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RESPONSABILITÉ

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a° Supposons pourtant que l’athée, tôt ou tard, ne parvienne qu’à une connaissance incertaine, une probabilité sérieuse, de l’existence de Dieu. Demeurerait-il exempt de toute parfaite obligation ?

« Ce serait, nous dit-on, une conséquence de votre

thèse ». — À quoi nous répondons : la thèse exclut l’obligation parfaite légitimement reconnue dans un état de complète ignorance de Dieu ; ce n’est plus

ie cas.

— « Oui, reprend-on ; mais une loi douteuse ne saurait obliger : tout le probabilisme repose sur ce principe ». …

— Commençons par écarter la parité. Celui qui, après enquête ou considération suffisante, doute de l’existence d’un précepte, peut le regarder comme non avenu ; il peut se dire que le législateur, s ? il existe et s’il commande, ne saurait raisonnablement s offenser d’une altitude qui n’est nullement un manque de respect.

Il n’en est plus de même si l’on passe outre sans sérieuse enquête, inconsidérément. Or, l’athée qui doute a-t-ii sérieusement considéré les motifs d’atfirmer l’existence de Dieu ? — Il ne semble pas. Autrement, la vérité se manifesterait à lui. Fait pour Dieu, doué d’intelligence pour le connaître, peut-il, usant normalement de ses facultés, rester dans l’ignorance de Celui qui est sa Fin ? Et si des erreurs invétérées n’ont pas fausse la puissance même de sa raison, le fait même de douter sur le plus grave de tous les problèmes, — dont dépend toute l’orientation de sa vie morale et où est engagé tout son être avec son éternel avenir, — doit bien l’avertir qu’il n’a pas suffisamment considéré la question.

Mais alors, les principes du probabilisme ne valent pas pour le libérer. Et par suite, tant que le doute n’est pas éclaira, mépriser l’ordre moral serait une attitude téméraire*. Rien ne dit qu’un Maitre Souverain n’en est pas offensé ; commettre le désordre, c’est donc accepter l’offense, en réaliser subjectivement la malice, en assumer toutes les responsabilités (c’est-à-dire vouloir d’une façon désordonnée, infiniment répréhensible et condamnable)^.

1. Remarquons que nous ne nous appuyons nullement sur 1 obligation où se trouve 1 athée de’faire l’enquête. Nous ne la nions pas, mais elle est une conséquence. Nous disons seulement : tant que l enquête est inachevée, rien ne libère l’athée de l’observation de l’ordre moral.Nous ne considérons donc pour l’instant que comme une condition de liberté, de non obligation, l’examen lovai qui, par voie de conséquence, est aus » i objet d’obligation, en tant qu’élément nécessaire de l’ordre moral. Les adversaire » passent trop tôt de l’ordre des jugements directs à celui des jugements réflexes.

2. Le cas serait assez étrange, d’un homme trop peu éclairé pour reconnaître sa Fin, assez averti pour être au courant des finesses de la casuistique, assez avisé poulies entendre à sa façon et se tranquilliser vraiment ainsi. Des moralistes de l’envergure de Lico (de Incarn., d. y, S. 6, n. 106sq.) n’ont pas été arrêtés par ces difficultés. Le principe lex dubia non obtigat est seulement réflexe, venant après des jugements directs, v. g. : ceci est probablement l’offense d’une Majesté Infinie. Se libérer de ces jugements directs n’est pas si facile ; il faut le temps d’une considération qui permette de décider si la probabilité est sérieuse ou non, ou se doit changer en certitude. En attendant, accepter dans sa conduite ce qui est probablement mal, c’est consentir au mal, c’est mal vouloir subjectivement. Ainsi l’athée qui doute encore de l’exiilcrice de Dieu, a reconnu d’abord la malice contre nature, de certains acte », v. g. de l’homicide, puis la malice probablement infinie de ces mêmes actes en tant que probablement réprouvé » par un Maitre Souverain, infini. De ce jugement, il n’arrive pas à se libérer. Donc subjectivement il commet la mulice infinie qu’il accepte en posant son acte, subjectivement il viole l’obligation, puisque, la reconnaissant probable, il accepte de la violer.

