Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/643

Cette page n’a pas encore été corrigée

1273

SCOLAIRE (QUESTION)

1274

puissance, laissant aux particuliers la justice, la fidélité et l’humanité ». (Gaston Dahtigurs, LtTrmitè des Etudes de l’Abbé Claude Fleur > (1086), p. a18. Paris, Champion, 19a 1). On trouverait chez Fénelon, autre précepteur royal, plusieurs textes semblables, beaucoup plus connus.

J’ai le droit « le saluer, dans Fleury, dans Fénelon, les précurseurs d’une certaine éducation civique. Et pour des mœurs politiques où la dictature jacobine est toujours à craindre, ne sera-ce pas une éducation civique fort opportune, que celle qui inculquera aux enfants « l’horreur d’un système n’ayant pour but — je prends les mots de Fleury — que de rendre puissant le corps qui gouverne, aux dépens de tout le reste du peuple « ? L’absolutisme des majorités n’est pas moins redoutable, ce me semble, que l’absolutisme des rois, et le verdict du bon abbé Fleury avait à l’avance appelé la sévérité des pédagogues sur l’un et l’autre absolutisme.

Elevons-nous d’un degré dans l’échelle de l’enseignement. Les hautes études supérieures sont si expressément requises par la tradition même de l’Eglise, que nous voyons leur renaissance sur notre sol, cent ans après la Révolution, coïncider avec une époque où l’Kglise commence d’être en butte aux vexations, et que ce premier quart du vingtième siècle, où l’Eglise fut spoliée, marqua pour ces hautes études un nouveau progrès. Car l’Institut catholique de Paris, en même temps qu’il continue d’enseigner la théologie et d’enseigner, parallèlement avec l’Université, les diverses sciences dont les étudiants ont besoin, est devenu, sous les auspices de Mgr Baudrillart, un laboratoire pour certaines sciences spéciales, histoire des religions et pédagogie, langues orientales et tout récemment sciences sociales, et ces dépenses nouvelles que l’Eglise faisait au moment où elle venait d’être séparée de l’Etat, appauvrie, ruinée, prouvaient que les disgrâces politiques dont elle est frappée ne l’empêcheront jamais de poursuivre maternellement sa besogne d’éducatrice, pour le bien de la société humaine. (Voir Mgr Baudrillart, L’enseignement catholique dans la France contemporaine. Bloud, 1910).

II. Le prêtre éducateur. — Elle fut donc, à travers l’histoire, bien authentiquement une devancière, et bien authentiquement une novatrice, et bien authentiquement une messagère de toutes sciences humaines et divines, parce qu’au demeurant les sciences humaines ne sont que les fragments épisodiques d’une synthèse dont Dieu est le centre et le sommet, les reflets partiels d’une vérité totale, que jamais icibas nous n’approcherons que par analogie, par image, par énigme, parce que cette vérité s’appelle Dieu. Mais lors même que la pensée catholique n’aurait pas joué, dans l’histoire de la pédagogie et dans l’histoire des institutions scolaires, le rôle que je viens d’esquisser, il demeurerait vrai de dire que l’Eglise, par l’expérience que lui donne le ministère des âmes, est tout particulièrement qualifiée pour faire œuvra d’enseignement ; et ceux-là mêmes qui n’admettent pas qu’en poursuivant cette œuvre et en revendiquant le droit de la poursuivre, elle ne fait qu’exécuter la divine consigne d’aller et d’enseigner toutes les nations, ceux-là mêmes, parlant en observateurs, sont forcés de constater que, pour une telle besogne, elle trouve dans son ministère spirituel les éléments d’une compétence à laquelle les pédagogues étrangers au sacerdoce n’atteignent que plus difficilement. J’en atteste comme témoin M. Ferdinand Buisson. Lisons les lignes qu’il consacre à Monseigneur Dupanloup ; on les trouve citée » dans l’excellent recueil où M. le chanoine Henri Dutoit, vice recteur des Facultés catholiques de Lille, a recueilli les meilleures pages de l’ancien évêque d’Orléans. (Tourcoing, Duvrvier). « L’écrivain, l’orateur, étaient chez Mgr Dupanloup de second ordre, a écrit Renan ; l’éducateur était tout à fait sans égal. » Les raisons profondes de cette supériorité de l’éducateur, M. Ferdinand Buisson les cherche, et voici où il les trouve. M. Buisson déclare, en son L’tctionnaire de pédagogie, que dans les chapitres de Mgr Dupanloup sur l’enfance, c il y a des vues d’une justesse et d’une profondeui que peut seule donner la longue expérience d’un prêtre. » Et M. Buisson dit encore : Les réflexions « sur la dernière éducation de la jeunesse et sur les déchéances de l’autorité paternelle sont d’un moraliste aussi sagace qu’expérimenté, qui a reçu les confidences des familles, suivi de près le développement des caractères chez l’enfant et chez le j< une homme, et saisi, au fond des cœurs que la religion lui ouvrait, le secret des misères et des ruines qui s’y préparaient ». (Buisson, Dictionnaire de Pédagogie et d’instruction primaire, éd. de 1882, 1, p. 7/J474a. Paris, Hachette).

