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SAINT-OFFICE

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eux-mêmes ne tardèrent pas à reconnaître que les Morisques étaient plus dangereux que les musulmans déclarés, parcequ’ilsétaient plus insaisissables dans leurs intrigues, comme les sociétés secrètes. Ils sentirent la nécessité de les surveiller et de distinguer par des enquêtes ou inquisitions ceux qui étaient vraiment chrétiens et ceux qui n'étaient que des musulmans dissimulés. Telle fut la seconde raison, analogue à la première, qui amena la création, au cours du xv° siècle, de cette inquisition particulière que l’on appelle l'/nçKJsitfon espagnole. Elle était dirigée non contre les Juifs, mais contre les Juifs pseudochrétiens ou marranes ; non contre les musulmans, mais contre les musulmans pseudo-chrétiens ou morisques ; et contre les uns et les autres elle était instituée, avant tout, pour assurer la sécurité de l’Etat et de la Patrie reconstituée.

Gomme la pureté du christianisme lui-même était en cause, puisque l’invasion des pseudo-chrétiens la compromettait directement, dans sa doctrine et sa pratique ; comme, par ailleurs, les retours à l’Islam de ces faux chrétiens multipliaient le scandale des apostasies, l’Eglise se prêta à ces inquisitions. Sa légitime défense concorda avec la légitime défense de l’Etat ; les intérêts politiques et les intérêts religieux se confondirent à l’origine de l’Inquisition espagnole, comme ils s'étaient confondus quand fut établie l’Inquisition du xme siècle.

De l’exposé de ces faits se dégage une autre conclusion, c’est que l’opinion publique devança toujours l’Eglise et les gouvernements dans la lépression des pseudo-chrétiens. Bien avant le fonctionnement du Saint-Office du xv' siècle, comme de celui du xiii°i le peuple avait manifesté par des injures, des vexations individuelles et collectives et même par de cruels massacres, l’aversion que lui inspiraient les faux convertis

§ 11. Institution et organisation de l’Inquisition espagnole. — Dans son Histoire de l Inquisition, Llorente cite cette inscription gravée en latin sur le château de Triana à Séville. « le SainlOflice de l’Inquisition, établi contre l’erreur hérétique dans les royaumes d’Espagne, a commencé à Séville, l’an lh8l, Sixte IV siégeant sur la chaire apostolique et l’accordant, et sous le règne de Ferdinand V et d’Isabelle qui en ont demandé la concession. Le premier inquisiteur général a été le Frère Thomas de Torquemada, prieur du couvent de Sainte-Croix de Ségovie, de l’ordre des FF. Prêcheurs. Dieu veuille, pour la propagation et le maintien de la foi, qu’il dure jusqu'à la fin des siècles.'… Levez-vous, Seigneur, soyez juge dans votre cause. Prenez pour nous les renards.' Capite nobis vulpes. » (t.I.p. 151).

Prise à la lettre, cette inscription est inexacte ; deux siècles et demi avant la date qu’elle donne, l’Inquisition avait été déjà établie en Espagne, et si elle était tombée en désuétude, elle n'était pas abolie - la preuve en est que des inquisiteurs étaient institués en Castille et en Aragon lorsque les « rois catholiques » en nommèrent de nouveaux, ce qui amena des conflits de juridiction entre les anciens et les nouveaux. Ce fut donc une remise en activité de l’Inquisition, plutôt qu’une création de toutes pièces, qui donna naissance au Saint-Office espagnol Mais il se présentait sous un aspect un peu nouveau : il était dirigé moins contre les hérétiques et les infidèles que contre les faux catholiques ; et il avait un caractère plus national et plus étaliste que l’Inquisition médiévale, d’essence plus catholique et plus romaine.

