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PRAGMATISME

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individus de la classe pour être autorisé à la tenir vraie des autres, jusqu'à preuve du contraire.

James a dit maintes fois que la vérité d’une idée consiste dans ses conséquences satisfaisantes. Certains lui ont reproché de délinir ainsi la vérité d’une manière toute subjective et ont objecté que, d’après cette conception, chaque esprit pourrait légitimement regarder comme vrai ce qui lui agrée. James repousse cette accusation, et bien que son langage ait pu assez souvent trahir sa pensée, il semble le faire ajuste titre. Il a en effet déclaré nettement, — dans son ouvrage intitulé « Pragmatism », en particulier, — que nos idées se meuvent entre des limites assez étroites. Pour qu’elles donnent des résultats satisfaisants, il faut qu’elles tiennent compte de plusieurs conditions. Tout d’abord, de la réalité sensible. Cette réalité obéit à des lois, qui s’imposent également à nous si nous voulons obtenir un succès au lieu d’essuyer un échec. En second lieu, des lois de la pensée, des principes qui la gouvernent et qui dérivent de la structure même de l’esprit. Nous ne pouvons pas plus agir à notre guise à l'égard de ces principes que nous ne pouvons le faire à l'égard des expériences sensibles. L’absence de contradiction, la cohérence est pour la pensée une loi inviolable. Nos idées doivent aussi rester d’accord, autant que possible, avec les notions que nous avons déjà acquises, avec les allirmations du sens commun, parmi lesquelles la croyance à la réalité des événements passés, à l’existence chez nos semblables d’une pensée pareille à la nôtre, ne sont pas les moins importantes '. James observe que l’esprit s’attache à maintenir la continuité de ses croyances et ne modifie ses idées anciennes que juste autant qu’il est nécessaire pour assimiler l’idée nouvelle.

Mais les principes de la raison et les affirmations qui s’y rattachent immédiatement ne sont pas seulement des types déjà fixés auxquels nos jugements ont à se conformer, ce sont aussi des vérités. De même, les propositions qui concernent lesévénements passés. La théorie pragmatiste, qui identifie vérité et vérilication, s’npplique-t-elle dans ces deux cas ? Oui, prétend James, ici encore, l’idée estvraie parce qu’elle nous conduit avec aisance au point qu’elle nous faisait prévoir. Mais quel peut-être le résultat attendu, lorsqu’il s’agit de vérités nécessaires, puisqu’il ne faut pas songer à une expérience sensible ? L’auteur de Pragmatism ne l’explique pas clairement ; il se contente de dire que ces vérités sont valables de tous les objets rentrant dans les classes qu’elles expriment (nécessaire, contingent, cause, effet, etc.), et par suite de tel objet particulier, si nous l’avons correctement subsumé, c’est-à-dire, rangé dans la classe à laquelle il appartient réellement. Quant aux jugements qui concernent le passé, ils se vérilient, indirectement d’ailleurs, grâce auxeffetsqui subsistent de causes maintenantdisparues. Le passé est vrai, car il est nécessaire pour expliquer le présent. Ici encore, l’idée vraie nous conduit vers ce qu’elle représente, mais le cours du temps ne peutêtre remonté qu’idéalement.

l. « K ntre les contraintes de l’ordre sensiMe et cellesdc l’ordre idéul, notre esprit est ainsi étroitement serré. Nos idées doivent s’accorder avec les réalités, que ces réalités soient concrètes ou abstraites, qu’elles soient faits ou principes, sous peine d’incohérence et d'échecs sans fin. n Pragmatism, p. 211.

« Après l’intérêt qu’il y a pour un homme à respirer

librement, le plus grand de tous ses intérêts, celui qui, a la différence de la plupart des intérêts de l’ordre physique, ne connaît ni fluctuation, ni déclin, c’est l’intérêt qu’il y a pour lui à ne pas se contredire. a La notion de vérité défendue etc. Trad. Le Brun. — Le Pragmatisme, p. 295.

