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SAVONAROLE

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En tout cas, le prophélisme intervint fâcheusement dans les origines de la réforme. Savonarole obtint l’adhésion des moines de Saint-Marc en leur racontant une de ses visions : il avait reçu de saint Augustin, de saint Thomas d’Aqnin et de sainte Catherine de Sienne, la révélation que, sur 28 frères morts à Saint-Marc, a.’i étaient en enfer, 1 au purgatoire et 2 au paradis ; parmi les conventuels, p ;.s même un sur cent n’était sauvé.

C. Le réformatbur de Flore.xce. — Les visions de Savonarole expliquent, plus encore que son talent oratoire et ses venus, l’ascendant extraordinaire qui (it de lui le maître de Florence.

Sur la double réforme, morale et politique, de cette ville il y aurait beaucoup à dire. La réforme politique ne fut ni aussi parfaite que l’a prétendu Vll.LA.Rl, pour lequel, sur ce terrain, Savonarole

« va de pair avec les plus grands fondateurs de républiques

», t. II, p. 356, ni aussi mal venue et portant la marque d’ « un esprit étroit et borné » que l’ont dit A. Franck, Réformateurs et pttblicistes de FEurope. Moyen âge. Renaissance, Paris, 186/1, p. 277-28.5, et Pastor, trad., t. V, p. 205. La réforme morale, de son côté, ne laisse point d’être mêlée d’éléments fâcheux. Les admirateurs les plus résolus de Savonarole seront toujours embarrassés par certains aspects de ces deux réformes : la rigueur des châtiments, des mesures qui tendaient à transformer Florence en un vaste monastère, l’emploi des enfants pour exercer une police odieuse, des cérémonies théâtrales et ridicules, telles que le

« brûlement des vanités », etc.

En Savonarole, dit Schnitzer, p. 7^6, « l’homme d’Etat, comme le prédicateur et le réformateur de i’Eg’.i e, naquit du prophète ». C’est ce qui explique la puissance de son action. La venue de Charles VLU lit qu’on eut envers le moine qui l’avait annoncée une conûance sans limites. Dès lors, coup sur coup, des récits de visions invérifiables et qu’on ne songeait pas à mettre en doute, exaltèrent les foules, les tinrent en haleine, les disposèrent à recevoir tout ce qu’il leur offrait au nom du ciel. C’était la vision de l’épée sur laquelle étaient inscrits ces mots : Gladius Domini super terrain cito et velociter. C’était celle d’une croix noire s’élevant du milieu de Rome, et portant : Crux iràe Dei, puis disparaissant alors que, du milieu de Jérusalem, surgissait une croix d’or sur laquelle on lisait : Crux misericordiæ Dei. C’était une vision dantesque, mise devant l’esprit de Savonarole par le ministère des anges : il faisait un voyage au paradis, s’y présentait en ambassadeur des Florentins, rapportait les paroles de divers personnages allégoriques et de la Vierge, et reproduisait un discours que le Christ adressait par lui aux Florentins et qui confirmait de tous points les enseignements du frère. Autant d’imaginations qui, données et reçues comme des vérités célestes, rendirent possibles les réformes de Savonarole, mais en vicièrent les origines et fournissent l’explicotion de leur succès, de leurs audaces, de leurs incohérences.

I). Lb rbi’ormatbur » b l’Eolisk. a) Les faits. — Que des réformes fussent nécessaires, les saints et les hommes d’Eglise les plus autorisés le proclamaient depuis longtemps. Savonarole le fit, à son tour, avec véhémence. L’Eglise, disait-il, doit être renouvelée ; il faut qu’elle retourne à la simplicité de l’Eglise primitive, La source du mal est la donation de Constantin. L’amour désordoni é des richesses n tout gâté. Le mal est partout, non seulement dans le peuple chrétien, mais dans les prêtres, les moines et les religieuses, les prédicateurs, les prélats. Ma ! heur à la maison qui a un prêtre ! Sur 100,