Ce fut le roi Ferdinand d’Aragon qui en prit l’initiative ; plus douce de caractère, sa femme Isabelle,

reine de Castille, hésita quelque temps à le suivre ; mais elle Unit par s’unir à ses démarches. Sollicité par l’un et l’autre, le pape Sixte IV leur envoya le bref du I er novembre 1.478, par lequel « il donnait pleins pouvoirs à Ferdinand et à Isabelle de nommer deux ou trois inquisiteurs, archevêques, évoques ou autres dignitaires ecclésiastiques, recommandables par leur prudence et leurs vertus, prêtres séculiers ou réguliers, âgés d’au moins quarante ans, et de mœurs irréprochables, maîtres ou bachelier^ en théologie, docteurs ou licenciés en droit canon, et ayant subi d’une manière satisfaisante une ;  : men spécial. Ces inquisiteurs étaient chargés de procéder contre les Juifs baptisés relaps et contre loua autres coupables d’apostasie. Le pape leur déléguait la juridiction nécessaire pour instruire les procès des inculpés, conformément au droit et à la coutume, et autorisait les souverains espagnols à le^ destituer et en nommer d’autres à leur place. » (Pa> tor, Histoire des Papes, t. II, p. 3 ; o ; Llorente, Histoire de l’Inquisition, t. IV, p. /jio).

Munis de cette arme, les souverains espagnols ne s’en servirent pas tout de suite. Pour éclairer les Juifs nouvellement convertis, Isabelle demanda au Cardinal Mendoza, archevêque de Séville, de faire rédiger un catéchisme à leur usage. Sa publication provoqua la rédaction d’un violent pamphlet contre le gouvernement d’Isabelle et la religion catholique ; il était écrit par un Juif ; d’autre part, les souverains catholiques firent voter, au commencement de 1^80, par les Cortès réunies à Tolède, une série de mesures destinées à contenir les Juifs en les distinguant soigneusement des chrétiens.

Ce fut seulement le 17 septembre suivant, près de deuxansaprès l’expédition du brefdeSixte iv, qu’ils nommèrent les premiers inquisiteurs prévus par ce bref, avec résidence à Séville. C'étaient deux Dominicains, le provincial Michel Morillo. et le vicaire de l’Ordre, Jean Saint-Martin, auxquels furentadjoints le chapelain d’Isabelle, Lopez del Barco, procureur (iscal, c’est-à-dire ministère public, et Jean Ruis de Médina, abbé séculier de la collégiale de Médina de Rio-Seco, conseiller de la reine. (Lxorente, t. I, p. 1 58.)

Le 20 janvier 1481, le nouveau tribunal publia son premier é.lit, ayant pour objet d’empêcher l'émigration des nouveaux chrétiens. Il faisait un devoir à tous les officiers royaux et nobles de Castille d’arrêter les fuyards, de les envoyer à Séville et de mettre sous séquestre leurs biens, frappant d’excommunication et de suspicion d’hérésie quiconque n’obéirait pas. De nombreux prisonniers affluèrent à Séville. Suivant la procédure des inquisiteurs du Moyen Age, telle qu’ils l’avaient rédigée dans leurs Directoires et leurs Manuels, les inquisiteurs de Séville publièrent ensuite un édit de grâce, ordonnant à tous les apostats de se dénoncer eux-mêmes et leur promettant l’absolution s’ils avaient un vrai repentir. Le terme accordé pour cette démarche une fois passé, un troisième édit ordonnait, sous peine de péché et d’excommunication, à tout chrétien, de dénoncer dans un délai de trois jours, tous ceux qui « avaient embrassé l’hérésie judaïque », c’est-à-dire les Juifs qui, s'étant convertis en apparence, étaient restés secrètement lidèles à leur foi ; les inquisiteurs énuméraient 'ôj signes auxquels on pouvait reconnaître ces pseudochrétiens (Llorbnte, t. I, p. 158).

Ils commencèrent aussitôt leurs procédures ; ils se montrèrent fort durs et prononcèrent de nombreuses condamnations. Llorente adonné les chiffres suivants qui ont été reproduits depuis, par la plupart des historiens de l’Inquisition et de l’Espn-