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SLAVES DISSIDENTES (ÉGLISES)

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La place nous manque pour comparer l’Eglise russe à l’Eglise catholique sous le rapport de la fécondité en toutes sortes de bonnes œuvres. L'écrasante supériorité de l’Eglise catholique à ce point de vue saute, d’ailleurs, aux yeux, et les écrivains russes ne faisaient pas difficulté de la reconnaître. Mais il nous faut dire un mot de l'éclat de la sainteté manifesté en une élite, dans ceux qu’on appelle les saints : il nous faut comparer les saints russes aux saints catholiques.

Par saints russes nous entendons ceux qui sont d’origine russe et ont vécu en Russie ; et de ceux-là il faut distinguer deux catégories : celle des saints antérieurs au schisme, c’est-à-dire au xue siècle, et celle des saints qui sont venus après. Nous ne parlerons pas des premiers, que reconnaît l’Eglise ruthène unie, et dont la liste est toujours susceptible d'être revisée. Nous ne nous occuperons que des seconds, dont le culte a été reconnu par la seule Eglise russe séparée. Et tout d’abord il importe de savoir comment ce culte s’est établi. Un savant russe, E. Goloubinskii, a écrit tout un volume sur l’Histoire de la canonisation des saints russes, Moscou, 1903. Ce qui ressort de cette étude, c’est qu’avant la période synodale, il n’y a pas eu de canonisation proprement dite, mais des décrets de l’autorité ecclésiastique ou impériale, ratiliant et approuvant le culte populaire rendu antérieurement à certains personnages, ou bien instituant la fête liturgique de certains autres, qu’ignorait la dévotion des li.lèlcs. Un décret de cette dernière espèce fut rendu par le concile de Moscou de 1 5^7- La presque totalité clés saintsrusses, dont le nombre est incertain 1, est entrée dans le calendrier par ce procédé rudimentaire. Il n’y a pas eu d’enquête sur leurs vertus.

Les raisons pour lesquelles leur fête a été établie sont multiples et diverses. Quelques-uns, dans le nombre, sont qualifiés de martyrs ; et il n’est pas douteux, en elFet, que l’Eglise russe ait eu quelques martyrs sous la domination des Mongols. Mais leur histoire, et spécialement les circonstances de leur mort, restent obscures 2. De plus, on qualifie de martyrs des personnages qui ne méritent pas ce titre. C’est le cas des deux premiers saints du calendrier russe, Boris et Glêb, fils de saint Vladimir, qui furent a-sassinés par leur frère Sviatopolk, en 10 15, pour motif d’ambition. On cite toute une série de princes qui ont été honorés, simplement parce qu’ils ont eu une fin tragique, tel le fils d’Ivan IV, le tsarévith Dimitri, tué en 1691 par ordre de Boris Godounov. Cf.. Palmikri, l.a psicologia de> santi russi, dans le Bessar/nne, n° 96 (1907), p. 238-239. A côté des martyrs.il y a les ascètes, qui ont frappé l’imagination populaire par leur vie de solitude et de pénitence. Ce sont ceux qui méritent le plus d’attirer l’attention. Certains d’entre eux, qui ont reçu le nom de inurodivy (fous, idiots), ont poussé très loin les exc-ntricité-i ascétiques, et peuvent rivaliser avec les représentants les plus étranges de l’ancienne ascèse orientale. Les ascètes russes ont certainement donné

1. Il se monte à 413 d’après Golotibinskii, à 430 d’après 'hilarète, y compris les saints des *-xie siècles. On distingue parmi eux diverses catégories. On parle de suints véné'és parle peuple et non par l’Eglise, et v’re versa, liien de plus confus que l’hagiographie russe Parmi 'es saints vénérés par l’Eglise, il y en a 104 donl on ignore la date de reconnaissance de culte. Voir d’ailleurs l’article Saints, col. 1135-6.

