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SAVONAROLE

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tel. » Et, le iS février : « Cent qui admettent la validité île l’excommunication sont hérétiques. » Il prêche son dernier sermon le 18 mars, s*arrètant parce que, dit-il, « c’est la volonté de Dieu ». Vers la lin de mars, il écrit des lettres aux princes : rois de France, d’Espagne, d’Angleterre, de Hongrie, empereur d’Allemagne, par lesquelles il réclame la convocation d’un concile œcuménique et assure, de parla révélation divine, qu’Alexandre VI n’est point pape et ne peut être tenu pour tel, car, sans parler de sa simonie et de se^ autres vices manifestes, « il n’est pas chrétien, il ne croit pas en Dieu et il a dépassé le comble de l’infldélité ».

L’épreuve du feu, acceptée par Savonarole mais non exécutée, marqua le déclin de son prestige. Les Arabbiati ou Compagnæci de Florence, ses adversaires intraitables, triomphaient. Le moine fut mis en état d’arrestation. Le pape eut beau demander qu’on le conduisit à Rome et qu’on le lui abandonnai. Les Florentins enlen iirent qu’il fût. jugé et châtié sur place. Deux procès furent instruits contre Savonarole, avec usage de la torture et de faux. Un troisième procès, où intervinrent, en qualité de commissaires du pape, Turriano, général des Dominicains, et Romolino, évëqiie d’Ilerda, condamna le moine au bûcher, le >>. mai 1’i<j8.

h) L’orthodoxie de Savonarole. — Savonarole n’a p is enseigné des doctrines spéoiliquementprotestanles, notamment celle de la justification par la foi au sens de Luther, quoi que Luther en ait dit en rééditant l’explication du Miserere composée par Savonarole dans sa prison. Cf. G. Gruybh, dans son étude préliminaire à la traduction <ie Villari, t. I, p. XXXV-XLVII, et Villari lui-même, t. II, p. 406-412. Savonarole a maintenu, en principe, la nécessité d’être uni à l’Eglise romaine. Cf., par exemple, le Triumpkuî crucis, 1. iv, c. VI, Leyde, 1633, p. 366 : Qui ergnab unitate Romanæque Ecclesiæ doctrina distentit, procut dubio, per dévia oberrans, a Christo recedit ; sed omnes hæretici ab ea discordant ; ergo ii a recto tramite déclinant, neque chrisliani appellari possunt. A la différence de Luther, qui se préoccupera de réformer moins les hommes que les choses, il estimait que « ce sont les cœurs qui doivent se changer, non l’Eglise ; les hommes, non la doctrine, non la constitution ». Cf. Schnitzkr, p. 720, -’(. Savonarole exalte le pape : distinguant l’homme du pape, il dit que, quel que soit l’homme, on doit obéir au pape. En ce qui concerne le concile, il ne prône pas la théorie conciliaire ; il n’a pas soutenu la supériorité du concile sur le pape véritable, mais seulement sur celui qui a le nom de pape sans en avoir la réalité. Savonarole n’est pas un hérétique.

« Je ne le blâme pas pour sa doctrine, disait Alexandre

VI, en mars 1’* y8, à l’ambassadeur de Florence ; ce que je blâme uniquement, c’est qu’il prêche sans avoir reçu l’absolution etqu’il outrage ma personne et méprise mes censure » ; le laisser faire équivaudrait à l’anéantissement de l’autorité apostolique. » Dans Pastor, t VI, p. 31-32 ; cf. p. 29. Sans doute, Savonarole fut accusé ensuite par les commissaires pontificaux, et par Alexandre Vllui-mêine, de répandre fa’sa et pfiti[era dogmata, et, avant le supplice, il fut dégradé comme « hérétique, schismatique et contempteur du Saint-Siège ». Mais ici le mot « hérésie », employé dans un sens large que lui avaient donné la langue usuelle du temps et la jurisprudence inquisitoriale, désigne simplement des tendances qui rendaient suspect d’hérésie : à ne pas tenir compte de l’excommunication, à ne pas obéir au pape, on semblait nier le pouvoir d’excommunier ou la nécessité d’appartenir au corps de l’Eglise. Dans les actes suprêmes du moine, tout fut orthodoxe. A

