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à l’endroit de ce peuple, trop longtemps calomnié et méconnu.

C’est ainsi que la Lettre d’Jristeas, sur la traduction de la loi juive en grec, a pour objet de montrer aux Hellènes toute L’estime que le roi Plolémée l’hiladelplie avait professée pour la législation mosaïque, et de quels honneurs il avait comblé les savants juifs ; ce document apocryphe n’est qu’un éloge de la sagesse israélite, composé vers l’an 200 avant J.-G. A llécatée d’Abdère on attribua un livre sur les Jii/s ou sur Abraham, dans lequel le faussaire mêla, à des extraits de l’ouvrage authentique d’il Acatée sur VEgpte, toutes sortes de développements de sa façon ; dans ce même traité, l’auteur juif avait habilement disséminé des citations d’Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide, Philémon, Ménandre et Diphile, renfermant des idées fort acceptables sur Dieu et sur la loi morale ; il eut soin d’ailleurs d’y mêler une foule de vers de son invention, sauf à les mettre sous le couvert d’Orphée, de Linus, d’Homère, d’Hésiode. Dans les milieux juifs, furent rédigés aussi les écrits attribués à Phocylide et au Perse Hystaspe. Grâce à cette supercherie, la sagesse hellénique paraissait être en harmonie sur quelques points essentiels avec les doctrines des Livres Saints, et la vérité, qui est une, ne pouvait avoir qu’une même origine, Dieu, dont la révélation avait favorisé d’abord le peuple élu, sans refuser d’illuminer de quelques vagues lueurs les plus grands esprits de la société païenne.

On s’explique dès lors aisément que leslivres prophétiques des Gentils aient été exploités à leur tour dans un dessein de propagande par les zélateurs du judaïsme. Chez les Juifs, la prédication des prophètes s’était éteinte depuis longtemps ; mais eût-elle continué de remuer les âmes, il eut été dillicile de faire accepter leurs avertissements des Grecs, qui avaient en abondance des oracles et des devins. Or, dans le inonde gréco-romain, la Sibylle jouissait toujours d’un crédit extraordinaire, surtout chez les orientaux, qui se plaisaient à composer des énigmes sur les grands événements politiques et trouvaient un pieux divertissement à s’occuper de les déeliiiFrer. Quelle merveilleuse auxiliaire pour l’œuvre de prosélytisme si ardemment poursuivie, que cette prophétesse, dont la voix avait tant de l’ois jeté le trouble dansles consciences. Aussi bien, la Sibylle avait parcouru les pays les plus divers ; ses prédictions, partout répandues, n’avaient d’attaches précises à aucun lieu : nulle preuve certaine, nulle date précise, n’en venait attester ou intirmer la provenance authentique ; à l’exception des Livres Sibyllins officiels de Rome, dont le recueil était tenu secret, tous ces textes échappaient, par leur nature même, à une critique sérieuse et se prêtaient à des remaniements et à des interpolations sans tin, qu’il n’était au pouvoir de personne de contrôler. Rien de plus facile que d’encadrer ces prédictions décousues dans des développements nouveaux, de mêler à des oracles, depuis longtemps connus, des annonces de catastrophes inédites, d’ajouter à l’effet des menaces par des exhortations morales et des prédications pieuses ; il n’était pas moins aisé d’atteindre au ton de ces déclamations passionnées ; pour des lecteurs familiarisésavee Homère, Hésiode, les poètes gnomiqu°s, la forme de l’hexamètre épique n’avait rien de trop ardu ; en émaillant le texte d’expressions, empruntées adroitement au style de l’épopée, on se flattait de faire illusion à des lecteu. s toujours avides de révélations surnaturelles. Cet ensemble de considérations provoqua la nais--. .uice de la Sibylle Juive, dont les premières revenions eurent lieu à Alexandrie, vers le milieu du

ir-’siècle avant l’ère chrétienne ; dans les milieux juifs de cette grande ville, la divination sibylline scia toujours la forme préférée de l’apocalyptisme. A l’exemple de leurs coreligionnaires alexandrins, des Juifsétablis sur d’autres points n’hésiteront pas à composer de toutes pièces des oracles qu’ils attribueront à la prophétesse païenne, personnifiée à leurs yeux de préférence dans la Sibylle d’Erythrée, dont le recueil de prédictions fut surtout mis à contribution. Il est naturel que dans cette entreprise, d’autant plus délicate que les oracles étaient plus répandus, on ait procédé avec beaucoup de prudence, pratiquant d abord des interpolations peu visibles ; peu à peu l’apocryphisme devint plus envahissant ; les oracles d’origine païenne, s’ils ne cédèrent pas entièrement la place aux nouvelles prophéties d’esprit juif, furent notablement altérés par les interpolations et remaniements postérieurs ; mais le fonds païen primitif se retrouve à fleur de sol en maint endroit.

Il est peu utile d’expliquer longuement, sinon de justilier, une supercherie que, d’après notre conception moderne de la paternité littéraire, le lecteur peu instruit des habitudes des peuples anciens dans cet ordre d’idées, serait porté à juger avec une sévérité extrême. En fait, il ne peut être question ici de fourberie, d’imposture, de tentative criminelle à l’eiFet de surprendre la bonne foi des âmes candides, que leur défaut d’instruction, leur manque absolu de critique, une crédulité facile à abuser exposaient fatalement à prendre les inventions d’impudents faussaires pour l’œuvre d’auteurs respectés. II est bien évident que le souci de l’authenticité était fort étranger à la plupart des lecteurs dans les temps anciens ; un grand nom, un poète illustre, une prophétesse en vogue provoquaient par eux-mêmes l’admiration et une confiance prête à accepter tout ce qu’on voulait couvrir de son autorité par l’usurpation la plus audacieuse ; l’idée de recherches à l’effet de vérifier la provenance des écrits, nouvellement offerts au public, ne venait à personne, et plus d’un lecteur eût été embarrassé pour en démêler l’origine certaine, en se référant à quelque texte réputé authentique ; les livres étaient rares et chers et les éditions faisant autorité existaient seulement dans les grandes bibliothèques.

Les attributions d’écrits à des auteurs supposés s’expliquent par l’état d’àme et les intentions généralement honorables des faussaires. La même préoccupation et le même esprit qui ont fait placer sous le nom de hautes personnalités del’histoire biblique, des livres composés longtemps oprèsleur disparition comme V Assomption de Moïse, les Psaumes rie Salomon, etc., ont suggéré à de pieux Israélites l’idée de couvrir de l’autorité partout respectée de la S ; bylle les révélations qu’ils jugeaient opportun de faire à leurs contemporains, pour assurer le règne de Dieu en ce monde et procurer le salut éternel des âmes. On ne saurait parler ici de frauie pieuse, car l’auteur d’un écrit apocryphe ne croyait pas un instant que sa fiction eût rien d’une mystification blâmable ; il n’y voyait qu’un simple procédé littéraire, aussi légitime que celui de l’honnête Barthélémy écrivant le voyage du jeune Anacharsis ; une manière de présenter au public des pensées ou des exhortations dont il tirerait d’autant plus de profit que le nom de l’auteur supposé les recommanderait davantageàsa méditation. Une fois close l’ère des grands écrivains d’Israël, ce genre de productions apocryphes devait apparaître comme une littérature organique. Aussi bien, c’était à l’abri des noms célèbres de l’antiquité qu’on enseignait dam les écoles : quoi de surprenant qu’on ait eu recours à la même étiquette pour favo-