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C’est ainsi qu’en écartant l’objection, nous arrivons d’un coup à prouver positivement que l’athée encourt toutes les conséquences pratiques de l’obligation parfaite.

Peut-on prouver celle-ci directement, en partant des principes généraux delà thèse ? Nous le pensons, et ce que nous venons de dire l’insinue assez.

Que faut-il pour se reconnaître à bon droit obligé ? Il sullit qu’on se rende compte i° des titres qu’une certaine Fin possède par elle-mèmeà pn respect sans bornes, à un souverain amour ; et a° par ailleurs, de la nécessité d’observer l’ordre moral pour pratiquer ce respect et cet amour.

Or, avant même de conclure à l’existence certaine de Dieu, l’athée le conçoit comme une Excellence absolue et souveraine, etdès lors comme exigeant, par les titres intrinsèques à sa Bonté, un absolu respect et un tuprême amour. S’exposer au péril de l’offenser lui apparaît comme l’acceptation du mal le plus grand qui se puisse concevoir, du mal à éviter plus que tout, du mal absolument proscrit p.tr les exigences ontologiques de la Souveraine bonté.

Tant que Dieu est seulement conçu, ce péril aussi n’est que conçu, et aucune obligation actuelle ne se dégage. Mais si l’existence de Dieu apparaît probable, sa volonté, son précepte semble probable aussi. Le péril de l’offense devient imminent, c’est la violation de l’ordre moral, de l’ordre surgissant de la nature, qui le constitue. Accepter cette violation, c’est accepter ce mal absolument proscrit, conçu tout à l’heure, c’est donc transgresser une nécessité catégorique actuelle, l’obligation parfaite. (Cf. Lugo. De Incarnatione, d. v, s. G, n. 106 sq, éd. Vives, t. II, p. 351) i.

Conclusion

Critique comparée des opinions touchant l’obligation.

i° Certains laissent le point de départ, * le fait premier » de la connaissance de l’obligation, inexpliqué. Ainsi Kant : il cherche l’explication, et conclut qu’il n’y en a pas pour la science. Ainsi, d’une tout autre manière, Mgr d’Hulst, ScniFPiNi : d’autres connaissances dérivent réellement ou virtuellement du jugement touchant l’obligation ; celui-ci se présente comme une synthèse originale de l’esprit, puisque l’analyse des concepts de bien et d’obligatoire n’eu montre pas l’identité ; synthèse d’ailleurs non

Remarquons qu’il s’agit d’une obligation probable sans doute, mais concrète, pratique : « probablement Dieu veut que j’évite l’homicide, probablement II serait offensé si je commettais cet acte ». Donc ne dites pas : « l’athée craint seulementqu’il y ait offense matérielle ». Ce serait passer au stade des jugements réflexes. Il juge directement dans le concret et n’u pas de principe réflexe pour exclure du concret ce que sa raison conçoit ; mais juger dans le concret, c’est comprendre la probabilité de l’offense réelle, formelle.

En d’autres ternies, il ne peut pas dire : « dans l’ubstiait il y a probabilité d’offense, dans le concret il n’y a certainement pas d’offense » ; ou encore : « il y a péril d’offense matérielle, il n’y a pas de péril d’offense formelle » ; parce qu exclure celui-ci, suppose le principe réflexe lex dubia non obligal, dont il ne peut se servir,

— faute, nous l’avons dit, de pouvoir se rendre le témoignage qu’il a fait l’effort loyal et convenable pour arriver a la lumière. Et si l’on objectait qu’il peut en cette matière se tromper, se former faussement, mais de bonne foi, la conscience, de façon à se tranquilliser, je répondrais que les arguments qui excluent l’ignorance invincible de Dieu, excluent aussi celle invincible sérénité, sinon peut-être pour un temps.

1. Le raisonnement se résume ainsi : si un tel péril existe.il faut absolument l’éviter. Or il existe. Donc…