusion de ce toast, à la fin d’un banquet en l’honneur du grand homme :

« Et l’enfance, enfin débarrassée de la contrainte

et de l’ennui, que l’éducation civilisée fait peser sur elle, sera sollicitée, par l’attrait, au développement, à l’éclosion des facultés dont la nature l’a si magnifiquement et si diversement dotée. » (Cité par H. et G. Bourqin, Le Socialisme français, de 1789 à 18’18, p. 51).

Nous avons vu comment Proudhon lui-même, le rude polémiste, l’homme qui accusait les contrastes sinon les contradictions de la société vivante, estimait pourtant que le « mutuellisme » pourrait subsister dans la liberté et disait sérieusement que la suppression de la propriété ferait disparaître

« le mal de la terre ».

Il semble bien vraiment que l’idée dominante reste la même. Elle ne se réclame pas certes de l’ascétisme chrétien, tout au contraire. A l’en croire, nos tendances mauvaises sont beaucoup moins des

instincts profonds et intimes, à combattre par un effort personnel aidé de la grâce divine, que des poisons inoculés par les artifices de la civilisation. Et les valeurs morales se classent moins par la fidélité et la persévérance dans la lutte contre les adversaires du dedans et du dehors, que par la préservation des ambiances funestes. C’est le milieu, en un mot, qui fait la vertu, et celle-ci se développe à mesure que se dissipent les ténèbres de l’ignorance.

Il est vrai que le juif allemand K. Marx est venu quelque peu troubler ce courant du socialisme français. Jusqu’à lui, toutes les revendications ou toutes les plaintes, exprimées sur le ton calme ou violent, se réclamaient toujours de la justice outragée. Les révolutionnaires de toutes nuances se donnaient pour les champions du droit méconnu.

Marx, nous l’avons dit, prétend parler au nom de la science et développe ses prophéties comme les rigoureuses et sèches déductions d’un théorème. Rien ici de sentimental. Au lieu d’une évolution progressive de l’humanité, nous voyons la marche mécanique du matérialisme historique menant à la lutte des classes. Pourtant, il reste l’affirmation que le changement économique bouleversera la civilisation, les mœurs, les idées. Dans ces perspectives d’un avenir imprécis, l’optimisme peut retrouver son compte et ses rêves. Il sera heureux seulement de savoir, sans se mettre en peine de beaucoup contrôler, que la science vient appuyer ses anticipations.

L’on a fait justement remarquer toutefois — et nous l’avons déjà noté — que cet optimisme du socialisme moderne ne va plus chercher auprès de Rousseau son inspiration. H a fait sienne la théorie de l’évolution. L’homme n’est donc plus, pour lui, l’être bon par nature, auquel la liberté égalitaire rendra toute sa vertu. Mais c’est un être aux basses origines, qui, à travers de multiples étapes, est promis aux destinées les plus hautes. A l’heure actuelle, le parcours a déjà été assez long, l’ascension a connu d’assez nombreux degrés pour que l’on songe à renverser les obstacles qui gêneraient ultérieurement la marche. Le grand obstacle est la propriété.

Si les principes ont changé, la conclusion est donc pareille, de même que la confiance illimitée faite aux ressources de la nature humaine, qu’on laisse à son développement spontané.

Il nous faut maintenant dire un mot d’une interprétation spéciale de l’avenir socialiste ou, plus exactement, syndicaliste révolutionnaire. Elle a eu son heure de vogue et garde une influence sur certains esprits. Or, elle semble apporter un démenti à ce que nous venons de dire sur l’illusion optimiste qui marquerait les socialismes, quel que fût leur genre ou leur ton. Il paraît ici, au contraire, que les vues se font réalistes, même pessimistes ; et les déclarations ne sont pas flatteuses à l’endroit de la nature humaine. Les philosophes, qui professent cette doctrine, ont cru voir toute une morale se dégager du mouvement révolutionnaire ouvrier. Mais d’abord ils avaient marqué vigoureusement les tares de la « démocratie » moderne, y compris le socialisme politique.

Le plus notable de ces philosophes, l’ingénieur Georges Sorel, pensait que le monde livré aux partis, aux systèmes, aux ambitions individuelles, était condamné à la déchéance. Une ressource subsistait qui permettrait un redressement, prélude des ascensions durables. Et cette ressource se trouvait dans

« la Morale des producteurs ».

Celle-ci n’aurait pas la prétention de découvrir des principes, moins encore d’édicter des règles de