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POUVOIR POLITIQUE (ORIGINE DU)

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sonne et sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout » (Livre I’, chapitre vi). « Alindonc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui, seul, peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signilie autre chose sinon qu’on le forcera d’être libre. Car telle est la condition qui, donnant chaque citoyen à la patrie, le garantit de toute dépendance personnelle ; condition qui fait l’artifice et le jeu de la machine politique et qui, seule, rend légitimes les engagements civils, lesquels, sans cela, seraient absurdes, tyranniques, et sujets aux plus absurdes abus. » (Livre 1, chapitre vu).

Comme l’a noté Mgr d’HuLST, dans la première Conférence de son Carême de 1895, sur la Morale du Citoyen, les théories contemporaines sur l’origine du pouvoir participent toujours de Rousseau quant aux conceptions fondamentales. C’est toujours dans l’homme seul que l’on cherche la raison adéquate de l’autorité sociale. C’est toujours dans la volonté de la multitude que l’on place le droit de faire la loi tout entière et de déléguer ou de révoquer constamment les titulaires du pouvoir. Mais on rejette comme trop rudimentaire et trop naïve l’hypothèse, toute gratuite, de ce contrat libre, opéré volontairement par des hommes qui jusqu’alors ne vivaient pas en communauté sociale, et, pour l’avenir, se lièrent d’un engagement réciproque et perpétuel (Voir Ilègles de la Méthode sociologique par Emile DrRKiiii.M, Paris, Alcan, 1895, in-13).

Lorsque l’on veut proposer uneexplicalion d’allure plus scientifique, on adopte, par exemple, la théorie de î’évolutioniiisme sociologique, qui est d’une espèce beaucoup plus prosaïque. L’origine des sociétés politiques et du pouvoir qui les gouverne est, purement et simplement, dans la force brutale, au milieu du chaos bestial de la sauvagerie primitive du genre humain. A mesure que se poursuit l’évolution des peuples, la force régnante s’attribue peu à peu un caractère moral et se fait reconnaître comme un droit. Elle présente alors sa propre justification par les idées couramment admises, parmi les hommes, sur les sources de la morale et du droit. Un droit divin est ainsi reconnu au pouvoir des chefs de peuples. Mais l’évolution se poursuit. La multitude prend lentement conscience de la force prépondérante qui est en elle, secoue toutes les dominations artificielles et toutes les croyances superstitieuses sur l’origine de ces dominations. Alors, est proclamée la pleine et entière souveraineté de la multitude, trouvant en elle-même sa justification adéquate, écartant la notion de tout chef temporel dont le titre ne soit pas la délégation populaire, écartant plus encore la notion d’un Législateur divin qui dominerait et réglerait le pouvoir de la multitude souveraine. — Théorie exposée, par exemple, avec un incroyable cynisme, par Max Nordau, le Sens de l’Histoire (traduction Jankelevitch), Paris, 1910, in8°. Voir surtout le chapitre v : Individu et Société, p. 165 à 212. — (Du point de vue de l’histoire des régimes politiques, en harmonie avec la conception de l’évolu tionnisme sociologique, on trouvera une riche moisson de remarques curieuses dans l’enseignement donné en Sorbonne par M. Charles Sbignobos, sur les l’hénomènes généraux en histoire, les conditions universelles communes à toutes les sociétés. Voir la Bévue des fours et Conférences, mois de février et de mars 1904.)

C’est contre une aussi monstrueuse défiguration des principes élémentaires du droit naturel que sont

dirigées les condamnations pontificales dont nous avons donné l’énumération (actes de PibIX.I. : on XIII, l’iu X). La plus ellicace réfutation dételles erreurs est l’exposé lui-même des vérités de sens commun, inscrites dans la nature de l’homme et la nature des choses, et qui constituent la doctrine rationnelle, traditionnelle et chrétienne de l’origine du pouvoir politique : doctrine dont nous avons, au premier paragraphe de cet article, mis en relief la justesse et la solidité.

Outre la théorie révolutionnaire et antichrétienne de la souveraineté populaire, Pie X a condamné, en 1910, dans l’encyclique Notre charge apostolique, une conception de l’origine du pouvoir politique, qui, tout en s’inspirant de principes chrétiens, demeurait trop voisine, à certains égards, de la théorie révolutionnaire. Même en reconnaissant que l’autorité vient de Dieu, comme auteur de la société humaine, comme principe de tout droit et de tout devoir moral, on commet une erreur si l’on place primordialement l’autorité dans le peuple, de qui elle dérive ensuite aux gouvernants, de telle façon, cependant, qu’elle continue à résider en lui, et ne devienne pas distincte et indépendante de lui. D’après l’enseignement pontifical, le peuple ne doit pas considérer les gouvernants de l’Etat comme ne pouvant être que desimpies commis, de simples délégués de la multitude, toujours révocablespar elle, mais comme des représentants authentiques de Dieu, comme, des supérieurs, auxquels le peuple doit obéissance, dans la limite de leurs légitimes attributions. La même conception ultra-démocratique, réprouvée par Pib X, aurait facilement pour application pratique de n’admettre que l’exercice de l’autorité consentie et de regarder comme une survivance abusive de temps révolus le régime de la coercition pénale : les passions déréglées delà nature humaine, les conséquences du péché originel exigent cependant que, pour la sauvegarde efficace du bien commun temporel, le pouvoir politique soit armé de moyens de contrainte, afin de réduire par la force les rebelles et les malfaiteurs. C’est là un des attributs essentiels du gouvernement civil, en vertu de la conception chrétienne du pouvoir. Ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant ministre de Dieu pour infliger un châtiment à celui qui fait le mal.

a° Zone des opinions controversées. — Le pouvoir politique est voulu de Dieu, et c’est de son origine divine qu’il tire le droit d’imposer, dans le légitime domaine du bien commun temporel, des préceptes obligatoire s pour les consciences. La détermination concrète du pouvoir politique, investi de cette autorité divine, dépend des circonstances humaines et historiques qui organisent, en chaque nation, la société politique. Voilà qui est certain, en vertu des meilleurs arguments rationnels et en vertu de l’autorité de l’enseignement catholique. Mais comment Dieu communique-t-il aux gouvernants de la cité terrestre le droit de commander en son nom et de représenter son autorité parmi les hommes ? Dans toute société politique, il y a le corps social et il y a les titulaires du pouvoir, diversement désignés, selon les lieux et les temps. Quel est le sujet immédiat de l’autorité remise par le Seigneur lui-même à la société politique, pour que le corps social soit gouverné selon les exigences du bien commun temporel ? Doit-on concevoir l’autorité divine comme conférée immédiatement de Dieu aux gouvernants de l’Etat, ceux-ci étant, d’ailleurs, désignés par les différents modes concevables et raisonnables d’institution humaine ? Doit-on la concevoir comme conférée immédiatement de Dieu au corps social tout entier, celui-ci devant ensuite le