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RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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tel S. Thomas estime que l’intention de tromper ajoute au mensonge un complément non essentiel II, II, q. no art. i, ad 3) ; Scot n’opine pas autrement.

« Le mensonge est, à ses yeux, un énoncé

contraire au jugement de qui parle ; et par conséquent accompagné de l’intention de tromper » (In III d. 38, q. unica, n. 0).

Pour d’autres, cette addition servait à trancher une controverse. Y a-t-il moyen de mentir dans un soliloque ? Nullement, puisqu’on ne saurait alors avoir l’intention de tromper. « Les théologiens se demandent, dit Jban de S. Thomas (158q-iG44) in II, II, q. i, d. 2 art. 4> ni, si, outre la volonté déparier contre sa pensée, le mensonge requiert celle d’induire en erreur. Bannez l’affirme, et il en infère qu’on ne saurait mentir lorsqu’on se trouve seul. »

On comprend que certains auteurs plus récents aient cru trouver là un appui pour leur théorie du mensonge olïicieux. Mais en cela ils se trompent complètement sur la pensée d’Augustin. Celui-ci n’hésite pas à qualilier de menteurs ceux qui parlent contre leur pensée pour sauver leur propre pudeur ou vie, ou encore la vie soit temporelle soit éternelle d’autrui. (Voy. De mendacio, c. v-xm). Aussi Cajbtan (146rj-1534) in II, II, q. iio art.’i, fine, loue la Glose d’avoir compris les paroles u dans l’intention de tromper », de la volonté d’exprimer ce qui est faux.

Antérieurement au xvie siècle, personne ne distingue entre le mensonge et un faux énoncé qu’excuserait la bonne intention ou la nécessité. Et depuis lors, le vrai concept du mensonge a été maintenu parmi les grands docteurs catholiques’. Les textes cités plus haut le prouventabondamment. Voy. d ailleurs Mgr Waffelabrt, Dissertation morale sur la malice du mensonge (1884).

Retenons donc pour vraie et complète cette courte définition : mentir, c’est parler contre sa pensée. « Il ne faut pas ajouter à la définition, ainsi qu’on le fait souvent, la volonté de tromper : cela n’est pas de on essence » (Skiuillanghs, La philosophie morale de S. Thomas, p. 299).

§ 2. — Les fausses notions du mensonge

Au xvie siècle, l’honnête protestant qu’était Grotius crut ne pouvoir maintenir la thèse traditionnelle de la malice intrinsèque du mensonge, sans en altérer le concept ; et il déiinit le mensonge : « La parole opposée au droit actuel de l’interlocuteur. »

Observons toutefois qu’il invoquait, non pas le droit que lèse le mensonge pernicieux, mais celui que fait naitre le prétendu contrat social. D’après Grotius, au moment où les hommes se prirent à communiquer entre eux par paroles et autres signes, soucieux d’assurer à l’institution du langage son efficacité, ils s’obligèrent mutuellement à se fournir par la parole les éléments d’une libre appréciation. Le mensonge, qui tend à tromper, enlève cette liberté : il viole ce pacte tacite et le droit qui qui en résulte. Sous le genre falsiloquium’*, faux énoncé, vient ainsi se placer comme une espèce, le mensonge.

Imaginaire et cent fois réfuté, ce pacte ou contrat social ne saurait engendrer un droit véritable.

1. Chose un peu surprennnte, ni La Choix ni S. Alphonse ne se préoccupent de définir le mensonge. Mais la manière même dont ils écartent les restriction* purement’mentales prouve qu’ils conservent au mensonge son sens traditionnel.

2. Le mot se rencontre dans S. Augustin, lietractalionct, I. II, Prologus, n. 11. Il désigne là, semble-t-il, plutôt l’erreur inconsciente dans laquelle tombent ceux qui parlent beaucoup (P.L., XXXII, û85).

