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RELIGION : THÉORIES PSYCHOLOGIQUES

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est très significatif : Dieu est appelé chez les Noirs, le Puissant, l’Invisible, l’Organisateur, le Maître, le Néant, Celui d’en haut, etc. — S’il ne faut pas demander aux non-civilisés une métaphysique abstraite, cohérente, une théodicée systématique, du moins trouve-t-on chez eux des affirmations sur ce Maître, cet Organisateur, ce Père de tous. A. Lang conclut à la présence de cet AU Fatherism, — de cette Paternité universelle de Dieu chez la plupart des primitifs observés : notion élevée de Dieu, et affirmation d’un réel monothéisme.

b) Ce monothéisme ne peut être le résultat d’emprunts ou d’une importation chrétienne (explication de Tylor et de quelques disciples obstinés). Au point de vue ethnologique, 1 existence decette idée de Dieu s’est révélée plus ancienne que l’apparition des missionnaires, indépendante de toute importation, et d’une extension inexplicable par des influences particulières. Cette idée de Dieu est autochtone et primitive. Vérité à peu pré » aujourd’hui reconnue de tous. Eu fait, pas de fétiche de Dieu. Les Noirs en particulier ne sont pas polythéistes.

c) Cette idéede Dieu, en certains peuples, apparaît comme recouverte et en partie étouffée par le développement luxuriant des mythologies, des cultes secondaires ; l’idée de Dieu est ainsi devenue moins nette, on s’est rapproché du culte de l’ancêtre ; elle se montre aussi moins efficace sur la conduite. Ceci suggère qu’il y a eu, chez ces peuples, une dégénérescence de l’idée de Dieu, non pasdisparue, mais en partie effacée, comme ces fresques à demi détruites sous la peinture qui les recouvre et que l’artiste met parliellementàdécouvert(comparaisondeHuBY, op. cit. — Le langage témoignerait chez certains peuples de cette dégénérescence de l’idée de Dieu : chez les Bantous, les langues sont plus précises, plus significatives dans la désignation de Dieu et de ses attributs, que ne le sont généralement, à l’époque actuelle, dans l’expression de leurs croyances, les peuples qui les parlent. Cf. Lb Roy, Bel. des Pr., p. 1 8 1. Ceci serait une preuve négative en faveur du monothéisme primitif, preuve que W. Schmidt regrette de ne pas voir mieux exploitée et plus développée. A. Lang a montré cette dégénérescence chez les Aruntas. Cette loi de dégénérescence est expliquée de même par Hcby, Iïec. Scien. relig., 1917, art. cité.

rf)Par contre, et ici l’argument paraît tout à fait décisif, cette idée de l’Ail Father, comme dit A. Lang, du Père de tous, est singulièrement plus nette, plus précise, plus commune, plus pure aussi d’éléments mythologiques, chez les peuples tout à fait inférieurs, tels les Négrilles et les Negritos, qui, par leur civilisation tout à fait rudimentaire, paraissent représenter les éléments les plus anciens de l’humanité. — Voir Mgr I.E Roy, Rel. ptim.

W. Sehmidt, utilisant la méthode dite des cycles culturels, a montré avec une grande précision de spécialiste, — par la comparaison des armes, de l’habitat, des organisations familiales, sociales, etc. —, que les peuplesoù la notion de Y AU Father est plus nette appartiennent aux couches ethnologiques les plus anciennes. Le développement religieux n’est donc pas lié au développement social, comme le voulait l’école anthropologique. La notion de Dieu chez ces peuples précède tout animisme et tout culte des esprits : l’animisme, même psychologique, n’est donc pas le fait primitif, ni la caractéristique de l’état mental du sauvage. D’où la loi posée par A. Lang : The more aniinism, the less AU Fatheriêm : plus il y a d’animisme, plus décroît la notion du Père de tous.

La science des religions, interprétée dans le sens

évolutionniste, n’a donc pas rencontré dans l’ethnologie l’arme nouvelle et décisive contre le christianisme, arme moderne, critique et scientifique, plus puissante, selon Sal. Reinach, que la raillerie de Voltaire et l’impiété du xviir* siècle. Comme toute science, l’ethnologie, devenue l’instrument préféré de l’histoire des religionsconçue dansun sens athée à son tour, vient déposer en faveur de Dieu. Cf. Pinard S. J., Rev. de ph., 1911. « Le monothéisme primitif ».

e) Cette idée de Dieu, chez les non-civilisés, ce monothéisme primitif, atteint par l’ethnologie, peut s’expliquer philosophiquement. L’homme, à partir des faits de la nature, par le seul et primitif élan de l’esprit, s’appuyant sur la causalité, comme on l’a déjà dit, peut arriver par ses propres forces à cette notion d’un Etre suprême, d’un Maître de la vie et de la mort, d’un Auteur du monde. Dans ces faits simples et journaliers, dans ce raisonnement simple, dans ce résultat simple, quoique sublime, il n’y a rien qui dépasse en soi les forces de l’intelligence humaine, même chez les primitifs. La philosophie peut en soi suffire à expliquer ce paradoxe que l’histoire nous montre, « d’une religion moinsparfaite chez les contemporains de Platon et d’Aristole que dans les misérables campements des Pygmées équatoriaux ». Huby, op. cit., p. 351.

/) L’ethnologie ne nous permet pas de nous prononcer sur l’état initial de l’humanité et son développement religieux. Elle ne nous autorise pas à passer, par simple analogie, ou par l’affirmation de l’identité, de l’état actuel des peuples non civilisés, primitifs actuels, à l’humanité primitive. L’équation : sauvage =j : primitif, est une hypothèse de l’évolution, non une donnée de la science ; il n’y a pas un type sauvage, une mentalité sauvage, en soi : abstraction, ou interprétation des faits ; de multiples constructions ont été tentées ainsi, à partir de ces faits, mais constructions : même dans l’hypothèse de la stagnation, arrêt de développement chez les non-civilisés, combien de siècles inconnus qui les précèdenll Impossible donc de passer, par affirmation d’une identité problematique.de ces sauvages aux vrais primitifs. De son côté, la Préhistoire avoue son impuissance à nous renseigner. Pour cette histoire primitive, beaucoup de feuillets manquent, a t-on dit justement, et ce sont les premiers. Lbmonnybr, « La préhistoire et la méthode ethnographique », //. des se. ph. et th., 1920, p. 72-102, et Les religions de la préhistoire : L’âge paléolithique, Picard, 1921, c. ni. Et l’ethnographie au service de la Préhistoire, est un instrument, un auxiliaire, une interprétation : non suppléance ou observation directe. — Cf. Sem. Eth. relig. l Te sess., Schmidt : « Phases principales de l’histoire de l’ethnologie », et « La méthode de l’ethnologie » — et Lemonnybr, traduction et adaptation de Schmidt, La révélation primitive et les données actuelles de la science, Paris, Gabalda, 1914.

Enfin, et pour certains, par la présence de ces idées d’Etre suprême, chez les peuples les plus inférieurs, par l’étude de cette dégénérescence de l’idée de Dieu et de la floraison progressive de la my’.hologie et des cultes secondaires, par l’histoire aussi, qui montre toujours le polythéisme sortant du monothéisme et jamais le contraire, Lagranob, op. cit., intiod., tout se présente 4 comme si l’espèce humaine s’irradiant d’un point commun sur lequel elle aurait apparu, à une époque que la science est impuissante à fixer d’une Façon précise, avait été mise en possession d’un fonds de vérités morales et religieuses, avec les éléments d’un culte, le tout prenant racine dans la nature même de l’homme, s’y conservant avec la famille, s’y développant avec la société,