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ROMAINS (RELIGION DES)

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les Romains, comme chez beaucoup d’autres peuples, on te servait parfois de formules magiques. Mais on récitait aussi, et même, à ce qu’il semble, beaucoup plus souvent, de véritables prières, c’est-à-dire des demandes à un dieu que l’on croyait puissant, donl on invoquait le secours. (V. W. Fowlbr, The religions expérience of the lioman people, pp. 185-190, 198).

On pourrait multiplier les exemples : même dans le De agn cultiira de Caton, bon répertoire de formules magiques, on trouve aussi de véritables prières, comme celle-ci : Mars pater. te precor quæsoque uti sies volens propitius mihi, domo, famUiueqae nottræ (cbap. i.' » i ; voir aussi les chapitres 13a, 134, 13g).

C’est aussi des mots precor quæsoqtte que se sert le général partant pour une expédition périlleuse. Seipion l’Africain, au moment de quitter la Sicile pour porter la guerre en Afrique, adresse aux dieux une solennelle prière que nous a conservée TiteLive ; il supplie les dieux de lui donner la victoire et aus-i de ramener ses soldats chargés de butin.

(TlTK- LlVK, Xl, XXVII, 2-'|).

Un peu plus tard, un autre Seipion, celui qu’on a surnommé le second Africain, venait de passer en revue le peuple, en qualité de censeur ; le greffier commence à lire devant lui la formule ordinaire de prières qu’il devait répéter suivant l’usage. On y priait les dieux d’augmenter encore la prospérité et la puissance du peuple romain. « Non, dit Seipion, elles sont assez grandes ; je demande que les dieux le* conservent toujours intactes ». Et, non content d’altérer ainsi l’invocation traditionnelle, il la fit modifier dans le registre public ; après lui, on continua de préférer cette prière plus modeste à celle qui avait prévalu jusque-là. (Valeur-Maxime, IV, 1. 10).

Ce n'étaient donc point là des formules magiques auxquelles on ne pût rien changer sans leur faire perdre leur etllcacité ; c'étaient des demandes adressées aux dieux, des prières.

Comme on le roit par l’exemple précédent, les prières n'étaient pas seulement l’affaire des particulier- ;  ; elles étaient faites aussi au nom de l’Etat. Il y avait des prières publiques.

Ces dernières étaient ce que l’on appelait spécialement du nom de supplicationes. Pour détourner un malheur imminent, obtenir la cessation d’une guerre ou d’une épidémie, le sénat ordonnait des supplications solennelles. Le peuple se présentait alors devant les temples avec des couronnes de laurier ; on offrait aux dieux de l’encens et du vin ; les statues des dieux étaient alors d’ordinaire couchées sur des coussins, et on leur offrait un repas sacré ; c'était le lectisterne ».

Peu à peu les supplicationes devinrent plus longues et plus fréquentes. Après les avoir décidées seulement en cas de calamité publique, on les vota aussi en actions de grâces pour les victoires.

Après avoir été de deux, trois, quatre jours, elles en durèrent dix quand Pompée eut définitivement vaincu Mithridate ; quinze, puis vingt après les succès de César en Gaule. Pour Auguste il fallut faire davantage ; quoique le talent militaire ne fût pas, chez lui. ce qui brillait le plus, on trouva moyen de voter cinquante-cinq fois des supplications pour remercier les dieux de ses hauts faits, et le total des jours consacrés à ces fêtes fut de huit cent quatrevin^t-dix.

VIII. Les sacrifices. — Virgile a décrit avec quelque détail le rituel du sacrifice ; il suppose qu’Enée, avant de descendre dans le » enfers pour y

revoir son père Anchise, a consulté la sibylle de dîmes ; celle-ci lui a ordonné d’immoler des victimes noires pour gagner la faveur des dieux infernaux (Duc nigras pecudes, Enéide, VI, 153). L’ordre est exécuté. « La prêtresse amène d’abord quatre taureaux au dos noir ; elle verse du vin sur leur front ; puis, coupant l’extrémité des poils placés entre leurs cornes, elle les jette sur le feu sacré ; ce sont les premières offrandes ; en même temps, elle invoque à haute voix Hécate, puissante au ciel et dans les enfers. D’autres enfoncent des couteaux dans la gorge des taureaux ; ils reçoivent dans des coupes le sang tiède qui coule. Enée frappe lui-même de son épée une agnelle à la noire toison et une vache stérile, en votre honneur, ô Proserpine. Il commence ensuite à offrir un sacrifice nocturne au roi du Styx : il place sur les flammes les chairs entières des taureaux en versant une huile onctueuse sur les entrailles qui brûlent. » (Enéide, VI, 243-254)

La description est, suivant l’habitude du poète, composée avec un soin extrême, certaines nuances d’expression ne peuvent même pas être rendues en français. Ainsi, pour dire que la prêtresse verse du vin sur le front des victimes, Virgile n’emploie ni le mot (undit, ni infundit, mais invergit, terme extrêmement peu usité ; nous en savons par Servius le sens et l’emploi précis : « Vcrgere est, conversa in sinistram paitem manu, ita fundere ut patera convertatur, qw>d in inférais sacris fit. » II, p. 43, 1. 2829, édition Thilo-Hagen).

Aux sacrifices d’animaux les Romainsajoutaientils des sacrifices humains ? On se l’est demandé. Les exemples les plus clairs ne sont que des exécutions de criminels. César aurait pu faire mettre à mort sans phrase les soldats révoltés en 46 ; mais pour frapper davantage les esprits, il les fit immoler solennellement par les pontifes au Champ de Mars. (Dion Cassius, Histoire romaine, XLII1, xxiv). C'était un sacrifice, mais c'était surtout un châtiment et un exemple.

Les victimes humaines, quand il y en avait, étaient des vicimes volontaires. Un exemple, dont l’intérêt pour l’histoire de la religion romaine est considérable, a été raconté par Tite-Live. Dans la guerre contre les Latins (340 av. J.-C), le consul Décius voit ses troupes plier. Il appelle à haute voix M. Valérius, le grand pontife, et lui demande comment faire pour se dévouer en faveur des légions. Le pontife lui ordonne de prendre la toge prétexte, de s’en voiler la tête et, debout, les pieds sur un javelot, la main près du menton mais sous sa toge, de prononcer ces paroles : « Janus, Jupiter, Mars… je dévoue

« avec moi aux dieux Mânes et à la Terre les légions
« et les auxiliaires des ennemis ». Après avoir

ainsi parlé, il fait avertir son collègue de ce qu’il vient d’accomplir et il s'élance au milieu des ennemis, où il tomlie, percé de traits (Tite-Live, llistoire romaine, VIII, ix. Sur toute cette cette scène, voir : L. Hruzkv, Histoire du costume antique. Paris, Champion, 1922, pp. 263-264 et planche vu).

IX. Les jeux. — Prières et sacrifices ne suffisaient pas. Les Romains avaient trouvé une autre manière d’honorer leurs di ux : c'était de s’amuser. Les jeux constituaient pour eux une partie du culte. Quelque immorale que fût une comédie, quelque barbare que fût le spectacle de gladiateurs égorgés ou de malheureux dévorés par des bêtes féroces, ces divertissements grossiers ou cruels n’en étaient pas moins des actes religieux. On se croyait obligé à les accomplir suivant toutes les règles ; et si parfois une formalité avait manqué, si un accident de mauvais augure s'était produit, on recommençait. Le peuple