l’évêque de Vasona, chargé de le dégrader et qui, oublieux de la formule accoutumée, dit qu’il le séparait de l’Eglise militante et aussi de l’Eglise triomphante, Savonaroleput légitimement répondre : « De 1 Eglise militante, oui ; de la triomphante non, hoc enim luum non est. » Il accepta l’indulgence plénière du pape, que lui offrit un des commissaires, Romolino. Il récita le Credo, et mourut avec un calme héroïque. Comme pour confirmer l’orthodoxie du maître, quand Rome fut assiégée par les hordes protestantes, quand Florence fut en guerre contre le pape qui voulait abattre la république, aucun des disciples de Savonarole ne prit parti pour le protestantisme.

Mais attaché théoriquement à la doctrine catholique, Savonarole s’est laissé entraîner, par la fougue de son éloquence et de ses convictions prophétiques, à des manières de parler et d’agir que le catholicisme ne comporte pas. Dès avant son en’rée dans l’ordre dominicain, après un traité sur la « ruine du monde », il avait écrit une oanzone sur la « ruine de l’Eglise ». A prendre à la lettre son langage quand il fut moine, on aurait pu croire que non seulement l’Eglise avait besoinde réformes, maisqu’elle n’existait plus. Il faut lire, par exemple, le 23e discours sur leps. lxxii, prêché à Sainte-Marie des Fleurs pendant l’avent de ! yi, que résume cette phrase : non solo hanno des’.rutto la Chiesa di Dio, ma egli hanno fatto una Chiesa a loro modo ; questae la Chiesa moderna. Dans les Prediche di fraG. Savonarola, Florence, 1845, p. 568. Et, quand il disait que Rome était la cause du mal, qu’il était nécessaire que Rome fût détruite, c’était en des termes qui logiquement excluaient l’indéfectibililé de l’Eglise romaine. De même, s’il admettait en principe l’autorité du pape, pratiquement il refusait de lui obéir, sousprétexte qu’ « il vaut mieux obéira Dieu qu’aux hommes », qu<" ses ordres étaient contraires au commandement de la charité chrétienne ; il ne consentait pas à se soumettre à une excommunication qu’il taxait d’injustice ; il en appelait du pape au « pape céleste qui est le Christ » et à un concile qui se tiendrait sans le pape et malgré le pape.

Parla, il risquait desusciter un nouveau schisme et annulait, en fait, le pouvoir du vicaire du Christ. Sur quoi Raylb remarque judicieusement, Dictionnaire historique et critique, t. IV, p. 1 58, n. : « Il y a quelque apparence qu’il eût allégué les mêmes raisons contre un concile que contre Alexandre VI, au cas où un concile l’eût traité de la même sorte que le pape. Il aurait donc cru qu’il n’y avait sur la terre aucun tribunal qui lui pût imposer silence, et que sait-on s’il ne croyait pas qu’en qualité de prophète il devait immédiatement relever de Dieu et jouir d’un droit de commitiimus pour évoquertouîes ses causes en première instance à la cour céleste ? » Cf. A. Franck, Réformateurs, p. 370-273.

Il faut ajouter, à la décharge de Savonarole, que, depuis le grand schisme et le concile de Constance, la notion véritable de l’autorité du pape et de celle du concile œcuménique avait été obscurcie. Le concile de Constance s’était prononcé dans le cas de papes douteux. On se demanda si l’intervention souveraine du concile n’était pas légitime dans le cas de papes mauvais, simoniaques, suspects d’hérésie ou d’inerédulité. L’élection simoniaque d’Alexandre VI ne faisait pas doute ; cela suffirait pour que des esprits aussi divers qu’un Savonarole et un cardinal Julien de laRovère, le futur Jules II, ne vissent pas en lui un vrai pape. En outre, on le qualifiait de « marrane », on doutait de sa foi, et sa conduite était notoirement scandaleuse. Et c’était ce pseudo pape, c’était la curie romaine trop modelée à son image,