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SAINTS

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moment un aigle, qui paraissait s envoler du bûcher et figurait l’àine du défunt. Ces inventions politiques avaient leur place marquée dans un programme de gouvernement ; si la foule put s’y laisser prendre, les auteurs de la mise en scène ne s’y trompaient pas. Rien de semblable dans les hommages sincères rendus par les chrétiens à leurs grands morts, non pas certes comme à des dieux, mais comme à des amis du seul vrai Dieu. La vraie différence était marquée, avec toute la fermeté possible, par la tradition des Pères ; on n’a que l’embarras du choix entre les témoignages.

Saint Augustin sait que les martyrs ne sont pas des dieux. Civ. Dei, XXII, x, P. L., XII, 772 : Xobis martyres non sunt dii, quia unum eundemque Deum et nostrum teinta » cl marlyrum. Il constate l’imprécision de la langue latine, qui rend volontiers par un seul mot, ctiltus, l’hommage qu’on rend à Dieu et celui qu’on rend aux serviteurs de Dieu ; mais il n’est pas dupe de cette synonymie et rencontre dans la langue grecque un terme pour rendre, sans nulle équivoque, l’idée de l’hommage qu’on réserve à Dieu seul, )%rpîio. C. D., X, 1, 2, 278.

Saint Cyrille d’Alexandhir dit pareillement, Contra lulianum, VI, P. G., LXXVI, 812 : « Nous ne tenons pas les saints martyrs pour des dieux, nous ne leur rendons pas un culte d’adoration (^arp=uztxSii ) t mais d’égard et d’honneur (^rmû ; r.aî rt/j.^n/.&i)… Je le répète, nous ne tenons pas les saints martyrs pour des dieux, mais nous leur témoignons toute sorte de respect, nous honorons leurs tombeaux à cause de leur courage éclatant, leur accordant commeprix et comme récompense une mémoire impérissable ».

Theodoret ne parle pas autrement des anges. Græcarum affeetionum curatio, Serm. iii, De Angelis, P. G., LXXXIII, 889 D : « Nous ne les appelons pas dieux, nous ne leur rendons pas d’honneurs divins, nous nepartageons point entrelevraiDieu et ces anges l’adoration divine ; nous les tenons pour supérieurs aux hommes, mais pour nos compagnons dans le service de Dieu ». — Et des martyrs. Ibid. t vin, De martyribus, 1018 C : « Que nous reprochez-vous, alors que vous divinisez tant de morts, à nous qui nous abstenons de diviniser les martyrs, mais les honorons comme témoins et affectueux serviteurs de Dieu ?… » lb.. 1020 D : « Nous n’offrons ni sacrilices, ni libations aux martyrs, mais nous leur rendons hommage comme à des hommes, divins et amis de Dieu. »

Saint Epipiianb, sur le culte delà sainte Vierge, s’exprime ainsi, H., lxxix, £, P. G., XLII, 7^5 C :

« Le corps de Marie fut saint ; il n’était pas Dieu.

La Vierge était Vierge et comblée d’honneur, mais elle n’a pas été proposée à notre adoration : elle adorait Celui qui naquit d’elle selon la chair, venu du ciel et du sein de son Père… » lb., 7, 7^9 D : Le Verbe a pris chair de la sainte Vierge, mais la Vierge n’était point objet d’adoration ; il n’a pas voulu en faire une divinité ; il ne nous a pas invités à offrir des sacritices à son nom… Il faut honorer Marie ; mais il faut adorer le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; quanta Marie, nul ne doit l’adorer. » Etc. (Benoit XIV, De servorum Dei beatificatione et canonizatione, I, 1).

