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RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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n’importe quelle autre raison, jure <le n’avoir point fuit ce qu’il a fait réellement, mais en ente mlant intérieurement une autre chose qu’il n’a pas faite, ou un autre chemin que celui où le fait s’est passé, ou quoique autre complément vrni, en réalité il ne ment pas et il n’est point parjure. »

« Il y a juste motif de recourir à ces amphibologie », 

chaque fois que c’est nécessaire ou uliln pour lu sauvegarde du corps, île l’honneur ou du patrimoine, ou pour un autre acte do vertu quelconque, de sorte que la dissimulation de la vérité soit jugéeexpédienle etopportune 1. »

Sans doute, la généralité avec laquelle ces propositions autorisaient les restrictions suffisait à elle seule pour les faire condamner. (Voy. Lbhmkuhi., Theol, mor., 1, 919.) Cependant, à traiter ce texte sans subtilité, n’est-il pas plus naturel de chercher le motif de l’arrêt dans l’incise principale, qui justiliait le sous-entendu mental ?

C’est ce qu’on semble avoir saisi d’emblée. Aussi, depuis lors, l’usage a prévalu de distinguer les restrictions purement mentales, désormais traitées de mensonges, et les restrictions non purement mentales, d’où le mensonge est absent" 2.

Mais puisque ces dernières restrictions n’échappent au reproche de mensonge que parce que les circonstances extérieures les rendent connaissables ; c’est-à-dire parce qu’elles ne sont pas mentales, les décrets d’iNNocBNi XI marquent la fin des restrictions mentales dans la science catholique. L’habitude pourtant a fait conserver le nom, désormais impropre. Génicot-Salsmans, I, 4 iG, nota, souhaitent à bon droit une terminologie correspondant mieux à la réalité. L’expression est d’ailleurs critiquée par plus d’un théologien moderne, par exemple Koch, Lehrbuch der Moral. Théologie, éd. 3, 1910, §129 ; Phummkr, O.P..Va nuale Theologiæ moralis, 11, n. 171.

§ 2. Critique des restrictions mentales

Notre critique sera franche, comme nous le permettent les grands auteurs à l’avis desquels nous nous rangeons.

Posons-nous simplement trois questions.

I. — Le mensonge disparaitra-t-il d’une expression, parce que je la complète mentalement par des mots qui en corrigent la fausseté ? Par exemple (cf. Lugo, De Fide, d. iv, n. Gi), un gourmet, au sortir d’un excellent dîner maigre, pourra-t-il, sans mentir, déclarer : « Aujourd’hui je n’ai rien mangé du tout » ; en ajoutant mentalement, « qui fût gras » ? N’est-il pas manifeste qu’un complément aussi étranger au discours demeure sans influence sur sa véracité ? Suarez [Bel.. Tr. III, 1. m., c. 10, 11. 6) ne la remarque-t-il pas justement : le discours est un sij ; iie ; pour avoir un discours, un sens, il faut des termes de même ordre, contribuant, pour leur part, à la signification. Des termes ex primés et des termes simplement pensés ne sauraient donc composer un seul discours. Ainsi que le dit Laymann (l. IV, tr.

1. Cesdernières expressions se trouvent dans Sahchbz, u ch. vi, du 1. III, n. 19. Un aurait tort cependant d’inféier de là, que ce grand moraliste fut atteint par cette proscription. Ses conclusions ne diffèrent guère de celles de S. Alphonse. — Dans ce passage, nous avons traduit le mot latin studiosa par opportune. Il u ce sens dans la langue juridique. Cf. Digette, Præfnlio, 1, § I ; Code, I, 17, l. 1, § 1 ; III, tit. 33, L, 15 ; Novelle vi, Præfatin.

2. Se dites pascependant avec Concina que la distinction est née après ces décrets. Elle était auparavant connue de Lugo [De Fide, d. IV, n. 165) ; de Poncïus, In Scot., III, D. 38, q. un. n. 117 et 125 ; de CaramuIL. n. 180-1, dont l’ouvrage est antérieur au décret d’Innocent XI. Ne peut-on p : <s dire qu’elle était virtuellement connue de tous les adversaires des restrictions appelées depuis strictement mentales ?

m, c. 13, n. 6) : ce qui n’est que dans l’esprit, ne peut entrer comme partie dans un discours extérieur.

