Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/616

Cette page n’a pas encore été corrigée

1219

SAVONAROLE

1220

Pourtant, il ne fut hostile à fond ni à la poésie — il était poète lui-même — ni à la science. Surtout il comprit l’art et sa valeur, éducatrice ou corruptrice. Dès ses premiers sermons, de 1489 à 14’.P, il dénonça l’invasion du paganisme dans les œuvres d’art religieux. Quand Florence devint la « république du Christ », il s’expliqua davantage, « avec sa franchise accoutumée, autant de modération que d’adresse, et une intelligence élevée et compétente », dit G. Lafknbstrh, S. François d’Assise et Savonaroie inspirateurs de fart italien, ae édit., Paris, 1912, p. 27g A des termes généraux, puis plus précis et pratiques, employés en 14g6, succéda, en 14y ; , une sorte d’exposé de principes, le développement d’une pensée « de sources platonicienne et chrétienne, mais qu’on sent éclairée par l’expérience dans un milieu d’artistes pratiquants ». Ce qu’il condamnait, c’étaient les excès du naturalisme, ce n’était pas un naturalisme sain. Son admiration pour la nature en fait un véritable continuateur de saint François d’Assise. Loin de décourager l’activité des artistes, il l’excitait, mais en s’appliquant à leur tracer une voie plus haute et plus droite. Dans le couvent modèle qu’il voulait fonder, son intention était d’établir, comme dans ceux du moyen âge, des ateliers et des écoles pour les peintres, sculpteurs, miniaturistes, orfèvres, etc. Parmi la foule qui se pressait autour de sa chaire, les artistes étaient aux premiers rangs. Un certain nombre sacrifièrent quelques-unes de leurs œuvres, impures ou profanes, dans les autodafés du carnaval, en 1’197 et 1 /J98. La plupart de ces convertis, dont la liste est aussi longue que glorieuse, furent stimulés par la parole du moine ; son influence agit tant sur le choix des sujats que sur la manière de les présenter. Le plus grand de tous, qui devait garder en bien des choses et porter à quelques-unes de ses conséquences extrêmes l’esprit de S. vonarole, fut Michel- Angb. Bref, conclut Lafhnbstrk, p. 299, « sur le terrain des arts, au moins, le sang du martyr n’avait pas inutilement coulé ».

III. Les ombres. — A. Le prophète. — « Le trait le plus frappant, dans la vie et dans les œuvres de Savonaroie, est son proj’hétisme », dit justement J. SciiiNir/.HH, p. 63a. Il fut convaincu, plus que n’importe quel prophète, de l’origine divine de ses prophéties. La prophétie, où il voyait à la fois un don et une responsabilité, un lourd fardeau, est « le secret de sa force et de ses succès », dit encore Schnitzer, p. 658, — le secret aussi de sa faiblesse et des sévérités de l’histoire à son endroit. Or Savonaroie pensait être prophète aux deux sens bibliques du mot : en tant que docteur éclairé de Dieu et en tant qu’annonciateur d’événements futurs.

a) Le docteur éclairé de Dieu. — Deux idées se font jour à travers les opuscules de Savonaroie antérieurs à la profession dominicaine, qui n’auront qu’à se raccorder à ses conviction » sur la « ruine du monde » et sur « la ruine de l’Eglise », pour susciter en lui le réformateur et le prophète : la première est que l’histoire contemporaine est comme écrited’avance dans l’Ancien Testament, surtout dans sa pnrtie prophétique ; la seconde., que les songes, comme celui qui détermina son entrée au cloître, révèlent les volontés de Dieu. En 1 483, au moment de ses premières prédications, Savonaroie croit avoir une vision céleste et entendre une voix lui ordonnant de notifier au peuple les souffrances futures de l’Eglise. Dès lors, il se tient pour assuré d’une mission divine. Dieu, pour le bien de ses élus, veut que les fléaux qui vont sévir soient annoncés à Florence, « placée au milieu de l’Italie, comme le cœur dans l’homme », et, de là,

dans l’Italie entière ; et c’est lui Savonaroie qui a été désigné pour ce ministère prophétique. Dès 1485 ou 1486, à San-Gemignano, et dès 14go, à Florence, il lance ces trois affirmations, qui seront désormais son refrain et le mot d’ordre de sa vie : 1. L’Eglise sera renouvelée. 2. Auparavant, elle sera châtiée. 3. Cela aura lieu promptement.

