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RENAISSANCE

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Et, dans llnlroduclion de son livre, voici cet hymne à Léonard de Vinci et à la nature :

« Le moyen âge s'était tenu dans une timidité
« tremblante en présence de la nature Il n’avait su

<( que maudire, exorciser la grande fée. Ce Vinci,

« fils de l’amour et lui-même le plus beau des hom « mes, sent qu’il est aussi la nature ; il n’en a pas
« peur. Toute nature est comme sienne, aimée de
« lui…
« Entrez au Musée du Louvre, dans la gTande ga « lerie. à gaucbe vous avez l’ancien monde, le nou « veau à droite. D’un côté les défaillantes figures

i du frère Angclico de Fiesole, restées aux pieds de

« la Vierge du moyen âge ; leurs regards malades
« et mourants semblent pourtant chercher, vouloir.
« En face de ce vieux mysticisme, brille dans les
« peintures de Vinci le génie de la Renaissance, en
« sa plus âpre inquiétude, en son plus perçant ai « guillon. Entre ces choses contemporaines, il y a
« plus d’un millier d’années.
« Bacchus, saint Jean et la Joconde dirigent leurs

a regards vers vous ; vous êtes fascinés et trouci blés, un inlini agit sur vous par un étrange ma « gnélisme. Art, nature, avenir, génie de mystère

« et de découverte, maître des profondeurs du
« monde, de l’abîme inconnu des âges, parlez, que

u voulez-vous de moi ? Cette toile m’attire, m’ap « pelle, m’envahit, m’absorbe ; je vais à elle mal « gré moi, comme l’oiseau va au serpent.

« Bacchus ou saint Jean, n’importe, c’est le même

" personnage à deux moments différent ». Regardez c le jeune Bacchus au milieu de ce paysage des pre « miers jours. Quel silence ! quelle curiosité I il épie

« dans la solitude le premier germe des choses, le
« bruissement de la nature naissante : il écoute
« sous l’antre des cyclopcs le murmure enivrant des
« dieux.
« Même curiosité du bien et du mal dans son
« saint Jean précurseur : un regard éblouissant qui
« porte lui-même la lumière el se rit de l’obscurité
« des temps et des choses ; l’avidité infinie de l’es « prit nouveau qui cherche la science et s'écrie : 
«  « Je l’ai trouvée ! » C’est le moment de la révéla « tion du vrai dans une intelligence épanouie, le
« ravissement de la découverte, avec une ironie

o légère sur le vieil âge, enfant caduc » (/</., p. lxxxviii et suiv.).

Cette poésie séduisante mais facile cache une conception fausse, et très répandue, de la Renaissance. Si elle n’eût été que l'éclosion de la libre pensée et le retour à la nature, c’est-à-dire à l’instinct, contrôlé par la seule raison, il serait malaise de comprendre qu’approuvée par l’Eglise, elle ait pu aider à son action et — malgré les erreurs lamentables de certains papes — exalter sa puissance spirituelle aussi bien que temporelle.

III. Première période. L’Italie et la découverte de l’antiquité. — Ce grand mouvement de rénovation intellectuelle et artistique s'étend à toute l’Europe, mais il a son point de départ en Italie. Malgré les ravages affreux des barbares, les luttes incessantes des petits Etats, l’oubli prodigieux où était tombé le passé illustre de l’héritière de la Grèce, ce passé subsistait obscurément ; le sol que la race latine, au temps de sa toute-puissance, avait couvert des monuments de sa gloire, laissait paraître de toutes parts des vestiges qui, effacés à demi ou cruellement déshonorés, remplissaient de stupeur ceux-là mêmes qui les mutilaien. Il faut bien dire que le sens de la grandeur antiqe ne fut jamais entièrement aboli. Des artistes, des poètes surgissaient, qui, sans comprendre entièrement la voix

qui s'élevait des ruines, s’efforçaient de la traduire, ou tout au moins de l’adapter aux intelligences formées parles méthodes d’enseignement chrétien. De même qu’aux premiers temps du triomphe de l’Eglise les figures des divinités païennes avaient fourni des modèles aux mosaïstes et aux sculpteurs chargés de représenter le Christ, la Vierge, les apôtres et les saints, c'étaient encore les sarcophages antiques qui, au xin » siècle, rappelaient à Nicolas de Pise et à ses élèves les lois tiop méconnues du rythme, la majesté harmonieuse des visages et des gestes, l'équilibre des plis d’un vêtement ; puis, tandis que Giotto, ouvrant les yeux sur la nature, faisait rentrer dans les froides et solennelles images 4e l’art byzantin l’expression de tous les mobiles intérieurs de la vie, Dante audacieusement fondait en une seule vision le passé, le présent et l’avenir de l’humanité, et, pour la première fois, rendait sa place à toute la beauté antique dans l’ascension vers la lumière divine. Le poète qui, pour associer la grandeur de sa patrie à la victoire suprême de sa religion, a choisi Virgile comme guide dans les cercles de l’Enfer et du Purgatoire, réservant à la Théologie, cachée sous les traits de son amour, de iui ménager l’accès du Paradis, qui encore, au seuil dernier de son poème, invoque Apollon et les Muses, après avoir fait apparaître les héros et les chantres de l’antiquité grecque et romaine, qui enlin, allant chercher dans les mythes d’une poésie morte, dans les figures d’un paganisme aboli l’expression la plus solennelle de la beauté divine, ose écrire sans blasphème, parlant de Jésus-Christ :

Souverain Jupiter, Qui fus en terre pour nous crucilié I

(Purg., VI, 118-9.)

Dante n’a-t-il point déjà mérité le litre, que l’on a décerné à Pétrarque, de « premier homme moderne » ? Dante et Pétrarque ont inauguré la Renaissance, et Pétrarque assurément mieux que Dante, par le souci qu’il eut de ressusciter les grands écrivains antiques. L’esprit de la Renaissance ne peut se bien comprendre que par une étude approfondie de l'œuvre de Pétrarque ; c’est la préface indispensable d’une histoire considérable, dont il est tout juste possible » d’indiquer ici les grandes lignes.

IV. La Papauté et l’humanisme. — Pétrarque et Boccace sont lespremiersdcshumanistes ; ils ont recherché passionnément les textes des auteurs latins et les traductions des auteurs grecs, encore peu accessibles dans leur langue. Ce n’est que vers le milieu du xv siècle, et surtout après la prise de Constantinople par les Turcs, en i^53, que les Grecs émigrés, accueillis à Venise, à Florence, à Rome, à Naples, apportèrent, avec les grands manuscrit » grecs, la connaissance de la langue. La première édition d’Homère est de 1 488, à Florence ; celle de Plutarque, de 1500, à Venise ; celle de Platon, de 1513, à Venise également ; mais Plutarque avait été publié en latin dès 1^70, et Platon, dans la traduction de Marsile Ficin, dès 1^83 ; Aristote est publié en grec, par Aide, de 1490 à i/|<)8 ; Aristophane, en 14()8 ; des trois grands tragiques, Sophocle, en 150a, Euripide, en ]503, Eschyle, en iô18.

A Florence, les premiers Médicis, Cosme l’Ancien, Pierre et surtout Laurent le Magnilique, tiennent lu tête du mouvement intellectuel, et groupent autour d’eux toute une active cohorte de savants, parmi lesquels se distinguent Jean Argyropoulos, Marsile Ficin, Pic de la Mirandole ; des bourgeois illustres, Niccolo Niccoli et Gianozzo Manelti, sont avec eux les promoteurs de l’humanisme. A Naples, Alphonse