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RESTRICTION M ENTÀLE ET MENSONGE

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Fundameni., n.)804 : « Admettre desrestrictions mentales à condition qu’il y ait des éléments extérieurs

« cosignifiants », c’est retenir seulement le nom de

restrictions mentales ».

Par conséquent, nous l’avons déjà insinué, du jour où l’on renonçait aux restrictions purement mentales, on abolissait les restrictions. Nous regrettons que l’on n’ait pas supprimé en même temps un nom impropre, impopulaire et suranné.

Faut-il nous attarder aux raisons que. l’on faisait valoir pour les restrictions mentales ? De nos jours, elles risquent dépasser pour de vaines subtilités.

« L’on use à son gré des paroles, dit Capheolus, 

/. c. Celui qui les prononce peut se dire à lui-même quelque chose qu’il ne signifie pas et n’entend pas signilier à autrui : il aura dit alors des choses contradictoires au regard de l’auditeur, mais non à son point de vue. »

Assurément, l’on use à son gré des paroles ; et l’on peut vouloir se parler à soi-même ; mais à condition de nepas donner le change sur cette intention. Et c’est vis-à-vis de l’auditeur que 1 interdiction du mensonge nous oblige à éviter de prononcer des paroles contraires à notre pensée.

« Vous reconnaissez, objecte le Navahrais (in c.

Humanæ aures), un langage purement oral, un langage purement écrit et un langage purement mental. Pourquoi ne pas admettre un langage mixte, en partie verbal et en partie mental, qui sera vrai, si le sens obtenu en mettant bout à bout les deux parties se trouve être vrai ? »

Suarrz a déjà répondu plus haut, que des termes hétérogènes ne peuvent composer un seul et même langage. S’il s’agissait d’un soliloque, je pourrais compléter mentalement ce que j’ai dit oralement, parce que j’ai conscience de mes paroles intérieures comme des extérieures : mais le langage tenu à autrui doit être tout entier perceptible ; il ne l’est pas si tous les termes ne sont pas exprimés extérieurement, soit de vive voix, soit par écrit.

Des mots prononcés à voix basse, mais non intelligibles pour l’interlocuteur, ne font pas davantage partie de la conversation. Aussi S. Alphonse, 1. 111, n. 168, exige à tout le moins que l’auditeur puisse remarquer un chuchotement : cela suffit, en effet, pour éveiller la défiance et créer une équivoque.

On insiste. L’homme est libre d’exprimer sa pensée ou de la taire. Pourquoi ne pourrait-il pas l’exprimer à moitié, commencer, sans achever ? Interrogé sur uneaction passée, on pourra répondre sans mentir : « Je ne l’ai pas fait », bien qu’on n’ajoute pas le motcomplémentaire : « aujourd’hui ». — Assurément, à celui qui peut se taire, il n’est pas moins loisible île commencer, sans l’achever, l’expression de sa pensée ; mais à condition d’extérioriser suffisamment cette volonté même. Car celui qui parle est censé, sauf indice contraire, vouloir achever l’expression de sa pensée. (Voy. Lhhmkuhl, I,

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D’autres subtilités, qui eurent leur moment de vogue, se méprenaient sur le sens de la définition classique du mensonge : la parole contraire à la pensée. Oubliant qu’il n’agissait là d’une traduction de sa pensée pour autrui, on en faisait une simple articulation de mots en présence de l’interlocuteur, témoin de cette articulation, comme il léserait d’un soliloque. « Mentir, dit Sanc.hk/ (Dec.. I. 111, c. iv, n. 15), c’est aller contre sa pensée. Les paroles extérieures ne sont, dans le concept du mensonge, qu’un élément matériel. Leur vérité ou fausseté objective importe peu : la pensée de celui qui les prononce fait tout. Dans le désaccord des paroles avec la pensée, consiste l’élément formel du mensonge.. Ni

l’erreur imprimée dans l’esprit d autrui, … ni l’emploi de paroles dans un sens inusité ne font le mensonge ». « Celui-ci consiste, dit Valbntia, in II. II, d. v, q. 13, De reo, punct. a, à vouloir nier en paroles cette même vérité que l’on conçoit dans l’esprit, tandis qu’on converse avec autrui. Sans doute, ajoute-t-il, on devra d’ordinaire répondre suivant le sens déterminé par les circonstances ; mais ce devoir n’est pas imposé par l’interdiction du mensonge ; il est créé par l’obligation positive de dire la vérité 4 ». Sous l’empire de cette même erreur, on en vint à discuter si l’on pouvait mentir en se parlant à soimême. Plusieurs tinrent pour l’affirmative.

La méprise nous paraît évidente, ha parole, dans la définition du mensonge, n’est pas la parole en tant qu’elle est prononcée, mais en tant qu’elle est ou peut être entendue. Mentir, c’est à la fois parler à autrui et lui communiquer autre chose que sa pensée.

Pouvons-nous donner raison à Lugo quand il ne voit pas de mensonge formel dans la restriction purement mentale (que d’ailleurs il condamne), parce que, pour parler, il faut vouloir signifier sa pensée, et que, dans l’usage de la restriction mentale, on ne veut pas signifier à autrui la fausseté rendue par les mots prononcés extérieurement ? Nous dirons, à tout le moins, qu’au point de vue moral, on parle quand on feint de parler et que rien n’oblige à rompre le silence. Du reste, nous l’avons déjà observé, Lugo reconnaît que la permission des restrictions mentales aurait tous les inconvénients de la permission du mensonge. Voilà qui prouve, à nos yeux, qu’elles sont atteintes par l’interdiction même de mentir.

Des réflexions de ce genre paraîtront au lecteur si élémentaires qu’il se demandera comment des auteurs du mérite de Capreolus, de Tolet, etc., ont pu ne pas s’apercevoir de la confusion qu’ils faisaient entre la prononciation des mots et la parole formelle.

Un double et très honnête souci explique, croyons-nous, leur erreur. De ce point de vue, l’histoire des restrictions mentales est fort intéressante et suggestive. Au noble dessein de maintenir haut et ferme l’absolue prohibition du mensonge, les théologiens joignaient la préoccupation charitable et miséricordieuse de libérer leurs contemporains de la servitude des serments plus ou moins forcés. On exigeait et on concédait à tout instant la confirmation jurée des assertions et des promesses. Aussi n’est-ce pas au chapitre du mensonge, mais à celui du serment que les scolasliques abordaient la question de la restriction mentale. Leur raisonnement devenait alors, dans une certaine mesure, plus plausible. En effet, dans le serment, on invoquait Dieu, qui pénètre la pensée des hommes. « Des oreilles humaines, est-il dit au fameux ch. II, c. xxii, q. 5, du décret de Cratien. apprécient nos paroles comme elles résonnent au dehors. Mais les jugements divins les entendent comme elles jaillissent à l’intérieur ». Làdessus, Gratien fait cette réflexion : « Si les paroles doivent servir l’intention et non pas l’intention les paroles, il est manifeste que Dieu ne reçoit pas le serment comme l’homme entre les mains de qui on le prête, mais plutôt comme l’entend celui qui jure ; parce que l’homme devant qui on prête serment ne connaît nos paroles que de la manière dont elles résonnent au dehors ». Les auteurs purent de la sorte être amenés à admettre un serment mi-partie oral, mi-partie mental. Ils croyaient s’autoriser

1. On voil poindre ici 1 idée de mettre l’essence du mensonge dans le i (fus d’une vérité due ù autrui.