Plus récemment, des catholiques ont voulu accréditer cette autre définition : le mensonge est le refus de la vérité due à l’auditeur. <t Mentir, lisons-nous dans la Revue du Clergé français, XCIII, p. 79, c’est affirmer le contraire de la vérité à quelqu’un ayant le droit de l’exiger » ; ou encore, p. 329 : « Mentir, c’est tromper injustement ».

Du coup, le devoir de ne pas mentir, devoir négatif et perpétuel, se confond, dans la première formule, avec le devoir positif de la sincérité ; dans la seconde, il se restreint au mensonge pernicieux.

A-t-on mesuré les conséquences de ce transfert du mensonge illicite dans le domaine de la justice ? Rappelons quelques règles propres à cette vertu. Sauf l’établissement de rapports particuliers entre certaines personnes, le devoir commun de la justice commutative est tout négatif : il interdit de nuire.

— De plus, le consentement exprès, tacite ou légitimement présumé, de l’ayant droit, supprime l’injustice : consentienti non fit iniuria. Enfin, la justice admet la compensation occulte. Par conséquent, nous pourrions dire le contraire de la vérité, chaque fois que nous serions par là agréables ou utiles à autrui ; chaque fois encore que le mensonge d’autrui nous permettrait de nous compenser ; chaque fois même, que nous ne causerions aucun tort. Eu outre, comme la Majesté divine ne doit rien à personne., Dieu pourrait mentir, d’après l’acception vulgaire du mot ; et, d’après le sens nouveau du terme, même en enseignant l’erreur, il ne saurait mentir.

Dira-t-on que le droit de l’interlocuteur s’entend ici largement de toute exigence vertueuse ; que la vérité peut être due de la sorte, à titre de justice, d’obéissance, de charité ou d’une aulre vertu ? (Voy. Tanqubrby, Synopsis Theologiæ moralis et pastorales, n. 4t 1. Ed. 1906, tome IL) Outre l’impropriété de ce langage, nous demandons à ces auteurs, s’ils reconnaissent l’existence d’une vertu qui, par elle-même, sans autre influence, interdit de dire le contraire de sa pensée ? S’ils la reconnaissent, n’est-ce pas l’opposition avec cette vertu qui donne au mensonge sa malice spéciale ; n’est-ce pas par l’opposition avec cette vertu qu’ils devraient définir le mensonge, quitte ensuite à ajouter que le but et les circonstances introduisent parfois ou souvent une nouvelle malice contraire à la justice, à l’obéissance, à la charité, etc. ?Que s’ils niaient l’existence de pareille vertu, ils devraient confesser que, pour eux, parler vrai, parler faux, devient chose indifférente, à peu près comme se promener ou s’asseoir ; donc, chose bonne ou mauvaise, selon le but et les circonstances.

Celte fois, le sens commun proteste ; la rougeur que le mensonge (au sens vulgaire et traditionnel) met au front de l’enfant, ratifie l’adage antique qui, ans plus demander, condamne le mensonge comme honteux : Turpeest mentiri, c’est chose honteuse, de mentir, c II est certain, déclare Suarbz, que le mensonge (il entend le terme dans son sens usuel) pris en lui-même, n’est ni bon ni indifférent : il est donc mauvais » [De Fide, d. ni. s. 5. n. 8.)

Ces observations réfutent également d’autres essais de définitions nouvelles moins répandues :

« Le mensonge est l’énoncé du faux (falsilor/uiuin)

qui, vu l’exigence du bien commun, ne peut être dit licite ; c’est l’énoncé du faux que réprouve le sens commun (Bbrahdi, Praxis confessariorum, n. 281g2826). Le mensonge est l’énoncé du faux, dicté par l’intention de tromper, et non pas de procurer un avantage à soi-même ou à autrui ; le mensonge est un énoncé dont la fausseté ne s’accorde pas avec

« l’exigence des rapports sociaux ». Toutes définitions

qui ont le tort commun de négliger l’action