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SOCIALISME

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sont évidemment beaucoup rapprochés des syndicalistes révolutionnaires Ils peuvent différer sur les méthodes, comme plus haut nous l’avons signalé, ne pas adopter les mêmes itinéraires. Mais les buts sont à peu près identiques et tiennent en deux mots qu’il nous reste à expliquer : la « nationalisation industrialisée ».

C’est la devise propre aux syndicalistes révolutionnaires et c’est l’enseigne qu’ils prétendent poser an frontispice de la société future. Ils ont perdu confiance dans les entreprises directement gérées par l’Etat. Lenteurs et complications bureaucratiques, absence de direction responsable, ressources incertaines, comptabilité peu précise, ingérence de la politique, telles sont les principales tares inhérentes aux monopoles d’Etat et capables de les disqualitier. Il ne faut donc plus de « socialisation étatiste », on la remplacera par la « nationalisation industrialisée ».

C’est-à-dire que les syndicats, représentants de la compétence technique, seront chargés, au sein du régime idéal, d’assurer la production dans leur spécialité. La société, d’ailleurs, serait seule propriétaire et, par ce trait essentiel, ces révolutionnaires restent ti lèles au collectivisme. Mais, du moins, les diverses industries seraient dotées d’une autonomie financière, administrative, qui leur permettrait de suivre les règles et les pratiques des entreprises bien conduites. Propriété collective d’une part, supprimant le capitalisme des actionnaires actuels, et, d’autre part, méthodes vraiment industrielles parant aux inconvénients des administrations bureaucratiques, on voit comment ces deux éléments réunis forment un système qui se nomme

« la nationalisation industrialisée ».

Toutes les entreprises seraient dirigées, contrôlées par des conseils économiques comprenant les délégués des producteurs et des consommateurs. C ; s conseils s’échelonneraient suivant une hiérarchie locale, régionale, pour être couronnés, au sommet, par le Conseil national économique, dont les attributions seraient multiples et les prérogatives étendues. Au vrai, il semble bien que ce Conseil supérieur serait devenu le véritable Etat, même si l’on laissait subsister encore un fantôme de Pouvoir politique pour quelques fonctions de police. Et cette prédominance du point de vue économique permet aux syndicalistes, en haut de cet échafaudage marxiste, d’arborer une étiquette proudhonienneun peu étonnée de couvrir pareil assemblage, et de déclarer : « L’atelier fera disparaître le gouvernement ».

Tel se présente, dans une pénombre qui renferme encore beaucoup d’inconnu, le type de la société future suivant la mode du collectivisme mêlé de syndicalisme.

O Le communisme bolcheviste

Mais à peine avons-nous indiqué les situations respectives du socialisme politique et du syndicalisme révolutionuaire, qu’il faut noter des changements dans ces positions.

La faute en est à un nouveau venu qui, pour être originaire de Russie, n’en a pas moins pénétré dans d’autres milieux et exerce, en France, une action de présence effective. Les mouvements révolutionnaires antérieurs en ont été fort affecté-, nous aurons à dire dans quel sens. Mais d’abord il importe de caractériser exactement ce communisme slave.

Comme tous les socialismes contemporains, il se réclame du marxisme et professe n’avoir pas d’autre évangile. Même il n’a pas ménagé les injures à tous ceux qui lui contestent cette orthodoxie. L’on peut

dire qu’il y est resté fidèle, en effet, pour certains traits primordiaux. G’est ainsi qu’il veut remettre, en théorie, tous les biens à la collectivité et même pousse ses plans d’avenir jusqu’au communisme (dont il a pris prématurément le nom), où chacun puise, suivant ses besoins, aux ressources fournies par le travail de tous.

Il n’est pas douteux pourtant que Lénine, le promoteur du bolchevisme, s’est émancipé de la théorie marxiste sur plus d’un point important. Montrons ces initiatives qui constituent des libertés graves vis à-vis de la pensée du maître.

Marx avait enseigné d’abord que la société nouvelle serait amenée par une évolution économique qui espacerait ses étapes. L’intervention humaine pourrait jouer son rôle, elle ne saurait être efficace que si elle tenait compte de cette préparation, pour ainsi dire, automatique. Les circonstances, l’état des affaires, la situation du capitalisme et du prolétariat, marqueraient, au cadran de la Révolution, les minutes décisives. A vouloir devancer l’heure, les tentatives seraient vouées à l’échec. Telle était la conclusion, au moins implicite de ce « matérialisme historique » développé par Marx.

u Aux yeux de Marx, l’économie rendait la politique indispensable au lieu de la faire considérer comme inutile. C’est elle qui déterminait le caractère et le résultat des luttes politiques et en même temps la répercussion de ces dernières sur l’économie. Mais il considérait les rapports économiques comme un processus de développement constant, qui rendait possibles aujourd’hui et inévitables demain les résultats politiques qui, hier encore, étaient impossibles. » (KAirrskY, Terrorisme et Communisme. Paris, Povolozky, p. 91).

Or, il est clair que Lénine, pour déchaîner le bolchevisme, ne s’est pas arrêté à ces considérations de maturité économique et d’opportunité historique. S’il était un pays où la préparation fût insullisante ou à peine commencée, c’était sans doute la Russie. La Révolution y a donc brûlé toutes les étapes et fait violence aux événements.

Lorsque Lénine rentra de Suisse à Pétrograd, le soir même de son arrivée, il étonna et presque scandalisa ses fidèles, fervents du marxisme classique, par la brusquerie qui ne tenait plus compte du délai nécessaire et prétendait, par la volonté, fixer et avancer l’heure fatidique. (Isaac noN Lbvine, Lénine. Paris, Pion).

Cette première infraction devait en amener d’autres. Une fois la révolution faite, la théorie prévoit, ainsi que nous l’avons indiqué, une période plus ou moins transitoire, où le prolétariat exercerait sa

« dictature ».

En Russie, la dictature existe, certes, et peut se nommer « terrorisme ». Mais elle est celle d’un tout petit groupe. Le parti communiste, qui est le maître réel, ne comptait, en 1920, d’après Lénine lui-même, que 600.000 membres sur 130 millions d’habitants. Encore peut-on dire que, du vivant de Lénine, la dictature lui était absolument personnelle. Elle régnait, elle règne encore, ’par des procédés militaires, belliqueux, et l’armée rouge est son indispensable instrument. Les « bourgeois » sont mis hors la loi, et les socialistes dissidents eux-mêmes sont traités comme des ilotes. Peut-être Lénine n’a-t-il fait, en menant de façon aussi brusque, le socialisme au bolchevisme, qu’en dégager l’inspiration profonde. Car, s’il est bien vrai que la thèse reste, chez nous, nous l’avons dit, plus ou moins soumise aux principes démocratiques, s’il est exact que le but définitif est le nivellement égalitaire, l’on a pu dire toutefois que le véritable socialisme, par nombre de ses aspects, était