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RESPONSABILITÉ

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l’obligation parfaite, c’est-à-dire non pas seulement sa cause, mais ce qui autorise l’esprit, la conscience, à l’affirmer.

Il y a là une précision nécessaire, aujourd hui plus que jamais

Beaucoup d’auteurs, surtout anciens, considèrent directement l’ordre ontologique, — résolvant souvent, d’ailleurs, semlde-t-il, au moins implicitement le problème d’ordre logique et psycboïogique. Ce dernier a pris, ces dernières années, une importance considérable, puisqu’il s’agit de savoir si, — l’obligation étant un fait de première évidence, — on ne pourrait pas le prendre comme point de départ de la morale, au rebours du processus traditionnel.

Nous avons, du reste, résolu équivalemment le problème ontologique, dans nos présupposés, en montrant comment l’obligation vient du Divin Législateur ; et ce qui suit précisera celle solution en faisant voir comment la Volonté de Dieu exerce prochainement son influence sur noire volonté, c’est-à-dire en se manifestant comme telle.

Les opinions. — i) Pour Kant, affirmer l’obligation est un fait premier de la raison (Crit. de la rais, prat., trad. Picavet, p. 50-51), un jugement synthétique api iori (ibid., et Fond, de la métaph. clés mœurs, trad. Delbos, p. 135). La loi qu’édicté notre raison s’impose par elle-même à notre respect, indépendamment de la valeur des objets qu’elle nous fait rechercher ; non seulement sa dignité se présente comme un motif absolu d’agir, mais tout autre motif est exclu. Et si, plus tard, Kant considère l’humanité, la dignité de la personne comme « fin en soi » et comme pouvant fonder la valeur absolue de l’impératif catégorique, c’est que la raison humaine s’apparaît à elle-même comme législatrice : c’est de la loi et de sa représentation que vient toute la dignité de l’être raisonnable.

D’ailleurs, remarquons-le bien, on ne soutient pas que l’obligation ait une valeur objective, on l’ignore ; et c’est l’objet du problème qui, après de laborieuses recherches, ne paraîtra que plus insoluble. Rien ne vaut en effet, nous dit-on, si la raison humaine n’esl pas législatrice, autonome’ ; or cela, nous dit Kant, nous ne le saurons jamais ; nous ne pourrons que 1^ postuler.

C’est bien, semble-t-il, au père du criticisme que des modernes ont emprunté la première idée d’une philosophie fondée sur le fait initial de l’obligation. Mais — chose pour le moins curieuse ! — ils ont affirmé d’emblée que celle-ci est objective % alors que Kant n’y aboutissait même pas.

a) VASO.UBZ, lui, assignait un motif objectif à l’acceptation valable de l’obligation, à savoir l’accord ou le désaccord perçu entre l’acte à poser et la nature raisonnable. En d’autres termes, pour lui, la connaissance du bien et du mal moral fournit immédiatement celle du précepte et de la prohibition, indépendamment de toute considération de la volonté ou même du jugement de Dieu (Comm. in l im Il a <, dlsp. cl, c. 3, spéc n. 22 sq.) Il s’en suit que l’on peut se rendre coupable de péché mortel, tout en ignorant la Majesté divine (Disp. cvii, n. 1’1).

3) Selon Gbrdil, la connaissance de l’ordre idéal des actions humaines a la forer d’obliger ceux même qui auraient le malheur de ne pas connaître l’Auteur de leur existence (Coll. Aligne, col. 1380). D’ailleurs la position de l’auteur est assez éclectique, il dit en effet qu’un double fondement peut être assigné à une obligation véritable et propre 1. Ce que Kant appelle encore notre libellé.

