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RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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ils menacent le menteur de la haine et de la colère de Dieu. Voy. Ps., v, 7 ; Pror., vi, 1 6 - kj ; viii, 13 ; xii, 12 ; Eccli., 11, 14. Mais le contexte même et l’énormitéde la sanction prouvent qu’il s agit là du mensonge pernicieux’, ou du faux témoignage, ou de l’hypocrisie au service de Dieu.

Dans le Nouveau Testament, Xotre-Seigneur nous recommande une simple véracité (Ev. S. Matthieu, v, 37 et x, 16) ; S. Jean qualifie le démon de menteur et père du mensonge (Ev. S. Jean, viii, 44) ; l’Apôtre range le mensonge parmi les actes du vieil homme, qu’il faut exclure (Eph., iv, 25 ; Col., iii, 9). C’est dire assez clairement que le mensonge n’est pas de soi chose indifférente, mais chose mauvaise. Or, « ee qui est mal en soi, ne peut jamais être rendu bon, en quelques circonstances qu’on le suppose » (Sertillangbs, La Philosophie morale Je S. Thomas, c. ix, n. vi, B.)

§ 3. Réponse de la raison

I. Le mensonge est intrinsèquement illicite

D’accord pour condamner tout mensonge, les théologiens classiques le sont moins sur la démonstration de cette vérité de sens commun. Ils recourent à divers moyens de preuve. S. Augustn (Enchiriâion, e. xxii, P. /..XL, 243) ; S.TuomasII, ll, q. 110, art 3) ; Suarez (De Fide, d. 111. sect. 5, n. 8) dénoncent l’emploi abusif de la parole contre la (in du langage ; Scot (in III d. 38, q. unica n. 2) relève la contradiction où tombe le menteur : il parle pour exprimer sa pensée ; et, loin de l’exprimer, il fait le contraire. — Pour d’autres, par exemple pour S. Bonavbnture (in III. d. 38, q. unica, art. un.), une mauvaise intention gâte nécessairement tout mensonge : l’intention de tromper, impliquée dans tout énoncé conscient d’une fausseté. Scot admet aussi cette raison.

D’autres déduisent la malice du mensonge de sa mauvaise causalité : celle-ci produit le mal qu’est l’erreur. Lbssius (De iastitia et iare, 1. II, c. xlvii, n. 36) réunit les raisons de S. Augustin, de S. Thomas, de Scot et de S. Bonaventure, en prenant comme point de départ l’emploi abusif des signes contre leur institution et leur fin naturelle. — D’autres encore allèguent les dommages sociaux du mensonge.

« Le mensonge est illicite, déclare Lugo (De

Fuie, d. iv, s. i, n. y), parce que, s’il était permis, le commerce et la société humaine seraient fort empêchés et l’homme deviendrait indigne de confiance ». Ecoutez là-dessus Poncius (1660), le commentateur de Scot : « La société, la conversation humaine seraient totalement détruites, si mentir n’était mauvais et peccamineux, nous aurions raison de n’ajouter foi à personne : car il est insensé de croire à celui à qui il est permis de mentir ; et de la sorte, nous devrions nous refuser à toute conversation » (In III, d. 38, q. unica, n. 8).

Ces raisons contiennent toutes au moins une part de vérité. Les deux premières priment les autres, tant par les docteurs qui les présentent que par leur valeur intrinsèque. La raison spéciale de S. l’.onaventure ne vaudra pleinement qu’à la condition de prouver que l’intention de tromper est toujours mauvaise. Or, cette intention se justifie dans tous les Stratagèmes d’une guerre juste. I, ’erreur peut de même produire un bien relatif. Causer l’erreur,

