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SCOLAIRE (QUESTION)

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ses responsabilités, que la production littéraire se désintéresse de ses répercussions sociales. L’Eglise demeure l’éducatrice complète, l’éducatrice par excellence, parce qu’elle envisage toujours, d’un seul et même coup d’oeil, les orientations de la pensée et les orientations de la volonté, et parce qu’elle ne consent jamais que celles-ci soient fourvoyées par celles-là.

De nosjours, les progrès de la culture proprement scientifique créent des périls d’une tout autre nature. On croit à ce que l’on voit, à ce que l’on touche ; il semble que la matière, par une étrange revanche, limite l’horizon de l’homme à mesure qu’il la domine plus pleinement ; il semble qu’elle lui dise : Tu régneras sur moi, soit ; mais au delà de moi, à côté de moi, derrière moi, au dessus de moi, tu ne connaîtras plus rien, tu ne t’inquiéteras plus de rien connaître : moi seul, et c’est assez ! Et cette matière, d’autant plus tyrannique, seinble-t-il, que nous croyons l’avoir plus complètement domptée, voile à nos regards les réalités de l’ànie, et les réalités transcendantes, et toutes les valeurs spirituelles ; une certaine physique prétendrait nous cacher la métaphysique ; une certaine conception des sciences naturelles supprimerait, si on la laissait faire, toute notion de cause première ; et des habitudes d’esprit risquent de se créer, pour lesquelles l’invisible devient quelque chose qui n’est pas, ou quelque chose, tout au moins, qu’on ne peut aspirer à connaître. Tout à l’heure un certain abus de la culture littéraire compromettait l’intégrité de la volonté ; un certain abus de la culture scientifique, en restreignant le champ de la spéculation, peut compromettre l’intégrité même de la pensée. Et là encore, il importe que l’Eglise soit là, qu’elle soit là comme éducatrice, que par sa sollicitude elle continue de nous garantir la plénitude de nos c< nnaissances, qu’à côté des richesses intellectuelles que nous devons à l’empirisme scientifique elle protège et fasse resplendir devant nous, d’une lueur qui ne pâlisse point, celles que nous devons à la révélation. La faible connaissance qu’on peut avoir des choses les plus hautes, proclame saint Thomas, est infiniment plus désirable que la connaissance la plus certaine des choses inférieures. Tout » à l’heure l’Eglise, éducatrice littéraire, sauvegardait les droits de la morale et les postulats de l’action ; maintenant l’Eglise, éducatrice scientifique, sauvegarde les droits de la métaphysique et les postulats de la croyance. Il est bon qu’elle soit là, pour que, dans la besogne éducatrice, l’homme tout entier soit cultivé et pour que notre culture, sur quelque champ d’étude qu’elle se spécialise, ne perde jamais de vue la vérité tout entière, fille de Dieu, et présent de Dieu. Vives, au début du seizième siècle, écrivait éloquemment :

« Que ce soit chose bien gravée dans l’esprit des

enfants que ce qu’ils vont recevoir à l’école est la culture de l’esprit, c’est-à-dire du meilleur de nousmême, de ce qu’il y a en nous d’immortel, que cette culture a été donnée par Dieu à la race humaine comme le plus grand don de sa paternelle indulgence, et qu’elle ne pourrait pas provenir d’une autre source, et que c’est là, assurément, la voie qu’ils ont à suivre, pour plaire à Dieu, et pour atteindre à lui, en qui est leur suprême bonheur. Alors ils entreront pleins de respect dans leurs écoles, comme s’ils entraient dans des temples sacrés. Ils aimeront les maitres comme des ministres dans le service de Dieu, comme les pères de leurs pensées ». (Vives, op. cit., II. 4, p. 87.)

Feuilletant Vives, un peu plus avant, j’y trouve une raison suprême de faire appel à l’Eglise comme

distributrice du savoir. L’Eglise, maîtresse de charité, ditavec Bossuet : Malheur à la science qui ne se tourne point à aimer ! Elle ne veut pas d’une éducation qui ne viserait qu’à faire jouir l’individu d’un certain capital intellectuel…

« Rien ne peut être plus agréable à Dieu, écrivait

déjà Vives, que de nous voir offrir notre érudition et ce que nous possédons de ses dons, pour l’usage de nos compagnons d’humanité, c’est-à-dire de ces enfants, pour qui Dieu a donné ces grands biens à ceux, quels qu’ils soient, à qui ils sont dévolus, afin qu ils servissent à l’ensemble de la communauté. C’est là le fruit de nos études. Ayant acquis notre savoir, nous devons le tourner à l’utilité, l’employer pour le bien commun. » Et Vives expliquait que

« s’instruire pour devenir riche, c’est échanger

contre un bien vil métal la richesse du don divin, et que s’instruire pour la gloire, c’est rechercher la louange des hommes mortels plutôt que celle du Dieu immortel ». Nous devons « étudier toutes les branches du savoir, continuait-il, pour cet usage auquel Dieu le destine. Chaque branche d’études en elle-même est sans limites ; mais à un certain échelon nous devons commencer à l’utiliser pour l’avantage des autres hommes ». Et Vives engageait étudiants et savants à mettre leurs observations techniques à la disposition de la postérité, « dont nous devons nous soucier, insistait-il, comme nous nous soucions de nos propres fils ». Vives, op. cit., Appendice, I, p. 283-284, et IV, 6, p. 210. Ainsi conçue, ainsi comprise, l’éducation n’enrichit l’esprit que pour le convier sans cesse, une fois pourvu d’un surcroît de richesse, à un surcroît de générosité : la culture se fait charité, la science se fait amour.

Mgr Dupanloup disait un jour : « L’éducation est la continuation de l’œuvre divine dans ce qu’elle a de plus noble et de plus élevé ; la création des âmes. » Admirable définition, qui semble associer les éducateurs, de génération en génération, au développement du plan créateur ! Il est naturel qu’au début de leurs classes, ils invoquent l’Esprit de Dieu et qu ils rendent Dieu présent, puisqu’ils sont, chacun à sa façon, des coadjuteurs de Dieu. Or Dieu, créant les âmes, ne les a pas créées comme des mondes clos qui se suffiraient à eux-mêmes et qui vivraient, égoïstes, d’une vie sans cesse repliée sur elle-même ; il les créa pour qu’elles rayonnassent et qu’elles le fissent rayonner, et pour qu’elles agissent en dehors d’elles, et pour que par elles il agit ; il les créa pour que dans l’espace elles s’entr’aidassent, et pour que le passé secondât l’avenir. L’éducation chrétienne, succédant à la création divine, empêche que la pensée ne devienne un jeu, et corrige perpétuellement la concupiscence du savoir, en proclamant cette mission des âmes, mission apostolique, mission civilisatrice.

La Société générale d’Education et l’Enseignement, en organisant parmi nous la défense de cette éducation, fait une œuvre de justice, car en d/pit des prétentions laïques, tout le passé pédagogique de l’Eglise impose la continuation de sa besogne pédagogique ; et c’est rendre service à l’éducation française, à celle de demain comme à celle d’aujourd’hui, que de favoriser des disciplines qui mettent au service de l’enseignement la science sacerdotale des âmes, des disciplines qui empêchent la culture littéraire d’amputer nos volontés, la culture scientifique de restreindre nos horizons, et le goût di l’étude de dessécher nos cœurs.

Georges Goya. !  ;.