pas un qui se sauve ! Le mal est surtout à Rome, dans la curie et le souverain pontificat. Le mondanisme de Sixte IV (1 471- 1’, 8’, ) avait malheureusement procuré à Savonarole de trop justes motifs de récrimination. Avec Innocent Y III (1.’, 8’, - 1’192), ce fut pire encore. L’élection scandaleuse d’Alexandre VI (1492-1503), ce qui l’avait précédé et ce qui la suivit ajoutèrent de nouvelles raisons de plainte. L’opposition d’un tel pipe parut à Savonarole la preuve que sa mission de réformateur était divine. Savonarole, en effet, ne doutait pas qu’il eût été choisi de Dieu p : >ur annoncer le renouvellement de l’Eglise. Du reste, l’œuvre du salut n’incombait pas à lui seul. Lui, il était la parole. Le roi de France, Charles VIII, serait le bras qui agirait à coup sûr : prophéties révélations, miracles, le désignaient pour l’envoyé de Dieu, pour celui par qui s’accomplirait la réforme de l’Eglise.

Tant que S ivonaroles’était conûnédansledomaine religieux, il avait pu prêcher librement. Dujour où, non content d’avancer que Charles VIII serait lesauveur de l’Eglise, il proclama que l’alliance des Florentins avec lui était voulue de Dieu, il n’en fut plus ainsi. D’accord avec les Etats italiens, sauf Florence, Alexandre VI soutenait une politique antifrançaie ; en t40, 5 ( avec l’Espagne, l’empereur. Venise et Ludovic le More, il forma, pour la p-otection de la chrétienté contre les Turcs et pour la défense du Saint-Siège et du Saint-Empire romain, une ligue qui, en fait, était dirigée contre la Francp. En même temps que pour le pouvoir temporel du Saint-Siège, le pape avait tout à redouter de Charles VIII pour sa personne ; le roi avait mis en avant contre lui la menace d’un concile, équivalente à celle d’une déposition. Alexandre VI résolut de gagner les Florentins à sa cause. Pour cela, il fallait imposer silence à Savonarole.

A cette fin, le pape prit diverses mesures. D’abord (î5 juillet 1 495), il manda au moine de venir rendre compte à Rome des prophéties qu’il présentait au nom de Dieu. Puis (8 septembre), il rattacha de nouveau le couvent de Saint-Marc à la congrégation dominicaine de Lombardie : le supérieur de cette congrégation désignerait la résidence de Savonarole. Plus tard (1^96), vu l’hostilité entre Saint-Marc et la congrégation de Lombardie, il forma une congrégation toscano-romaine ayant à sa tête un vicaire qui pouvait éloigner Savonarole de Florence. En outre, le 8 septembre i/|ij5, il défendit au frère de prêcher. Cette défense fut réitérée le 16 octobre. Vers cette date, Alexandre VI tenta, par l’offre d’un chapeau de cardinal, d’amener Savonarole à modifier son langage. Finalement, il 1 excommunia (1 a mai 1 4 >J 7).

Tout ce que le pape obtient de Savonarole, ce sont des interruptions momentanées de ses prédications. Mais le frère n’accepte ni le chapeau de cardinal, ni l’union de Saint-Marc avec la congrégation lombar Je, pas plus qu’avec la congrégation loscano-romaine, et, après des silences qui lui pèsent, il se remet à prêcher. Quand il donne, en mai 14y6, ses sermons sur Ruth, son chef-d’œuvre, il s’écrie : « Si je ne prêche pas, je ne peux vivre. » Il proche avec une virulence toujours croissante. Il prêche que « quiconque le persécute, persécute Dieu lui-même ». Excommunié, il s’abstient d’abord de toute fonction ecclésiastique. Mais il rédige une /’pitre à tous les chrétiens, où il allirmc de nouveau le caractère divin de sa mission et déclare que « l’excommunication est sans valeur devant Dieu, et devant les hommes ». Il finit par remonter en chaire. Le Il février 1’i'|S. il dit : « Oinim Seigneur et mon Dieu, si jamais je demandais l’absolution de cette excommunication, précipitez-moi en enfer, car je croirais avoir commis un péché mor-