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RELIGION : THÉORIE SOCIOLOGIQUE

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société. Et la religionest donc essentiellement sociologique. Au dessus des religions, on est donc ramené à la religion, à son essence commune, à ses éléments communs. Une philosophie religieuse, mais réelle cette fois, positive, scientifique, se dégage des faits et les exprime. Tout le long des siècles, dans sa fonction essenti lie, la religion est l’apothéose de la société.

Les conséquences. — On voit assez en quel sens nouveau il convient de parler de la nature religieuse de l’homme. Formule fausse, si on l’entend de je ne sais quel innéisme, vague instinct primitif ; donnée métaphysique vraie, rigoureusement vraie, si l’on comprend que cette aspiration n’est qu’un résultat Mais un résultat permanent L’homme est religieux, comme il est social, et par cela même qu’il est social.

L’explication de l’école sociologique est donc aux antipodes de l’interprétation anthropologique. Dans ce système, l’individu projette en dehors de lui et au-dessus de lui sa vie personnelle, sa conscience, sa pensée et son rêve. C’est lui qui devient le créateur de la religion. On le verra clairement par la suite. Si l’on permet cette expression, la religion est centrifuge.

Avec Durkheim et ses disciples, la vie religieuse est une création de la société dans l’individu ; maintenant celui-ci est passif, il reçoit, il est trompé, sans le savoir.

Les preuves. — Il nous semble que l’on pourrait rapporter à trois chefs de preuve les arguments en faveur de l’hypothèse sociologique.

i’e Preuve. — Existence du pouvoir créateur de la Société pour cette notion du divin. — « Il y a dans la nature tout ce qu’il faut pour éveiller en nous l’idée de L’infini », dit Mueller ; d’où l’explication du naturisme. Celte conception, l’école de Durkheim la transporte à la société. Littéralement, « la société est pour les individus ce qu’un Dieu apparaît à ses fidèles ». La société se manifeste d’aboi d comme une réalité transcendante, par rapport aux existences individuelles ; elle les domine de sa majesté et de sa force. Réalité, éternelle : tandis que les individus se succèdent inépuisablement, la société offre le spectacle de sa tranquille pérennité ; réalité oiuniprésente, douée d’une ubiquité véritable, elle domine les siècles, aussi bien que les limitations de l’espace ; mais en même temps elle nous pénètre, nous assiste du dedans, crée notre mentalité, notre humanité ; réalité sincèrement bienfaisante : à la société nous devons en définitive d’être tout ce que nous sommes, tout ce que nous pouvons, tout ce que nous valons, dans l’ordre intellectuel et moral. Tout ce qu’il y a de meilleur en nous nous vient d’elle. Comment notre reconnaissance ne prendrait-elle pas spontanément la forme du culte, de l’action de grâces, de la vénération religieuse ?

Dès le début, l’école sociologique insistait sur le caractère contraignant du fait religieux. Combien cette conception était insuffisante, devant la spontanéité, l’irrésistihilité de la religion. Aussi en est on venu, par une nouvelle correction, à ne voir dans cette contrainte que l’extérieur et le symbole ou l’effet d’un rayonnement moral, d’une autorité, non plus matérielle et brutale, mais persuasive et conquérante, engendrant en nous respect, adoration et amour.

Sans doute, depuis A. Comte, touslessolidaristcs, au cours du siècle, ont appuyé sur les bienfaits sociaux, en montrant l’universelle dépendance de l’homme envers la société, ont réagi vivement contre l’individualisme du dix- huitième siècle ; etils en concluaient à une morale de l’universelle dépendancede

l’homme envers la société. Tout par la société : donc tout pour la société. Mais combien cette morale laïque, strictement utilitaire, est froide, et en définitive, sans efficacité. Auguste Comte l’avait pressenti, qui voulait placer l’amour à la base du culte de l’Humanité, mais un amour réglé, formaliste, artificiel. Mais comment une telle réflexion systématique pourrait-elle expliquer l’origine spontanée de toutes les religions ? Et n’aboutissait-elle pas, elle aussi, à absorber la religion dans une philosophie ?

Ici intervient l’originalité propre de Durkheim. Le fait religieux n’est pas l’objet d’une création artificielle : il jaillit spontanément en nous, et en vertu même des lois de la vie collective.

La vie collective, en effet, à ses lois propres : le groupe, pense, sent, vit, autrement que les individus. Toute synthèse est créatrice de quelque chose de nouveau, qui n’apparaissait pas dans les composants.

Cela est vrai en chimie, cela est vrai encore i n biologie : la vie surgit brusquement au-dessus de l’organisation. De même en sociologie. Les vies individuelles, en se rapprochant, se fusionnant dans la conscience collective, acquièrent des propriétés nouvelles : dans ce creuset mystérieux, s’élabore une chimie mentale et morale ; la société, sans doute, n’est faite que d’individus ; mais les individus, en créant en commun, modifient la loi de leur action. Quelque chose de nouveau, de grand, de mystérieux, est sorti de leur rapprochement. Cette nouveauté, c’est la vie sociale. Et cette nouveauté, les individus la reçoiventeomme sacrée, transcendante, divine, par ignorance du mécanisme d’où elle est issue.

C’est qu’une des lois de cette vie collective est l’idéalisation spontanée ; la société a le pouvoir magique de sublimer, d’élever, d’idéaliser ; elle élève au dessus des conditions présentes, des luttes économiques, des réalités tristes ; elle s’auréole ; elle a le pouvoir divin de transformer les pensées, les sentiments, de les agrandir, de les purifier. Ainsi crée t-elle du sacré, du divin, non par système, comme pour Comte, mais par sa fonction propre toute spontanée.

Tout le long de l’histoire, nous assistons à ces créations du divin : les grands mouvements du christianisme, de l’humanisme, de l’idéalisme révolutionnaire, du socialisme actuel, sont les épisodes de cette incessante création du sacré ; élans des croisades, efflorescences des revivais, enthousiasme de » journées révolutionnaires, efflorescence des meetings : c’est toujours le même bouillonnement de la vie collective, et la même production du sacré. Et la divinisation de.- hommes, respectreligieux qui s’attache aux héros, aux savants, comme aux saints, exprime la même loi : l’aptitude de la société à créer du divin.

Et ce qu’elle produit de façon plus intense à certaines heures de l’histoire, la société l’accomplit plus obscurément, mais aussi réellement en nous : à chaque instant, elle sustente notre être moral ; elle nous élève au dessus de nos appétits de nos passions, de notre individualité ; elle nous présente un idéal ; elle nous attire, nous séduit par lui. V la lettre, elle nous l’ait autres, nous sanctifie ; elle nous recrée. Ainsi la création du divin, l’apparition de l’homme nouveau, la transfiguration de toutes choses, expriment la fonction propre de la société. La société ne peut vivre sans créer de l’idéal, et elle ne peut nous le présenter sans que spontanément il prenne l’aspect du sacré et la majesté du divin.

q 6 Preuve.. — Vérification par l’étude des formes élémentaires de la vie religieuse. — Cette création