La vérité, se ramenant à la vérification d’un jugement, est par suite une opération. On peut donc, en ce sens, alïirmer que la vérité est faite et non pas simplement trouvée. Dire que les choses sont vraies en elles-mêmes est un abus de langage ; les choses ouïes faits, considérés en soi, ne sont pas vrais, ils so « Mout simplement. La vérité appartient à l’esprit, elle est son œuvre, bien que cette œuvre ne puisse être accomplie que dans les conditions énumérées plus haut. Parler de la vérité en général, c’est s’en tenir à une abstraction ; il n’existe que des vérités particulières. Sans doute, on peut concéder que les vérités de tout ordre et les vérités relatives à chaque situation convergent vers une vérité unique ; toutefois cette vérité n’existe pas encore, elle n’a pas encore été faite ; ce n’est qu’une fin vers laquelle tend l’esprit humain. Mais pourra-t-elle être jamais autre chose qu’une fin ? Si on la supposait réalisée un jour, c’est que l’expérience elle-même serait arrivée à son terme, qu’elle ne pourrait plus s’accroître. Tant qu’il n’en est pas ainsi, que des faits nouveaux se présentent, toute vérité n’est que relative, relative aux limites de l’expérience où elle fonctionnait (worked), se montrait satisfaisante ; pour une expérience plus étendue, cette vérité, prise absolument, est fausse.

Ainsi s’affirme un des caractères les plus frappants du pragmatisme, qui est de regarder vers l’avenir. L’intellectualisme soutient que l’esprit humain n’a qu'à reconnaître la vérité, car la vérité préexiste à l’activité de la pensée humaine ; le pragmatisme enseigne lecontraire. Les vérités sont l'œuvre de notre pensée, elles varient à mesure que notre expérience progresse et la vérité unique n’est qu’un idéal vers lequel tend notre intelligence, sans savoir si elle pourra jamais l’atteindre.

Ces considérations de James jettent un doute sur la qualité du réalisme qu’il affirme si énergiquement, en particulier dans l’article déjà cité. En exposant dans Pragmatism les vues de Schiller et de Dewey, il leur témoignait une telle sympathie, faisait si bien valoir les arguments invoqués par eux, qu’il semblait prendre à son compte leur théorie de la connaissance et de la réalité. Pourtant il n’a pas voulu probablement aller jusque-là, car il concède que la doctrine de Schiller est compatible avec le solipsisme et relève d’une métaphysique spéciale, à laquelle le pragmatisme ne conduit pas nécessairement. (Trad. Le Brun, p. 298)

Mais autre chose est de vouloir s’arrêter sur la pente où l’on s’est engagé, autre chose de le pouvoir ; et la manière dont James conçoit le rôle delà pensée, la relativité qu’il découvre dans les vérités humaines, semblent bien poser les principes d’où découlent les conséquences extrêmes qu’il rejette. James affirme, sans doute, nous l’avons vu, que la vérité, pour être utile, doit tout d’abord satisfaire aux conditions indiquées plus haut, accord avec l’expérience sensibles, les principes de la raison, les vérités ou simplement les idées antérieurement acquises ; mais, d’autre part, il soutient aussi que la vérité n’a d’autre droit à s’imposer à l’esprit que son utilité, que rien, absolument rien, ne nous obligerait soit à la chercher, soit simplement à la reconnaître, à supposer qu’elle s’offrit d’elle-même, si elle ne nous apportait quelque avantage. Il a recours à la psychologie pour mettre en évidence le caractère intentionnel (purposive) de la connaissance. La connaissance ne se suffit pas ; elle n’atteint pas son but dans son objet immédiat. L’impression sensorielle n’existe que pour éveiller la réflexion, et la réllexion que pour guider l’acte. Agir est donc la fin de la connaissance, et s’arrêter à la réflexion,