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SIBYLLES

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riser la diffusion de la vérité religieuse et morale ? Les païens eux-mêmes ne s’interdisaient nullement la pratique de l’apocryphisme ; les poésies orphiques, qui se multiplièrent tellement à l’époque des Ptolémées, en sont la preuve, entre plusieurs autres. Dans le domaine sibyllin en particulier, la question de l’authenticité ne s’était posée en aucun temps, et elle n’aurait pu se poser, sans détruire le Sibyllisrne lui-même.

Après qu’elle s’est signalée à l’attention du public par ses premières révélations, la Sibylle juive élèvera la voix à maintes reprises, s’adressant tantôt aux enfants d’Israël, tantôt aux adorateurs des faux dieux. L’état de dispersion où vivaient les Israélites au milieu de la corruption païenne, loin du centre aimé de la cité sainte, n’était pas sans danger pour l’intégrité de leur foi et la pureté de leurs mœurs ; rien de plus urgent que d’exhorter les frères dispersés à persévérer dans leur fidélité à Iahweh et dans l’observation de sa Loi, d’agir sur leur volonté parfois chancelante, d’apporter des consolations et du réconfort à leurs âmes, trop souvent éprouvées par le malheur et la persécution. Chaque fois que lepeuple élu est en proie à de nouvelles détresses, qui affaiblissent son courage ou appellent les vengeances célestes, qu’un événement se produit qui intéresse l’histoire de la religion, que de douloureuses catastrophes lui paraissent propres à ouvrir les yeux des païens sur leurs égarements et à faciliter leur conversion au vrai Dieu, que la lassitude générale causée par de récentes commotions fait rêver à un état de paix universelle et désirer la venue d’un sauveur qui ouvre un âge nouveau, la Sibylle juive prend la parole pour apporter au monde les révélations commandées par les circonstances. Nous l’entendons tour à tour au moment des troubles qui agitent le monde gréco romain pendant le triumvirat d’Antoine, de Lépide et d’Octave, puis après la ruine de Jérusalem et la destruction de la nationalité juive, plus tard encore, à partir du I er siècle, au moment où le judaïsme est menacé par les progrès de la religion nouvelle, vaticinant avec force pour frapper l’esprit du public.

Après avoir d’abord marché sur les traces de sa sœur païenne, la prophétesse juive a suivi plus tard une voie indépendante ; pour les événements de l’histoire du monde, elle s’inspirait des oracles profanes qui circulaient dans le public ; le fonds religieux et moral était naturellement tiré directement de la Loi et des Livres sapientiaux des Juifs, si riches de sentences et de maximes de conduite ; plus d’une fois, les textes bibliques sont insérés littéralement dans les prédictions ; le style était imité plus ou moins adroitement de celui des poèmes épiques, didactiques, lyriques desGrecs, si bien que les oracles de la Sibylle juive représentent, comme on l’a dit, une sorte de syncrétisme religieux et littéraire.

A en juger d’après les importants fragments parvenus jusqu’à nous, les Oracles Sibyllins forment l’ouvrage le plus considérable de tous ceux qui sont nés de la propagande juive ; la multiplicité même des prédictions que la devineressejette au milieu de la société païenne démontre que l’expédient réussissait à merveille ; la Sibylle juive obtint rapidement un grand crédit ; elle apparaissait comme l’héritière légitime de la Sibylle antique, et avec une foi naïve et un cœurangoissé, les gens du peuplecontinuaient à repaître leur imagination des sombres descriptions de cette poésie grondeuse et vengeresse.

Les oracles de la Sibylle juive ont dû se répandre d’assez bonne heure dans les milieux païens ; toutefois, leur existence nous est révélée pour la première fois seulement au cours du premier siècle avant

notre ère, par Alexandre Polyhistor, qui, dans ses Xoù5<y.(* « , avait rapporté le récit de la construction de la tour de Babel, auquel il est fait plusieurs fois allusion dans notre recueil.

Pausanias nomme la Sibylle juive tout à fait à la fin de sa notice, parce qu’il la considère sans doute comme la dernière venue ; il observe d’ailleurs que certains l’identident soii avec la Sibylle babylonienne, soit avec celle d’Egypte ; et il est remarquable que dansnotre recueil elledéclare venir de Bahylone, et qu’elle proteste avec énergie contre la confusion éventuelle de sa personne avec l’Erythréenne ou encore avec la lille deCircé.

Suidas, dans une notice puisée à des sources variées et très confuses, parle de la Sibylle hébraïque sans la distinguer ni delà Chaldéenne ni de la Perse ; ayant rappelé qu’on lui donnait le nom de 2 « uC » j9>], il la fait descendre de la race du bienheureux Noé.

Les mêmes confusions se rencontrent dans les Anecdotade Cramer, où nous apprenons que la Sibylle hébraïque a précédé de 2.000 ans la venue de Jésus-Christ ; l’auteur affirme en outre qu’il a vu à Chypre un recueil d’oracles émanant de cette prophétesse.

Sibylle chrétienne. — Du moment que la Sibylle païenne, illuminée par un rayon divin, avait jadis témoigné en faveur de la religion de Iahweh, n’a-t-elle pas pu tourner également les esprits vers le christianisme, dont la première n’avait été que la préparation lointaine et le prélude imparfait ? Les oracles de cette prophétesse fameuse, dans lesquels les Juifs avaient trouvé de si frappantes ressemblances avec leurs propres doctrines et avec certains récits de leurs Livres sacrés, ne contiendraient-ilspas aussi des indications précieuses touchant la venue, la personnalité et l’œuvre dudivinFondateurdela religion nouvelle ? A l’exemple des Juifs, les Chrétiens, désireux de combattre le paganisme avec ses propres armes, appelèrent à leur secours les révélations prétendues de la Sibylle ; son témoignage, dont nul ne songeait à contester la valeur dans les milieux païens même éclairés, ne laisserait pas, pensait-on.de faire impression sur beaucoup d’âmes et dissiperait plus d’un préjugé défavorable aux disciples de Jésus.

Dès le milieu du 11e siècle, la Sibylle chrétienne apparaît à Alexandrie, et cette ville, où se mêlaient tant de races diverses et où la fermentation des idées était si intense, restera toujours le théâtre principal de son activité. La divination sibylline reçut une vive impulsion des persécutions sanglantes qui s’abattirent de bonne heure sur les communautés de fidèles. Combien il était nécessaire, en effet, d’exhorter les croyants à persévérer dans leur attachement à Jésus, en leur montrant la récompense promise aux lutteurs engagés dans le grand combat pour la conquête du royaume des cieux I Aux persécuteurs il fallait annoncer les châtiments inévitables qui attendaient les ennemis de la vérité religieuse ; il était urgent de prendre la défense des opprimés, victimes de tant de calomnies, en célébrant la pureté de leurs mœurs et la noblesse de l’idéal évangélique ; enfin, il n’était pas sans utilité de rappeler aux Romains que la venue du Christ avait apporté à l’empire un accroissement de prospérité et que le bonheur des princes et des peuples était invariablement lié à la diffusion de la doctrine chrétienne dans le monde. Des préoccupations semblables, appuyées sur une égale bonne foi, expliquent l’emploi de la poésie sibylline chez les Chrétiens comme chez les Juifs.

Les apologistes chrétiens s’approprient donc le recueil d’oracles sibyllins, librement transformés et élaborés naguère dans les communautés juives, sauf à remanier discrètement certaines parties dans