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SOCIALISME

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d) Anarchisme. — Et nous nous serions aussi rapprochés de la forme anarchique du socialisme. Celle-ci fait montre d’une grande animosité contre la société actuelle, ses cadres, ses modes de propriété, son autorité, bref » toutes les entraves ». Mais, dans l’avenir, elle ne veut envisager aucune organisation d’aucun genre.

« Etant les partisans les plus absolus de la liberté

la plus complète, notre force ne peut nous servir qu'à détruire ce qui nous entrave, la constitution du nouvel ordre social ne peut sortir que de la libre initiative individuelle. » (Jean Grave, La Société future, Paris, Stock, p 9).

Quanta l’avenir, la liberté encore suffira à toutes ses exigences.

« Que les individus soient libres de se grouper

entre eux. Si ces groupements ont besoin de se fédérer entre eux, qu’ils soient laissés libres de le faire, dans la mesure qu’il leur semblera utile de l’accomplir. Que ceux qui voudront rester en dehors soient libres d’agir à leur guise. » (loid., p. 13).

e) Socialisme coDpératif. — Peut-être faut-il dire un mot d’une autre espèce de socialisme moins radical que ceux qui viennent d'être nommés, un peu en marge de la théorie générale, mais all.nit pourtant dans le même sens et destiné à contenir la propriété privée dans des limites si étroites qu’elle Unirait par y étouffer.

Ce système suppose que le commerce, l’industrie, l’agriculture, sont gérés par d’immenses coopératives de consommation, dont les sociétaires ne peuvent toucher, pour leur apport, qu’un intérêt flxe et minime, sans aucun droit sur les bénéfices. Ces gains sont destinés soit à constituer des réserves, soit à être rendus sous forme de « ristournes » aux clients, proportionnellement à leurs achats.

Que si les coopératives fédérées arrivaient à monopoliser, en effet, la production et la circulation de tous les objets utiles, on ne voit plus comment pourraient subsister les entreprises privées. Toute source de bénéfices serait, par suite, tarie, en dehors de la faible rente laissée aux sociétaires et dont nous avons parlé. Ainsi serait instauré le régime, sans .loute fort chimérique, mais aux tendances assurément socialistes, de la République coopérative. (E. Poisson, La République coopérative. Paris, Grasset).

Tels sont les principaux aspects du socialisme.

Nous ne les avons énumérés ici que pour montrer, dès l’abord, la complexité de sa figure. Et nous nous en sommes tenus aux traits les plus généraux. Plus loin, il nous faudra en considérer d’autres, ceux dont telle ou telle personnalité vigoureuse a marqué le système, il nous faudra descendre aux détails qui forment les nuances parfois très accusées. Ce sera le spectacle que fera apparaître l’ordre chronologique, lorsque nous en serons venus à suivre l’histoire du mouvement étudié.

II. — L’origine doctrinale du souialisme

Pour le moment, recherchons plutôt la genèse logique du socialisme, afin de le rattacher à ses devanciers authentiques. Examinons quel principe est à son origine.

Il marque — son nom lui-même l’indique — une prépondérance du groupe, de la société sur les individus. Beaucoup, dès lors, ont voulu voir, en lui, une réaction, excessive peut-être mais explicable, contre les théories libérales qui exagéraient, par contre, les droits individuels. Libéralisme et socialisme seraient ainsi comme les deux pôles opposés délimitant le champ des théories sociales.

Le premier proclame que l’harmonie résulte du

libre jeu des activités individuelles ; l'équilib.e serait établi — autant que faire se peut — dans une société où les associations seraient prohibées pour laisser aux citoyens, dûment avertis des lois et des vérités économiques, toute faculté de déployer leur action. Seuls les criminels seraient mis hors d'état de nuire. Pour les autres, laissez faire et laissez passer, telle serait la formule de la santé sociale ou, du moins, des guérisons raisonnablement attendues.

Le socialisme, au contraire, se déliant des initiatives particulières, des libertés et des forces individuelles, confierait au groupe, à la société, le soin de tout diriger, de tout administrer. Le contraste semble donc absolu entre les deux systèmes, si distants l’un de l’autre, qu’ils ne sauraient avoir aucun élément commun.

Telle est la manière dont on écrit souvent l’histoire de ces idées. « Au sens où nous le prenons, et qui est, du reste, son vrai sens, socialisme s’oppose à individualisme et n’implique pas autre chose que l’affirmation d’un droit éminent de la société sur ce qui n’est possible qu’en elle et par elle, ce droit pouvant être d’ailleurs, suivant les cas, un droit de propriété, d’administration, de contrôle ou de simple regard. » (René Gillouin, Questions politiques et religieuses. Paris, Grasset, p. 5).

Il nous paraît que cette vue reste superficielle. Il est bien vrai, et nous aurons à l’indiquer, que certaines formes du socialisme marquent, en plusieurs de leurs aspects, une réaction contre l’individualisme et sa conséquence politique, la loi du nombre. Par exemple, le socialisme de Saint-Simon donne une place importante aux élites intellectuelles et compte même sur ces élites pour la refonte de la société. Par exemple, encore, le syndicalisme révolutionnaire et le communisme se mettent peu en peine des majorités et proclament les droits souverains de l’idée prolétarienne, fût-elle représentée par une minorité

« consciente ». Mais il reste vrai que le socialisme, 

dans son ensemble, apparait comme la conséquence logique du régime individualiste, il reste exact que nombre de socialistes (disciples de Jaurès…) n’ont pas rompu avec les idées de Rousseau en politique. Il reste enfin que le plan sur lequel le socialisme, quelle que soit sa nuance, conçoit et rabat l’avenir définitif, se ramène à un nivellement où tous les individus seraient juxtaposés sous une consigne et dans une situation uniformes. Libéralisme et socialisme peuvent s’affronter sur le terrain pratique, se combattre parce qu’ils représentent des intérêts opposés. Mais ils n’en procèdent pas moins, tout au fond, d’une mémo idée. Ce sont deux branches, poussées sur une seule souche, bien qu’elles divergent dans deux directions opposées.

L’idée commune, la souche unique, c’est l’individualisme, ou la proclamation des droits souverains de l’individu, sans la contre-partie des devoirs. Forts de cette proclamation, les uns ont î exalté, comme la prérogative suprême, la liberté sans contrôlr, les autres ont préféré mettre au premier rang l'égalité sans réserve. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » disait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1791. C'était la charte de l’individualisme révolutionnaire. Dans cette formule, on pouvait choisir. Dès l’abord, et pour longtemps, les libéraux ont insisté sur le premier des titres ainsi reconnus, assurait-on, par la nature. Au nom delà liberté tous les liens familiaux, professionnels et régionaux ont été rompus. Seuls sont restés en présence des individus théoriquement libres, souvent en conflit pour leurs intérêts personnels. Les plus forts ont