Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/559

Cette page n’a pas encore été corrigée

1105

SAINT-OFFICE

1106

présidait ; plusieurs lurent témoins des discussions qu’y souleva le luthéranisme naissant ; l’un d’eux, Alphonse Valdès, secrétaire de l’empereur-roi, fut même chargé par lui de discuter avec let délégués des protestants les termes de la Confession qu ils présentèrent à la diète d’Augsbourg.

L’humanisme d’Allemagne et des Pays-Bas avait pénétré ainsi en Espagne, où les études de philologie grecque, hébraïque et latine, en honneur à Aléa la et hautement protégées par le cardinal Ximénès, grand inquisiteur d Espagne, lui avaient préparé les voies. Erasme fut très lu et exerça une grande influence sur toute l’Espagne intellectuelle et religieuse, dans les premières années du xvi' siècle.

En Espagne, comme dans les pays germaniques, en France et en Italie, l’humanisme fut souvent le véhicule du protestantisme, même lorsque ses représentants protestaient, comme Erasme, de leur lidélité au catholicisme, mais à plus forte raison lorsque, tombant tout à l’ait du côté où ils penchaient, ils Unissaient par professer eux-mêmes les nouvelles doctrines. Ce fut le cas, en Espagne, de l’humaniste Jean de Valdès, frère d’Alphonse.

Bntin les relations d’affaires, qui étaient fort actives entre les royaumes espagnols, l’Italie et les pays rhénans, amenèrent, avec les marchandises, les livres de Luther et des premiers réformateurs. Le 2~t juin 15a4, Martin de Salinas, représentant de l’infant Ferdinand, frère de Charles-Quint, écrivait de Burgos à son maître : « Votre Altesse saura que de Flandre est venu un navire chargé de marchandises pour "Valence ; il portait plusieurs tonneaux de livres luthériens ; pris par les Français, il a été depuis recouvré et envoyé à Saint-Sébastien. » Une autre lettre du même au même, datée de Madrid le 8 février 15a5, mentionne un autre chargement de livres hérétiques porté sur un navire vénitien dans un port du royaume de Grenade ; ainsi les provinces basques et le royaume de Grenade risquaient de devenir des foyers de propagande protestante.

Ce fut en effet de Valladolid, en communications avec les provinces basques, et de Séville, en communications avec les ports de l’Andalousie, que le protestantisme menaça de gagner toute l’Espagne (Membndbz y Pelayo, Historia de los heterndoxos eipanoles, H. p. 315-316). On s’explique, dèslor3, que, écrivant, le 21 mars 1021, aux gouverneurs de Castille, en l’absence de Charles-Quint, Léon X leur ait instamment recommandé d’empêcher l’introduction de livres luthériens en Espagne. Le grand Inquisiteur prit aussitôt ses mesures en conséquence. C'était alors Adrien Florent, évêque de Tortose ; il avait succédé à Ximénès en 1516, et devait, en iôaa, remplacer sur la chaire de saint Pierre Léon X, sous le nom d’Adrien VI. Prêtre pieux et zélé, humaniste chrétien, il connaissait les dangers que dans les pays du Rhin, d’où il était originaire, l’humanisme païen et le luthéranisme faisaient courir à la foi catholique ; mais d’autre part, curieux des choses intellectuelles et lettré, il n’avait nullement l’intention de proscrire les études et les lettres. Il essaya donc de concilier la défense de l’Eglise et les justes libertés -le l’esprit.

La défense de l’Eglise était aussi celle de l’Espagne et de sa jeune monarchie, car les difficultés au milieu desquelles l’empereur Charles-Quint se débattait en Allemagne, en face de l’opposition des seigneurs protestants et de L’anarchie sociale déchaînée par le luthéranisme qui allait éclater dans les révoltes socialistes des anabaptistes de Munster, montraient bien le désastre qu’eût été pour la nation espagnole, récemment unifiée, l’introduction en son sein d’une puissance de division

telle que le protestantisme. Le risque était même plus grand qu’en Allemagne, parce que les Juifs et les Mores, mal convertis et nullement assimilés, en auraient tiré parti pour se soulever ; et leur exemple aurait été suivi par lès seigneurs et les communes, désireux de reprendre les privilèges féodaux que leur avaient retirés les souverains catholiques et Ximénès.

Ce fut donc dans l’esprit qui avait fait établir, quarante ans auparavant, le Saint-Office qu’Adrien Florent, évêque de Tortose, et, après son élection comme souverain pontife, son successeur, le cardinal Manrique, archevêque de Séville, poursuivirent et firent détruire les livres luthériens. Mais le cas d’Erasme prouve qu’ils s’acquittèrent de cette tâche avec discernement et largeur d’esprit.

Humaniste facilement porté à mépriser le Moyenvge et la scolastique, esprit critique et même railleur — on l’a appelé le Voltaire de la Renaissance, — Erasme n’avait pas ménagé, dans ses livres, ses attaques contre les abus de l’Eglise et contre l’Eglise elle-même ; car son naturel sceptique l’amenait parfois à traiter avec quelque désinvolture certaines croyances oatholiques, si bien qu’il parut hésiter quelque temps entre l’Eglise catholique et Luther. Ses écrits furent très lus, en Espagne, non seulement parce que Rotterdam, son pays, faisait partie de la monarchie espagnole, mais surtout parce qu’une magnifique renaissance littéraire avait développé, en Espagne comme dans les PaysBas, cet humanisme et ces études de l’antiquité, dont Erasme était l’un des maîtres les plus renommés en Europe.

Ses préférences et ses hardiesses à l'égard de l’Eglise effrayèrent et scandalisèrent un certain nombre de prélats et de théologiens espagnols, qui dénoncèrent comme hérétiques la plupart de ses livres ; et une vive controverse s’engagea entre partisans et adversaires de l’humaniste deRotterdam. Or, parmi les défenseurs les plus décidés d’Erasme, figurait, à côté de l’archevêque de Tolède et de Maldonat, vicaire général de l’archevêché de Burgos, le grand Inquisiteur lui-même, le cardinal Manrique, archevêque de Séville.

Manrique fut obligé de recevoir la plainte de religieux qui accusaient Erasme, mais en attendant qu’elle fût examinée, il leur fit défense formelle de l’attaquer dans leurs sermons. Le 1" mars lôa^, il présida, à Valladolid, une réunion pour l’examen de la dénonciation, et il l’inaugura en blâmant le religieux qui, malgré sa défense, avait dénoncé publiquement Erasme comme hérétique. Ses amis et lui firent remarquer que, bien loin de le condamner, les papes Léon X et Adrien VI (l’ancien inquisiteur) lui avaient témoigné leur faveur etdonnédes privilèges pour l’impression de ses œuvres, même de la plus attaquée, VEnchiridion. Les religieux ayant persisté à demander justice, Manrique dut s’incliner ; il les engagea à formuler leurs griefs en articles précis. Mais après plusieurs péripéties, l’affaire fut arrêtée par une intervention de Charles-Quint, provoquée par l’archevêque de Tolède Fonseca et le grand Inquisiteur Manrique. C’est ce que reconnaissait Erasme lui-même, écrivant de Bàle à ce dernier, le 21 mars 1528 : « Ago gratiu.s Domino qui per tuam auctoritateni inconditos istorumtumultus mitigare dignalus est. »

Erasme triompha bruyamment : tandis que ses adversaires avaient gardé leurs attaques en manuscrit, sans doute à la demande de l’Inquisition, lui publia contre eux une violente Apologie, qu’il dédia au grand Inquisiteur lui-même. La discussion menaçait de recommencer par sa faute ; pour y couper