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SOCIALISME

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réclamer de tutelle, ou même pour en être gênés. La classe des prolétaires, unis par le lien des intérêts identiques, ferait elle-même sa besogne et s’affranchirait par ses propres forces.

M. Guesde protestait que les syndicats, par essence, gardaient des vues utilitaires, immédiates, qui détournaient partiellement leur regard des grandes et lointaines perspectives. Ce n’est pas qu’il voulût jeter sur eux le discrédit ; il y voyait, comme tout socialiste, le cliamp d’expériences nécessaire, le cadre où la classe ouvrière faisait l’apprentissage de ses fonctions économiques et sociales, s’initiait à son rôle dans la société future. Pourtant, seul le socialisme politique, plus dégagé des soucis pratiques, possédait tout l’élan requis pour atteindre l’idéal de demain. D’ailleurs, le syndicat, même quand il partait en guerre, n’était pas suffisamment équipé pour remporterun succès décisif. Les grèves, qui constituaient sa seule arme actuelle, n’avaient qu’une portée locale, ne touchaient ni le patronat dans son ensemble, ni l’Etat bourgeois.

Et, quant à la grève générale, la réserve suprême, elle apparaissait dans un avenir bien lointain, sinon chimérique, puisqu’elle demanderait le concours de tous les ouvriers. Sans cet accord unanime, les travailleurs, sortisdes usines, trouveraient devant eux, avec les groupes restés à leur tâche, « les paysans exaspérés de ne pouvoir écouler ou vendre leurs produits, joignant leurs fourches et leurs fusils de chasse aux lebels de l’armée dite nationale ». Donc le syndicat devait reconnaître la suzeraineté du comité politique. V. la brochure. Le parti socialiste et la Confédération du Travail. Paris. Rivière, 1908.

Chaque avocat réclamait ainsi, pour son client, l’intégrité de l’esprit révolutionnaire, guerrier, et attribuait discrètement, à la partie ad verse, quelques traits de Sancho Pança. M. Edouard Vaillant finit par mettre tout le monde d’accord, ou, du moins, à rallier la majorité, en proposant de maintenir l’indépendance entre deux mouvements, dont il vanta l’ardeur et le mérite pareils au point de vue révolutionnaire.

Les objectifs. — Le syndicalisme révolutionnaire et le socialisme politique n’ont donc pas les mêmes méthodes de combat. Du moins, s’entendent-ils sur l’organisation de la victoire présumée, ont-ils des plans identiques pour la société future ? Il ne paraît pas toujours non plus.

Nous allons dire d’abord comment le socialisme politique dessine son idéal. Les traits en sont vagues, peut-être volontairement estompés. C’est une esquisse sujette aux retouches et qui ne fournira que certaines grandes lignes un peu schématiques. Supposons donc l’œuvre de destruction accomplie. La place est nette, il s’agit maintenant de reconstruire. Que va-t-on édiûer, au lieu de l’édilice ancien ?


Dans le Manifeste communiste signé, en 18^7, par Marx et Engels, il est dit :

« A l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes

et ses antagonismes de classes, se substituera une association où le libre développement de chacun sera la condition du libre développement de tous. » Mais c’est là une formule un peu vague ; ne saurait-on la rendre plus explicite ? Voyons comment l’ont tenté parfois ceux qui se réclament plutôt, dans la tradition marxiste, du socialisme politique. Même s’il ne faut pas prendre au sérieux tous les points de ce programme romantique, même s’il faut admettre que plusieurs datent déjà un peu, il ne sera pas sans intérêt pourtant d’insérer ici le plan fourni, voici trente ans, par un socialiste qua litié, M. Georges Renard (Geougcs Renard, le régime socialiste. Paris, Alcan).

Donc, dans la société future, des statistiques soignées commenceraient par établir la somme et les catégories des besoins généraux. Sur cette base, on répartirait les tâches entre tous les citoyens devenus travailleurs, en sorte que les produits de ce labeur commun répondraient largement à toutes les demandes, sufliraient même, par surcroît, à l’entretien des malades et infirmes. Comme tous collaboreraient, comme le machinisme assurerait une production intense, comme il n’y aurait plus de capitalisme qui, suivant la théorie chère à Marx, prélève indûment un bénéfice sur le travail non payé, la charge imposée à chacun serait légère et le loisir abondant. Rien n’empêcherait, d’ailleurs, que les heures des citoyens astreints à des besognes plus pénibles fussent mieux rétribuées, afin de procurer, par cet avantage, des volontaires à tous les métiers. Mais la propriété personnelle ne serait plus admise et la monnaie n’aurait plus cours. Chacun recevrait, pour la tâche accomplie, des bons de travail, avec lesquels il s’adresserait, en vue des achats courants, aux magasins nationaux. Ceux-ci entreposeraient les objets fabriqués par la main-d’œuvre collective et les présenteraient tarifés en heures de travail. Dès lors, l’échange se ferait entre les bons des clients et les marchandises correspondant à leur valeur.

Tel était le système général que le collectivisme esquissait pour l’avenir. Nous remarquerons seulement que l’idée maîtresse du système est celle de la répartition. Une armée de statisticiens dresserait le bilan des besoins, distribuerait les tâches, veillerait à la vente des produits. La main de l’administration se ferait partout sentir.

Etle ne laisserait pas d’être lourde. Et l’Etat prolétarien ressemblerait, dès lors, au plus autoritaire des gouvernements bourgeois. Car il aurait beau n’être plus organe politique, mais simple organe de gestion administrative, pour faire face à ce rôle immense, à ces fonctions de pourvoyeur général, force lui serait de reprendre ou de multiplier, en pratique, tous les pouvoirs qu’il aurait dû théoriquement abdiquer, sitôt close la période de sa dictature provisoire.

Et, sous cette forme, le socialisme mériterait, à coup sûr, la critique que lui font ses adversaires, notamment celle qui s’énonçait ainsi :

« Le socialisme peut être conçu comme une bureaucratie

omnipotente, dirigée par un petit nombre d’hommes capables, du type de Napoléon ou de Pierpont Morgan ; et de tels hommes ont l’habitude de faire payer leurs services. Un gouvernement socialiste pourrait être puissant et prospère : mais il i devrait gouverner avec une verge de fer. >

M. Vandervclde, qui cite cette objection, avoue qu’elle est sans réplique, quand elle s’adresse aux partisans d’un collectivisme centralisateur. Mais il croit y échapper, pour son compte, avec ceux qui, en remettant tous les biens à la collectivité, ne veulent pas qu’une administration unique cherche à en assurer la gestion. Alors l’Etat prolétarien, au point de vue politique, se trouverait réduit au minimum et. même au point de vue économique, il se garderait de s’immiscer dans le détail. Le mécanisme fonctionnerait suivant une formule donnée par Kautsky, un autre disciple allemand de Marx :

« La démocratie veut que les classes laborieuses

conquièrent le pouvoir politique, pour, avec son aide, transformer l’Etat en une grande coopérative économique. »

Les socialistes politiques, qv : i pensent ainsi.se