Intervention de l’autorité pontificale. — L’élan spontané des foules chrétiennes, honorant le souvenir de leurs grands hommes, fut souvent encouragé par l’autorité des évoques. Un jour vint où ces initiatives locales durent être consacrées, puis contenues et réglées, par l’intervention personnelle du Pontife Romain. Parmi les cultes locaux directement encouragés par Rome, Benoît XIV cite,

dès le iv siècle, celui de saint Vigile, évoque de Trente, I, vu. 2, p. 52 A ; au v siècle, celui de saint Jean Chrysostome, honoré par ie pape Innocent I", I, vii, 3-6, p. 52-54 ; au commencement du vii p siècle, celui de Saint Maur, disciple do saint Benoit, honoré par le pape Boniface 111 ; I, vu. p. 54 B ; et bien d’autres. On pourrait sans beaucoup de peine, grossir cette liste. Au xn c siècle, les interventions pontificales dans ce domaine se multiplient : l’empereur Henri est canonisé par le pape Eugène III ; VIII, 17, p. OS B ; Edouard III d’Angleterre, Thomas Becket, Bernard de Clairvaux, par le pape Alexandre III, I. ix ; Bruno de Segni par LuciusIH ; d’autres par Clément III, Céleslin III, Innocent 111, Honorius III.

Le pontificat d’Alexandre 1Il marque un changement notabledans les revendications du Saint-Siège. Jusqu’au xne siècle, on avait vu souvent les restes mortels de saints personnages élevés sur les autels par l’autorité privée des évêques. Cette liberté, source possible d’abus et d’erreurs, prit fin, quand Alexandre revendiqua expressément toute initiative « n matière de canonisation. Innocent III, Grégoire IX, affirmèrent de plus en plus la prérogative pontificale. D’ailleurs une tolérance fut accordée aux cultes locaux déjà en possession d’une prescription centenaire. Le terme normal de cette tolérance est l’année 1534< antérieure d’un siècle à la nouvelle discipline inaugurée en IG34 par les décrets d’Urbain VIII.

Il résulte de cet exposé que le terme de béatification s’applique, suivant les temps, à des mesures différentes. Jusqu’au temps d’Alexandre III, il désigne souvent un culte de fait, plus ou moins expressément approuvé par l’Ordinaire local. Après cette date, il implique un acte an moins rétrospectif de l’autorité pontiûcale : acte qui comporte certaines restrictions soit quant au temps, soit quant au lieu du culte, soit quant à la plénitude de l’approbation .

Au contraire, un décret de Canonisation est un jugement définitif et irréformable sur la sainteté d’un personnage proposé par l’autorité pontificale aux hommages de toute l’Eglise. Jugement infaillible, de sa nature. Qu’il puisse avoir ce caractère, Benoît XIV l’établit par plusieurs raisons : i° Le Souverain Pontife ne peut engager l’Eglise dans l’erreur quant à la règle des mœurs, en proposant à sa vénération, par un acte de pleine autorité apostolique, un pécheur. C’est le sentiment de saint Thomas, Quodlih., ix, q. 7, a. 16 : In Ecclesia non potest esse error damnabilis : sed hicesset error damnabilis, si venrraretttr tanquain Sanctus qui fuit peccator ; quia aliquiscientes peccala eius, crederent hoc essefalsum…, etsiita conligrrit, passent aà’errorem perdiici : ergo Ecclesia in talibus cri are non potest. — 2° L’assistance du Saint Esprit doit nécessairement préserver l’Kglise d’erreur en matière si grave. — 3° Le culte des Sainls est une profession active de notre foi ; dans cette profession, l’Eglise ne peut errer. — 4° A posteriori, l’on constate que les objections, soulevées contre les canonisations proprement dites, ne sont pas insolubles.

Qu’on n’objecte pas ici la présence decertainsnonis dans le Martyrologe romain, où des erreurs ont pu être signalées, et parfois ont été corrigées. La présence d’un nom dans le Martyrologe romain n’est pas un indice certain de canonisation, sinon pour la période moderne, dont on peut fixer le début au temps d’Alexandre III (n5g-u81). Pour la période antérieure, la présence d’un nom n’est pas un indice de canonisation formelle, ni même « équipollente ». La question, souvent présentée à la Sacrée Congre-