1. Voy. S. Thomas II, II, q. 110 art. 4 ad I. C’est peut-être sou* l’influence de ces textes que, pour le 13. Ai ci i, r I.K GRAND, il n’y a de mensonge piirfiiit que le mensonge pernicieux, par lequel on veut à In fois tromper le prochain gur sapenséeet sur la réalité. Les mensonges joyeux etofïicieux [libidinoiu ») ne seraient, qu’analogiquement lis mensonges. V. in III d. 38 urt. 8. Solutio

sera-ce toujours défendu ? L’argument de Lugo et de Poncius est pris du dehors. Il vaut, tant que, à l’instar de ces auteurs, on l’applique à la licéité du mensonge ; mais il ne prouve pas que le mensonge soit défendu dans tous les cas. Appliqué au mensonge, comme tel, il prouverait trop : mentir serait toujours alors un gros péché mortel. Déjà S. Thomas faisait finement cette distinction : Considérer le mensonge comme permis, voilà qui tendrait à détruire la confiance ; mais tout mensonge ne tend pas à ruiner celle-ci, surtout quand il ne touche pas aux matières de la Foi (In III, d. 38, q. un. art. 4 ad 2) 1.

Voici comment nous croyons devoir raisonner avec S. Augustin, S. Thomas, Suarez, Lessius, etc.

Mentir, c’est toujours aller contre l’ordre naturel de la parole.

Or, cet ordre est inviolable pour l’homme.

Mentir est donc toujours péché.

Reprenons ces diverses assertions.

En effet, la parole est le signe naturel de la pensée ; et mentir, nous l’avons vu plus haut, c’est signifier le contraire de sa pensée. Tout mensonge viole donc toujours l’ordre naturel de la parole.

Nous ajoutons que cet ordre est inviolable pour 1 homme. Rappelons qu’un ordre peut être subordonné à l’homme ou le dominer. L’homme est autorisé à rompre, pour une fin plus haute, l’ordre qui lui est subordonné, par exemple, l’ordre de l’œuf au poussin qui en peut naître : l’homme le brise fréquemment pour le rapporter plus directement à lui-même en le consommant.

Mais à l’ordre qui le domine, il ne peut faire exception. Or, l’ordre naturel de la parole est imposé à l’homme comme nécessaire. Car les rapports mutuels, indispensables aux hommes dans leur vie privée et sociale (par lesquels s’opère leur compénétration), et par conséquent la réduction du genre humain à l’unité, requièrent un moyen de communication. Il n’en est pas d’autre que la parole, en comprenant sous ce nom tout geste significatif.

Dès lors, l’ordre qui régit ces communications domine l’homme : celui-ci ne peut s’y dérober, s’en affranchir. Cet ordre veut que, toutes les fois qu’elle est donnée comme significative, la parole ne signifie pas l’opposé de ce qu’elle est destinée à signifier.

Assurément l’obligation positive de communiquer sa pensée est loin d’exister toujours : un strict devoir peut même m’enjoindre de refuser cette communication. Mais on ne peut à la fois l’accorder et la refuser par le même acte ; moins encore l’accorder et donner l’opposé.

Cette contradiction même, comme l’observent justement Scot et Lessius, 1. c, troublant l’unité de l’homme en lui-même, lui méritant le reproche de duplicité, est encore à ce titre un désordre moral.

« Les mots, dit S. Thomas, II, II, q. 1 ioart 3, étant

naturellement les signes des pensées, c’est chose contre nature et indue que quelqu’un signifie par les mots ce qu’il n’a pas dans l’esprit » (Trad. P. Pègues ).

Tiré de la nature de l’acte, l’argument, comme le dit S. Thomas au même article ad 4, fait abstraction des conséquences de cet acte. Celui-ci reste donc défendu, même dans les cas exceptionnels où ces conséquences sembleraient heureuses. On ne peut, par un moyen illicite, ni faire le bien ni empêcher le mal.

Au surplus, il nous faut avoir assez confiance

1. Il nous est revenu qu’on a félicité un auteur anglais d’avoir cherché la raison de lu malice du mensonge dans l’inviolabilité de. « lois 1IIl commerce humain.

On voit qu’il ne s’ugit point là d’une trouvaille ; que, pour le fond, l’argument n’est pas nouveau, el qu’il de mande ù être employé avec quelque précaution.