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SAINT-OFFICE

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rois et les Cortès d’Aragon opposèrent leur juridiction à celle de l’Inquisition pontiiicale qui, se trouvant ainsi paralysée, fonctionna d’une manière intermittente au xive et dans la première moitié du xv « siècle.

En Castille, l’action de l’Inquisition fut encore plus faible ; c’est ce que nous allirme un historien porté plutôt à accabler l’Eglise de fâcheuses responsabilités, Lba : a Le grand royaume de Castille et de Léon, écrit-il, comprenant la plus grande partie de la péninsule ibérique, ignora le lléau de l’Inquisition médiévale. Cette monarchie était plus indépendante de Rome que toute autre, à la même époque… Les diflicultés particulières que causait à la Castille la présence d’une nombreuse population de Juifs et de Maures vaincus, auraient été compliquées plutôt que résolues par les méthodes de l’Inquisition. (Histoire de V Inquisition, t. II, p. 216)

Cependant l’hérésie y fut parfois réprimée, mais par l’autorité civile. Contre elle, nous trouvons toute une procédure codiUée dans le Fuero Real (ia55) et les Siele Partidas (ia65) d’Alphonse X le Sage. Lba fait remarquer que cette législation est essentiellement civile ; elle ne tient aucun compte ni du droit ecclésiastique ni des bulles promulguées en faveur de l’Inquisition. « Si Alphonse et ses conseillers, écrit-il, considéraient comme un devoir pour l’Etat d’assurer la pureté de la foi, ils voyaient en cette obligation une a/faire purement civile, où l’Eglise n’intervenait que pour déterminer la culpabilité de l’accusé » (Ibid., p. 219), à la manière d’un expert, l’autorité civile se réservant l’initiative des poursuites, le droit de condamner et d’exécuter les sentences.

Il en fut de même en Portugal. En 121 1, le roi Alphonse II lit voter par les Cortès des lois sévères contre les hérétiques, mais il refusa de reconnaître les inquisiteurs que lui envoya, dans la suite, l’ordre dominicain. Ce fut seulement dans les dernières années du xive siècle que le Saint-Siège essaya d’organiser l’Inquisition pontificale dans ce royaume ; mais il n’y réussit pas. Les religieux qui voulurent, en son nom, poursuivre l’hérésie se heurtèrent, presque toujours, à l’opposition des évoques et du pouvoir civil.

II.

L’Inquisition kspagnole (xve -xixe siècles).

S I. Ses origines. — Comment se fait-il que, dans les temps modernes, l’Inquisition ait été particulièrement dure dans ces pays d’Espagne qui l’avaient si peu pratiquée au Moyen âge ? Pourquoi, lorsque les royaumes de la péninsule eurent réalisé leur unification, prit-elle chez eux cette puissance, cette activité, cette rigueur qui, dans l’imagination des peuples, ont fait de l’Espagne comme la patrie et le pays d’élection du Saint-Office ?

Jusqu’au xv* siècle, de tous les royaumes chrétiens, ceux de la péninsule ibérique avaient montré la plus grande tolérance pour les deux religions non chrétiennes, le judaïsme et l’islamisme.

Les Juifs y étaient fort nombreux. Tolède, la capitale de la Castille, en comptait plus de ia.000 et possédait plusieurs synagogues d’une magnificence incomparable. « Sous Alphonse V1I1 le Noble (1166121 4), dit un de leurs historiens, les Juifs occupèrent des fonctions publiques… Joseph ben Salomon ibn Schoschan, qui avait le titre de prince, homme riche, généreux, savant et pieux, était très considéré à la cour et auprès de la noblesse… Le roi, marie à une princesse anglaise, avait eu, pendant sept ans, une favoritejuive appelée Raliel que sa beauté avait fait surnommer Formata … Les Juifs de Tolède le secondèrent énergiquement danâ sa lutte contre les

Maures. » (Grabtz, Histoire des Juifs, trad. Moïse Bloch, t. IV, p. 118).

Il en était de même en Aragon et en Catalogne, où « les Juifs, dit le même historien, vivaient dans une complète sécurité et pouvaient s’adonner librement à tous les travaux intellectuels. »

Cette large tolérance dura tout le xme et tout le xiv* siècle, et si elle fut parfois troublée, ce fut moins par des explosions de fanatisme que par les luttes politiques des factions auxquelles les Juifs prirent part, si, à la fin du xiv c siècle et au xv », les Juifs furent les victimes de persécutions légales de la part des gouvernements, et de massacres de la part du peuple, leur historien et coreligionnaire Grætz reconnaît que parfois il faut en chercher la cause dans leur propre arrogance et leurs compétitions. Ils se dénonçaient les uns les autres aux pouvoirs publics et aux tribunaux chrétiens, et ils

; i lièrent jusqu’à faire condamnera mort par leurs

propres tribunaux l’un des ministres du roi Pierre de Castille, leur coreligionnaire Pichon : ce qui contribua, pour une grande part, à déchaîner la persécution qui détruisit leur influence (Grabtz, Ibid, , t. IV, pp. 300 et suiv.).

Les violences commencèrent par des massacres au cours d’émeutes populaires. Les gouvernements essayèrent de les réprimer en protégeant contre elles les Juifs, car les rois de Castille (Henri III, 130.<>i 406), de Navarre (Charles III le Noble, 1387-1425), et d’Aragon continuèrent, au xv<= siècie, de s’entourer de médecins et de conseillers juifs. Les papes mêmes vinrent à leur secours, et Boniface IX (138<ji 404)> renouvelant le geste de son prédécesseur d’Avignon, Clément VI, publia une bulle interdisant de baptiser de force les fidèles d’Israël et du Talmud.

Ce qui acheva de compromettre la situation des Juifs en Espagne, rendant inefficace la protection des souverains et du Saint-Siège, ce fut l’apparition, au cours du xv » siècle, d’une classe de Juifs « camouflés » en chrétiens, les Marranes.

Désireux d’échapper aux massacres et de conserver leurs hautes situations financières, économiques et politiques, de nombreux Juifs demandèrent le baptême tout en conservant au fond de leur cœur la foi juive et en pratiquant, dans le secret de leurs maisons, les observances talmudiques. Ce mouvement se dessina nettement après les carnages de 1391 et s’accentua, surtout en Castille, lorsque, cédant à la pression de l’opinion, le jeune roi Jean II déclara les Juifs incapables de remplir une fonction publique (1 468). C’est par milliers que se produisirent ces conversions apparentes. M. MaHibjol a montré, d’après les textes, l’hypocrisie de ces faux chrétiens :

« Obligés de participer aux sacrements, ils

s’efforçaient de se soustraire le plus souvent possible à ces odieuses comédies. Au tribunal delà pénitence, ils n’avouaient rien, ou des fautes légères ; ils faisaient baptiser leurs enfants, mais ils lavaient soigneusement, au sortir des cérémonies, les parties ointes du saint chrême. Des rabbins venaient en secret les instruire. Des schochet égorgeaient, suivant les rites, les animaux et les oiseaux qui leur servaient de nourriture. Ils se servaient d’huile pour accommoder les viandes et ne mangeaient du porc que dans un cas forcé. » {[.Espagne sous Ferdinand et Isabelle, p. 45)

Cette contrainte hypocrite qu’ils subissaient pour conserver leurs biens, leurs fonctions et parfois aussi leur vie, leur rendait odieux ce christianisme auquel ils feignaient de croire ; leur duplicité haineuse était dénoncée avec virulence par ceux de leurs anciens coreligionnaires qui, s’étant sincère-