2. Ces circonstances seraient d’antant plus inléressa’rlrs à connaître que, powr lis néomartyrs urecr, on n

jué 1 qu'à de très raies exceptions prè-i, leur mare présente comme la rançon l’un ? apostasie antér : eure ». !.. Petit, liibliograp’iie des acolouthies grecques, Bruxelles, 1926, p. xiv.

de beaux exemples de mortification corporelle, de chasteté, d’humilité, de douceur, de pauvreté, d’abnégation. Certains d’entre eux ont eu une influence sociale réelle, comme directeurs de conscience et maîtres de la vie spirituelle. Leur vie, du reste, est, en général, mal connue, et c’est moins à cause de leurs vertus qu'à cause des miracles qu’on leur a attribués, qu’ils ont été honorés. Tout un groupe de saints, qualifiés de prépodobnyé, répondent à peu près à nos confesseurs. Ils doivent leur auréole non précisément à leurs vertus privées, mais aux services qu’ils ont rendus à l’Eglise ou à la patrie, à leur apostolat parmi les peuplades païennes de l’empire. Vladimir le Grand et Alexandre Nevskii rentrent dans cette catégorie, ainsi que plusieurs évêques qui se_ sont distingués par leur zèle pastoral. Le métropolite Jonas a été canonisé pour avoir résisté énergiquement à l’union de Florence. Les saintes russes n’abondent pas. En dehors de sainte Olga, on n’en compte guère que quatre ou cinq, et encore ignore-t-on à peu près tout de leur vie, et même, pour plusieurs, le motif du culte qui leur a été rendu. A. Palmieri, loc. cit., p. 240-24a. L’une d’entre elles, Anne Kachinska (xm'-xiv 6 siècle) a une histoire curieuse. En 1649, ses reliques ayant été trouvées dans un état d’intégrité remarquable, son culte fut autorisé par un concile de Moscou, tenu en cette même année. En 1677, un autre concile de Moscou la décanonisa, parce que, croit-on, elle fut trouvée dans le tombeau la main droite repliée sur la poitrine et semblant faire le geste de bénir avec deux doigts ; d’où les Starovières auraient pu tirer un argument en faveur du dvouperstie (= signe de la croix avec deux doigts). En 1909, son culte a été rétabli, sans doute parce que, depuis 1677, on a reconnu aux Edinoviertsy le droit de se signer avec deux doigts.

Pendant la période synodale, de 1700 a 1914, huit saints seulementont été canonisés. La procédure suivie, quoique moins rudimentaire qu’autrefois, ne rappelle que de fort loin les règles de la canonisation catholique. Pas plus que dans la période précédente, on ne s’occupe de l’héroïcité des vertus. L’enquête roule uniquement sur l'état de conservation du corps du saint, et sur les grâces miraculeuses obtenues par les fidèles à son tombeau. L’acte de canonisation est un oukaze impérial autorisant et ordonnant le culte des reliques et la fête liturgique du serviteur de Dieu. Dans les dernières canonisations, la formule a un peu varié, mais sans rien changer à la procédure. Quant à la cérémonie, elle consiste essentiellement en un office solennel en l’honneur du saint, au cours duquel a lieu le transfert de ses reliques, que l’on découvre ensuite pour la première fois pour les exposer à la vénération des fidèles. Pendant les trois jours qui précèdent cette cérémonie, on a l’habitude de célébrer de nombreuses panikhides ou messes de requiem pour le repos de l'âme du serviteur de Dieu et de ceux qui ont été mêlés à son existence : ce qui, soit dit en passant, est assez curieux. Cf. J. Bots, art. Canonisation dans l’Eglise ruxse, dans le Dictionnaire de Théologie cnthoV que, Vacant-Mangcnot, t. II, col. 1665-1672, et P. Petehs, La canonisation des saints dans l’Eglise russe, dans les Analecta Bollandiana, t. XXXIII (1914), p. 380-4ao.

De ce que nous venons de dire, il ressort que les saints russes ne sontpas à comparer aux saints catholiques pour l'éminence de la sainteté, l’héroïcité des vertus et l’influence surnaturelle sur la société. L’absence de toute enquête sérieuse sur leur vie privée, l’ignorance où l’on est des faits et gestes du plus grand nombre d’entre eux et du motif même qui a déterminé le culte qu’on leur rend, ne permet même