« Il nous faut, dit Lugo, De Fide, d. iv, n. 6a, 

rapprocher les paroles de la pensée ; prendre, d’une part, les paroles extérieures avec leur signilication, et, d’autre part, la pensée de celui qui parle ; et voir ensuite si les paroles traduisent la pensée ou signifient l’opposé de celle-ci. Si elles signifient l’opposé, on manque à la véracité ; par contre, la véracité est pleinement satisfaite, si la pensée est rendue, »

Observez, s’il en étuit autrement, l’étrange vertu qu’aurait la restriction mentale. Le Platonicien Euthydème affirmerait avec raison que nul ne ment, qu’il n’y a pas de mensonge possible (cité par Raynai : d, De Verilale, c. II, inilio). Qui ne corrigerait intérieurement la fausseté des paroles prononcées ? Il s’ensuivrait encore que, dans les mêmes circonstances, les mêmes mots peuvent signifier deux choses contradictoires. C’est le Sic et Non d Abélard, transporté du domaine du bien dans celui du vrai. Voy. notre Thcologia moralis, I, n. ! 7, p. 28. Voy. aussi comment Capkeolus démontre (in IV n. 21, q. 2) que les deux propositions : Je sais ceci, et je ne sais pas ceci, peuvent être vraies en même temps. L’interdiction du mensonge observe encore Lugo, 1. c, n. 62, deviendrait inulile. Pour se convertir, les menteurs ne devraient pas changer de langage ; une restriction mentale ferait leur affaire. Et il ne suffit pas d’objecter que des raisons sont requises pour autoriser les restrictions mentales : d’autres diraient aussi bien, qu’il faut des raisons pour mentir : pratiquement, il n’est pas de différence.

2. — Quand l’ainbiguité résulte ou des termes eux-mêmes ou des circonstances, sommes-nous tenus, sous peine de mentir, d’ajouter mentalement les mots qui précisent le sens vrai de nos paroles ? Ni Sanchbz, Dec, 1. III. c. vi, n. 10 et 15 ; ni Soarbz, Rel. Tr. V, ex, ni, plus près de nous, Génicot-Salsmans, I, (16, n’exigent pareille condition : il suffit de savoir qu’un sens vrai est attaché à ce qu’on dit, même si l’on ignore lequel.

Ou plutôt, donnons uneréponseplus exacte et plus approfondie. Quand une expression ou une phrase a deux sens, c’est assez pour ne pas mentir, de n’avoir pas l’intention de signifier le sens erroné ; il n’est nullement nécessaire de vouloir signifier le sens vrai. L’on peut prononcer cette phrase sans vouloir signifier quoi que ce soit. CI’.Sanchbz, à l’endroit cité ; Lugo, De Fide, c. iv, n. 65. Or, d’ordinaire, que veut-on, en s’exprimant d’une façon ambiguë ? On veut parler, non pas pour faire entendre quelque chose, mais pour n’être pas compris. En d’autres termes, d’une manière détournée, on refuse de répondre. Ce refus est, comme tel, en correspondance avec la pensée et l’intention. Que faut- il de plus ? qu’est-il besoin de s’évertuer à chercher un autre sens vrai à l’équivoque ?

3. — La restriction dite late mentalis, mentale au sens large, doit-elle, en tout ou en partie, sa valeur à la formule retenue dans l’esprit ? Elle ne lui doit absolument rien. Est seul opérant et décisif, le sens qui est fourni par les circonstances. Ce n’est pas en tant que mentale, mais en tant que non mentale, qu’elle fait échapper au mensonge.

Observez encore ce qui suit. Nous pensons ce que nous exprimons, aussi bien que ce que nous tenons caché. Dès lors, dans l’expression restriction mentale, le mot mentale ne signifie rien, s’il ne signifie non exprimée. Qu’est-ce donc qu’une restriction mentale largement entendue ? Y a-t-il un milieu entre une pensée exprimée et une pensée non exprimée ? Si vous exprimez à moitié la restriction que vous concevez, vous en arrivez à deux restrictions : l’une mentale, l’autre non mentale. Vous n’obtiendrez jamais une restriction vraiment mentale au sens large Caramuel le dit fort bien, Theol.