Ainsi donc, de l’aveu de M. Ferdinand Buisson, le coup d’œil pédagogique de Mgr Dupanloup, seule la longue expérience d’un prêtre pouvait le procurer ; et la façon dont ce pédagogue pénétrait les cœurs, il la devait à une clef qui s’appelait la religion. Mais alors, si la sagesse du prêtre possède ce privilège, et si la religion possède cette vertu, pourquoi fermer l’école au prêtre ? et combien étrange est cette contradiction qui, après avoir constaté, chez le prêtre, des lumières spéciales pour l’œuvre éducative, lui prohibe ensuite cette besogne ! Du jour où dans notre pays sera restauré le culte des compétences, nous aurons le droit de demander, en nous armant de ces passages de M. Ferdinand Buisson, que certains articles des lois scolaires disparaissent.

Cette sagesse, cette perspicacité, qu’il salue chez Mgr Dupanloup, il en rapporte le mérite beaucoup moins au génie personnel du prélat qu’à son office de prêtre, et qu’à ce que Chateaubriand appelait le génie du christianisme. Car, pour s’occuper des enfants, le christianisme eut un génie, et l’on peut recueillir à ce sujet, dans le chapitre de Chateaubriand sur Andromaque, une observation fort originale.

« Les anciens, écrit-il, n’arrêtaient pas longtemps

les yeux sur l’enfance ; il semble qu’ils trouvaient quelque chose de trop naïf dans le langage du berceau. Il n’y a que le Dieu de l’Evangile qui ait osé nommer sans rougir les petits enfants (parvuli) et qui les ait offerts en exemple aux hommes. ». (Génie du christianisme, livre II, chap. vi, éd. Didot, 1, p. ai y. Paris, 1874).

J’aime cette remarque ; elle est historiquement vraie. La sensibilité chrétienne, dès les origines, suggéra à la pensée chrétienne des raisons nouvelles de s’intéresser à l’enfance ; et sous l’action du christianisme les préoccupations pédagogiques s’enrichirent de nuances très neuves, très attachantes ; comparez, par exemple, à moins d’un siècle de distance, l’esprit d’un Quintilien et le cœur d’un Clément d’Alexandrie. Cet enfant que l’Eglise a sous les j eux, il est pour elle une âme dont elle devra rendre compte à Dieu, une âme qui mérite beaucoup de précaution, et qui mérite beaucoup d’honneur ; une âme qui bientôt sera menacée, mise en péril, et qui peut-être se fourvoiera, mais qui, pour l’instant, est si belle encore en sa simplicité, en sa pureté, en sa candeur, que l’Eglise, s’adressant aux adultes, leur dit à la suite du Christ : Cette petite âme-là, ressemblez-lui ! Voilà dans quel esprit cette éducatrice qu’est la Mère Eglise prend contact avec les âmes d’enfants.