: '. AinM - Mgr d’Hvlst, Conf. de S. D., 1892, p. 48 sq.

ment dite : d’une part, la convenance de l’action relativement à la perfection propre de l’homme, à cette perfection dont la conquête est un motif d’approbation intime… ; d’autre part, la convenance de l’action comme moyen d’obtenir la parfaite félicité… (Inst. phil. mor. t disp. iii, cap. 3) Bien plus, dans le même passage, l’obligation est présentée comme une nécessité plutôt de fait que de droit : comme la résultante d’inclinations profondes, impérieuses parce que naturelles, plutôt que comme un droit souverain s’imposant à notre respect : elle surgit de la nécesnaire connexion de l’acte à poser avec une fin que nous ne pouvons pas ne pas vouloir,

4) Cette dernière conception se retrouve chez un certain nombre d’auteurs récents, la fin que nous ne pouvons pas ne pas vouloir étant d’ailleurs notre perfection d’homme, — ainsi P. Janeï (La Morale, n. 218 sq.) —, ou la béatitude, — ainsi Taparblli (Droit naturel, trad., t. I, n. 94 sq.) —, ou même la gloire de Dieu’.

5) SchiI’Tini nous semble représenter une opinion intermédiaire entre les précédentes et la nôtre. Une connaissance confuse et indistincte d’un Législateur, d’une Puissance cachée liant la volonté humaine, serait formellement enveloppée dans le concept d’obligation et l’expliquerait (Eth. gen., n. i/J 1 ;

— Metaph. spec., n. 397-398). On ne nous dit point d’ailleurs d’où vient le jugement moral obligeant l’homme et lui fournissant cette connaissance confuse du Législateur et de sa loi *. Nous expliquerons au contraire, dans notre seconde partie, comment, selon nous, procède la raison humaine.

6) Notre thèse paraît bien celle de S. Thomas : Conscientia obligat non virtute propria, sed virtute præcepti divini ; nonenim conscientia dictât aliquid esse faciend um hac ratione quia sibi videtur, sedhac ratione quia a Deo præceptum est. (In II, dist. 39, q. 3, a. 3, ad 3). Les développements sont donnés dansleZte Veritate, q. xviia. 3.A r um conscientia liget.

La distinction importante entre l’obligation parfaite et l’obligation imparfaite (c. a. d. notre thèse elle-même), est nettement insinuée soit en d’autres passages (spécialement I a II æ, q. 100, a. 5, ad i » m 3 : cf. tout l’article), soit par l’ensemble de la doctrine et le rapprochement des textes, spécialement sur le premier précepte.

Signalons aussi, en faveurde notre thèse, S. Bonavbnture (//( //, d. 3g, a. I, q. 3) 4, — Suarez, surtout : Le Lege, 1. II, c. vi, n. 7, cf. fin, n. 6 5, — Lugo, De Incarnation », d. v, s. 6, n. 106 sq. (éd. Vives, t. II, p. 351), — Lacroix, Theol. mor. (Venet. , 17^0), t. II, 1. V, c. i, n. 25sqq., n. 48, q. iu tout entière, — et un grand nombre de scolasti 1. Cf. Valen’sin, art. Ckiticisme Kantien : réfutation delà morale de Kant, c. 757 ; la conception de l’obligation comme nécessité de fait est bien mise en lumière.

2. Voir ce que nous disons nous-meme du caractère plus ou moins indistinct de la connaissance de Dieu, telle que nous la supposons, [fin du 1" are.)

3. Très intéressant et suggestif, si on le compara à q. 94, u. 3.

4. Qui d’ailleurs admet une certaine connaissance immédiate de Dieu (ibid., a. 1, q. 2, et De wyster io Trinilatis,

I, 1).

5. Suarez dit que les athées, s’il en existe, ne pèchent pas mortellement (De ptec, d. II, s. 2, n. 7, éd. Vives, t. IV, p. 523) ; de même Luco, Lachoix.

Quelque théorie que l’on tienne, la question pratique est surtout celle des athées, et tout d’abord celle de savoir si, tans connaître Dieu explicitement, on peut commettre un péché mortel, méritant une peine éternelle. Personne n’a défendu avec plus de vigueur lu solution négative que le Cahdinal Billot (voir dans les Etud’i du 5 mai 1921, contre Viva). Mais il pouvait citer de nombreux devanciers.