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RELIGION : THÉORIES PSYCHOLOGIQUES

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mal. Pourle P. Lagrangb, op. cit., le primitif ne distingue pas entre ce qui est mû du dehors, qu’il tient pour anime, et ce qui est mû du dedans (ab intrinseco), le vivant. Cf. op. cit. p. 7.

Et il a aussi raison d’affirmer l’existence d’êtres invisibles, d’esprits, d’un monde immatériel au dessus du monde matériel ; mais il se trompe dans la multiplicité, clans le mode d’action de ces esprits — ; et la magie devient la déviation et la corruption de la religion.

4°) Il a encore raison d’ébaucher dans la mythologie une métaphysique, une théodicée, une cosmogonie. C’est là surtout que se place l’animisme, effort de réllexion philosophique, tâtonnement de l’esprit. Et l’animisme, qui a peu de place dans la religion (suivant la distinction tenue pour essentielle par le P. Lagkanob, Et. s. les rel. sém., ), tient au contraire une place prépondérante dans la mythologie. <x Tout a été pour nous confus, tant que nous n’avons pas distingué entre la religion et la mythologie. Il nous a paru alors que l’animisme, facteur principal de la mythologie, n’a joué qu’un rôle secondaire dans la religion », p. 2. — La mythologie est un mélange de poésie, d’explication scientifique, de merveilleux, destiné à satisfaire l’imagination ; « il y a de tout dans la mythologie : de la théologie, de l’histoire, du conte, de la légende, de la poésie. » Là, l’animisme se donne libre carrière, peuple le ciel et la terre d’esprits, et leur prête des aventures merveilleuses, « c’est la vie de la tribu transportée par l’imagination dans la vie céleste ». Mais le non civilisé n’est pas dupe de sa poésie, de son mythe, et de tout ce merveilleux. « Le sauvage le plus obtus ne croit pas que le soleil est réellement un homme, la lune réellement une femme, les étoiles réellement des enfants, l’éclair un grand oiseau, le tonnerre un animal. Tout cela se dit sans doute, m ; ùs c’est « une manière de dire », jeu de l’esprit pour une large part, mais que le primitif se garde de prendre à la lettre. Lb Roy, op. cit., p. 77. De là, par suite, le caractère irrationnel et souvent immoral du mythe.

Ainsi l’animisme est le facteur principal de la mythologie, mais le sauvage n’est pas totalement diijie de son animisme.

5") Le primitif n’est pas nécessairement, ni universellement, ni principalement animiste à l’égard de la nature. — Si le non civilisé ne distinguait pas entre l’animé et l’inanimé, il serait au-dessous même de l’animal, remarque Spencer, et ce serait aussicontraireà l’hypothèse de l’évolution et de la continuité de développement. — Mais il distingue nettement entre les deux ordres : cette distinction est à la base de son langage, et par suite, de sa pensée. Cf. Lb Roy. op. cit., p. 81. — Cette confusion grossière ne saurait nécessairement coexister avec le développement rationnel déjà signalé, et plus encore avec les hautes idées morales et religieuses qu’il y aura à constater chez lui. — Seulement, derrière la réalité matérielle, il cherche une explication, une causalité, et souvent, d’aprèi sa propre expérience, il en fait une causalité personnelle, intelligente et volontaire comme lui, personne, non esprit. Et c’est en cela que le primitif n’a pas tort, même s’il se trompe sur la nature de cette causalité. Cf. L. de Ghandmaison, in Christus. c. 1, p. 13.

6°) Même si cet animisme primitif et universel existait, la religion ne pourrait immédiatement en dériver. — L’animisme aboutiraità la création d’esprits, peuplant le monde ; mais la croyance à cette existence des esprits ne saurait suffire pour que la religion en sorte. La religion implique toujours l’affirmation d’êtres supérieurs et d’une dépendance

à leur égard : 1e culte vient de la conviction de cette supériorité et de cette dépendance. Comment passer de l’idée d’esprit à celle d’autorité, du point de vue purement psychologique (animation des êtres) à leur culte (vénération de ces êtres) ? « Sans dépendance, point de religion ». « Quelle que soit la philosophie du sauvage, qu’il admette ou non pour les pierres une âme semblable à la sienne, il est certain qu’au point de vue religieux, il ne tient compte que d’êtres semblables à lui par l’intelligence et la volonté, qui peuvent agir librement dans la nature en « ’unissant plus ou moins étroitement aux corps ». Cf. Lagranob, op. cit., 10, 12. 10. Cette notion de dépendance, impliquée essentiellement dans la religion, s’oppose à ce que celle-ci sorte, soit du naturisme direct, au sens de A. Réville, Guyau, etc., soit de l’animisme ancestral, culte des morts (Spencer), soit de la magie (Frazer) Il y a du naturisme et de l’animisme dans la religion des primitifs ; mais c’est coexistence, et compénélration, non confusion.

La magie, en particulier, n’est pas l’action mécanique de l’homme sur la nature, au sens de Frazer ; elle se rapproche davantage de la religion, et souvent s’y mêle étroitement, comme l’ivraie et le froment croissent côte à côte dans le même champ, Cf. Bouvibr, op. cit., parce qu’elle s’adresse à des esprits, par des sacrifices, des incantations : mais ces esprits, elle prétend les a contraindre », par ses rites. Dans la magie, contrainte ; dans la religion, dépendance. D’où la différence essentielle entre les deux. Cf. Lagrangk, op. cit. La magie « a une petite idée des forces surnaturelles, tandis que la religion a du divin une grande idée » ; la différence « est une question de sens moral et religieux, et c’est pourquoi il y a un abîme entre la magie et la religion ». De même Mgr. Lb Roy, Rel. des prim., — Bouvibr, S. J., Sent, ethnol. relig. Mais elle ont une marche parallèle. Cf. Lagrangb, op. cit., p. 27.

Ainsi, ni l’animisme n’est la tendance caractéristique, primitive, essentielle du non civilisé, — ni la religion du sauvage n’est partout et toujours, ni originairement, la religion animiste, — ni l’animisme ne peut être dit, comme le veut l’évolutionnisme, la religion primitive de l’humanité. — A ces données de la psychologie et de l’ethnologie, l’histoire ajoutera les siennes. L’animisme n’est nullement à la base des grandes religions anciennes : Egypte, Chaldée, Chine.

9°) La mentalité du primitif révèle à l’observation un surprenant développement intellectuel, moral, religieux. — On nous avait montré dans le primitif un être à peu près sans intelligence, sans moralité, et sans religion. Toujours, suivant les nécessités de la logique de l’évolutionnisme. L’observation plus attentive aboutit à cette conclusion qu’un tel sauvage n’existe nulle part, que partout il y a une organisation familiale, une morale assez développée, et des idées religieuses surprenantes par leur élévation, sous la couche des superstitions et le voile des mythologies.

En une synthèse remarquable par sa netteté et l’importance de ses conclusions, Mgr Le Uoy a pu résumer les éléments communs qui « ici plu^ effacés, là plus distincts », subsistent chez les primitifs.

1) Distinction entre notre monde visible et un monde invisible. — 2) Sentiment de dépendance de l’homme vis à vis de ce monde invisible et supérieur, particulièrement dans l’usage des choses de la nature. — 3) Croyance en un Etre suprême organisateur et maître du monde, souvent connu comme père des hommes. — 4) Croyance en des esprits indépendants, les uns tutélaires, les autres hostiles.