D’abord, Savonaroie appuie ses dires sur des arguments rationnels ou sur l’Ecriture, dissimulant qu’il en a reçu la connaissance de Dieu lui-même. Mais il ne peut taire longtemps ses visions. Ayant à prêeher, un dimanche de 1 4 9 1, à Sainte-Marie des Fleurs, il a beau se résoudre, durant le samedi et la nuit du samedi au dimanche, à les garder secrètes ; à l’aube du dimanche, abattu par une si longue veille, il entend, pendant qu’il prie : Démens, nonne vides Deum velle ut talia in liunc modum annunches ? Et le sermon qu’il prononce ce jour-là, les paroles qu’il apporte au nom de Dieu, font trembler l’auditoire. Cf. Compendium revelaiionum, à la suite de la Vil* a. J. Fr. Pico Mirandulae principe, édit. Quétif, Paris, 165.’», t. 1, p. aiy228.

Une influence, qu’il ne faut ni exagérer ni méconnaître, fut celle d’un moine de Saint-Marc, Silvbstrb Maruffi, personnage de science et de caractère médiocres, atteint d’accès de somnambulisme pendant lesquels il proférait des discours bizarres. Savonaroie avait inauguré sa carrière de prophète avant d’avoir rien su des visions de Marulli dont il connaissait d’ailleurs l’état maladif ; ce n’est donc pas de lui que relève, à son point de départ, son prophétisme. Mais, Maruffi ayant reproché à Savonaroie ses prédictions et les visions sur lesquelles il les basait, Savonaroie lui demanda de prier avec ferveur, pour que Dieu manifestât la vérité. « Que ce fût l’effet de ma maladie ou d’une autre cau » e, dira Maruffi dans le procès qui se terminera par sa mort et celle de Savonaroie, il nie sembla que les esprits me blâmaient de ne pas avoir loi en Savonaroie. » Cette prétendue vision impressionna fortement les deux moines ; dès ce jour, Marulli crut Savonaroie et Savonaroie crut aveuglément à Marulli. D’après frère Domimqub db Pescia, le troisième dominicain qui mourut sur le bûcher avec Savonaroie et Marulli, Savonaroie et lui Dominique présentèrent parfois comme des visions personnelles certaines visions de Marulli : celui-ci affirmait les avoir eues par l’intermédiaire des anges, qui lui avaient recommandé de les révéler à ses deux compagnons, pour que ceux-ci en leur propre nom les racontassent au peuple.

Quoi qu’il en soit du degré de l’influence de Maruffi, Savonaroie vécut en plein rêve. Pas une fantaisie de son imagination qu’il ne fût tenté de pr< ndre, à la lumière de la Bible et de saint Thomas d’Aquin, pour une inspiration divine. Il put bien déclarer, çà et là, mais dans le même sens que saint Jean-Baptiste, qu’il n’était ni prophète ni lils de prophète ; au cours du procès final, tantôt il affirma qu’il possédait l’esprit de prophétie, tantôt il le nia, et, dans la prison, il gémit, par moments, d’être abandonné par l’esprit prophétique. Mais, en somme, sur le fait de sa dignité prophétique, le « nouveau Moïse » fut aussi atlirmatif que possible. Il faut voir, dans son Dialogo délia verità projetieu, ses idées sur la prophétie, les raisons sur lesquelles il établissait sa mission prophétique, la certitude qu’il en avait :

« Si je mens, disait-il, Dieu ment ; si Dieu se trompe, 

moi aussi je me trompe ; ma prédication est aussi vraie que l’Evangile et je suis prêt à mourir pour elle. » Les moindres événements lui étaient des révélations du Seigneur. Agenouillé dans sa cellule, >'l