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POUVOIR INDIRECT

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a préposé le premier uux choses divines et le second aux choses humaines. Chacun d’eux, dans son ordre, est souverain (utraque potrstas est, in génère suo. niaxima) ; chacun d’eux est renfermé dans des limites parfaitement déterminées, et tracées en exacte conformité avec sa nature et son principe. Chacun d’eux est donc circonscrit dans une sphère où il peut se mouvoir et agir en vertu de » droits qui lui sont propres…

Ainsi, tout ce qui, dans les affaire* humaines, à un titre ou à un autre, concerne la religion, tout ce qui touche au salut des unies et au service de Dieu, soit par son essence, soit par son rapport avec les principes d’où il dépend, tout cela est du ressort de l’autorité de l’Eglise.

Quant aux autres choses, qui constituent le domaine ciril el politique, il est dans l’ordre qu’elles soient soumises à l’autorité civile, puisque Jésus-Christ a ordonné de rendre à César ce qui e$t à César el à Dieu ce qui est à Dieu.

Donc, l’autorité de l’Eglise ne s’étend pas aux matières qui sont de la compétence normale de l’Etat, dès lors qu’aucun problème religieux ou moral ne s’y trouve impliqué. L’organisation politique, administrative, judiciaire, ûscale, militaire… de la société temporelle est de la compétence exclusive de l’Etat. Dans ce domaine du bien commun temporel, qui lui est propre, l’Etat n’est subordonné « directement » à aucune autorité supérieure, l’Etat est souverain.

IV. Concept et existence du pouvoir « indirect » sur le temporel.

Les matières temporelles sont étrangères à la compétence normale et au pouvoir

« direct » de l’Eglise. Néanmoins, la puissance ecclésiastique

peut se trouver légitimement et nécessairement conduite, par l’exercice même de sa fonction spirituelle, à intervenir dans certaines affaires qui, en vertu de leur nature propre, appartiendraient au domaine temporel et politique. Le titre et le motif d’une pareille intervention ne serait évidemment pas le caractère temporel et politique du litige, mais ce serait le fait que, dans le litige temporel et politique, serait engagé un problème spirituel et moral, un grave intérêt religieux. Le litige politique appartiendrait ainsi à la compétence de l’Eglise, non pas directement, par son objet temporel, mais indirectement, par sa connexion (accidentelle mais réelle)avec le domaine religieux et spirituel. Nous atteignons ici le conceptdoctrinaldu pouvoir « indirect » de l’Eglise et du Saint-Siège sur le temporel.

Comment savons-nous que l’Eglise possède un tel pouvoir ?

On peut, d’abord, faire observer que cette prérogative résulte de la nature même des choses, dès lors que le Magistère ecclésiastique a été institué par le Christ pour enseigner la doctrine évangélique et les moyens du salut, et dès lorsque la complexité des choses humaines introduit parfois des problèmes d’ordre spirituel et religieux dans les affaires de la cité temporelle et politique. On formulerait donc l’argument dans les termes suivants : Il est révélé que l’Eglise possède autorité sur toute matière engageant le salut éternel. Or, il est rationnellement et expérimentalement évident que certaines affaires temporelles et politiques engagent le salut éternel (par les devoirs de conscience ou la matière de péché qui s’y trouvent impliqués). Par conséquent, il est théologiquement certain que l’Eglise possède autorité sur les affaires temporelles et politiques rentrant dans cette catégorie.

L’Eglise hiérarchique nous a, de fait, appris que telle était sa vraie pensée, sa vraie doctrine. Elle nous l’enseigne par sa pratique constante. Elle nous l’enseigne par ses déclarations officielles.

Pratique constante : toutes les fois qu’une grave nécessité religieuse se Irouvaitengagée dans un conflit temporel et politique, les Papes et les Conciles

se sont considérés comme ayant le droit d’intervenir avec autorité. Cette pratique constante et notoire implique évidemment un principe. Elle équivaut à l’a ilirma lion d’une doctrine.

Déclarations officielles : ce sont, en particulier, les actes (énumérés plus haut) de la Papauté contemporaine où sont condamnés pour erreur doctrinale ceux qui nient l’existence d’un pouvoir « indirect » de l’Eglise sur le temporel, ou encore la description que donne le Magistère pontifical des matières soumises à la compétence de l’Eglise. Par exemple, dans le passage même, que nous avons cité, de l’Encyclique Immortalc Dei, où Léon XIII afliriue la légitime indépendance de l’Etat dans les matières purement temporelles, le Pape proclame que l’autorité de l’Eglise s’étend à tout ce qui touche au salut des âmes et au service de Dieu, soit par son essence, soit par son rapport avecles principes d’où[la solutiondépend. Voilàencore lepouvoir « indirect ».

Les affirmations des Papes duMoyen Age viennent à l’appui de cette même doctrine : ou plutôt on peut se demander si elles n’iraient pas beaucoup plus loin et n’aboutiraient pas à la revendication, par le Saint-Siège, d’un pouvoir « direct » et plénier sur les Couronnes. Quelques canonistes, très peu nombreux, d’ailleurs, soutinrent alors cette théorie extrême, et tel ou tel texte des bulles pontificales, notamment d’Innocent III et de Boniface VIII, paraitrait favoriser l’opinion de ces canonistes.

La vérité est que les documents ecclésiastiques du Moyen Age n’ont pas, sur ce problème, toute la clarté de concepts, toute la précision de terminologie que nous exigerions, à bon droit, aujourd’hui. Sans aucun doute, il y a quelque confusion dans le langage de certains textes pontificaux, où les rédacteurs ont un peu abusé des formules oratoires et des allégories bibliques. Cependant nulle définition doctrinale n’existe en faveur du pouvoir « direct » de l’Eglise sur le temporel ; et la bulle Unam sanctam, qui passe pour le plus audacieux monument des ambitions théocratiques de la Papauté médiévale, se termine par une conclusion très courte, qui est catégorique pour affirmer l’extension universelle de la juridiction du Saint-Siège « à toute créature humaine », mais qui est absolument indéterminée au sujet des matières appartenant à la compétence doctrinale du successeur de saint Pierre. La conception la plus mitigée des pouvoirs pontificaux serait compatible avec le bref dispositif de la bulle Unam sanctam. D’ailleurs, les déclarations les plus audacieuses d’Innocent III et de Boniface VIII, où les adversaires de l’Eglise croient découvrir une revendication péremptoire de suprématie temporelle et

« directe >- du Pape sur les Couronnes, méritent d’être

examinées de près, et comparées avec d’autres fragments des mêmes bulles et d’autres enseignements des mêmes Pontifes. Ainsi étudiés, ces documents n’excluent pas l’indépendance du pouvoir civil dans le domaine qui lui est propre, et ne revendiquent, au temporel, un droit supérieur d’intervention pour l’Eglise que dans la mesure même où la chose est exigée par le droit de Dieu et le salut des âmes. Or, c’est déjà le principe même de la théorie qui sera plus tard élucidée, formulée nettement, par Bellarmin etSuarez, sous le nom de pouvoir « indirect », et qui prendra place, avec toutes les déterminations souhaitables, dans les actes de la Papauté contemporaine.

Les théoriciens de l’indépendance absolue de l’autorité civile, les légistes du Moyen Age, prétendaient que le Pontife romain n’avait aucun ordre à donner, aucune sanction à imposer, aucun droit d’intervenir, dès lors qu’il s’agissait d’un acte officiel de la Cou-